Quel coup au moral ! Ainsi j'avais enterré un peu trop vite Kiyoshi Kurosawa ? Il était donc dit qu'on peut perdre tout son talent et le retrouver, mourir au cinéma et ressusciter ? Si ça veut dire qu'un jour Woody Allen, Bertollucci ou Christophe Honoré vont renaître de leurs cendres, et qu'en attendant le miracle il va me falloir retourner voir leurs films, il y a de quoi déprimer.
Mais ne voyons pas que le mauvais côté des choses, et réjouissons-nous. Sonnez shakuhachis et résonnez kotos : la même année que Going my Home (la merveille de Kore Eda), la télé japonaise permet à Kuro ce retour de flamme en forme de mini-série, preuve que souvent ce n'est pas en s'obstinant dans une recette mais en changeant de support que l'on peut combattre l'enlisement.
Shokuzai (la rédemption en français, quel point nommé !) signe donc le retour de l'enfant prodigue, le roi des ambiances ambigües, des non-dits assourdissants, de l'angoisse fascinante qui transpire de détails anodins et transparents, à travers une histoire de mort et de vengeance raconté en cinq stations. Cinq facettes pour raconter une histoire aussi sombre, ce n'est pas du luxe. Comprenant avec maestria ce que le format séquencé de la série permet, Kurosawa prend son temps pour explorer tous les sentiments (horreur, ironie, folie, tristesse, compassion, haine, remord etc...) produits par la mort d'une petite fille il y a de cela 15 ans.
Une exploration qui passe par un sens du cadrage, du rythme, et du jeu des comédiens assez époustouflant. Sans parler de l'attention extrême donnée aux décors, à la musique, aux ambiances sonores (comme c'était le cas dans Cure, Charisma ou Licence to Live) pour nous plonger en apnée dans ces destins brisés.
Cette série est une merveilleuse nouvelle pour les aficionados de Kuro et pour la télé, il se pourrait aussi qu'elle enfonce encore un peu plus la tête du cinéma sous l'eau. Quelle mauvaise idée de sortir Shokuzai en salle ! Comme si ce genre de redemption-là était possible, comme si on pouvait piquer sans vergogne à sa petite soeur ses jouets quand les siens sont cassés ! Pas plus que je ne conçois de voir Mon Oncle ou Playtime à la télé, pas parce que c'est "mal" mais parce que ça a été résolument conçu contre, je ne peux imaginer ce que va donner cette construction tout en équilibre et en délicatesse, reposant sur le rythme hebdomadaire et sur le jeu répétition/différence, une fois aplatie en 5 heures (presque) consécutives et diffusée en salle. Trop tard, a-t-on envie de crier au 7eme art. Ce n'est pas en récupérant les restes qu'on confectionne un diner de roi.