Six feet under est bien plus qu'une série, c'est une philosophie pratique de la vie, pleine de malice comme son ombre, la mort. Il s'agit d'une famille de croque-morts (on va se marrer !) dans laquelle chaque membre cherche à sa façon un équilibre. Mais l'humain est un piètre funambule et, si la corde fragile se rompt, elle laisse place au vide. Parfois, un Fisher se rapproche sensiblement de la Vérité (du moins de sa vérité) mais le doute revient. Une observation d'une grande justesse à mon avis : une vie humaine oscille entre états caractérisés par une connaissance plus ou moins parfaite de cette vérité. Et le constat est implacable : on ne reste que peu de temps au sommet de la montagne. La série qui côtoie la mort nous enseigne paradoxalement à aimer la vie pleinement, à accepter ses phases d'ascension comme de descente.
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The murder mystery
Tout commence par la fin, par ce corps mort, débarrassé de tout le fard dont vivant il se couvrait. Sur la table d'embaumement, le cadavre nu ne ment pas. Tandis que les produits chimiques se substituent aux fluides corporels, un flot de paroles muettes comme une pierre tombale submerge le croque-mort, l'assaille de questions existentielles et futiles. Les problèmes du trépassé – ce que transportait son corps – lui survivent et hantent le quotidien de la famille Fisher. "Rien ne se perd, rien ne se crée : tout se transforme." prévient une voix de chimiste six pieds sous terre.
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That's the difference between wrong and right | But Billy said | That both those words are dead
Résistance, transgression.
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Jesus | Help me find my proper place
Les personnages de Six feet under se sentent rarement chez eux, à l'instar de Ruth qui veut "rénover sa maison". Ils sont en recherche perpétuelle d'un ailleurs, et à certains moments clefs de cette quête, comme nous tous, ils demandent de l'aide, ils ont besoin d'un idéal auquel se raccrocher. Les croque-morts le savent bien : une cérémonie réussie emprunte toujours à un rituel préexistant. Aussi, si l'aide prend des formes diverses – la prière et le chant à la louange de Dieu (David Fisher), la discussion dans un cercle d'addicts anonymes (Brenda Chenowith), la plainte dans un séminaire de self-improvement (Ruth Fisher), le développement artistique et la substance psychotrope (Claire Fisher), l'idéal n'est jamais qu'une doctrine déguisée.
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I'm going up, and I'm going down | I'm going to fly from side to side | See the bells up in the sky | Somebody's cut their string in two
De brefs instants, et à tour de rôle, un personnage semble flotter sur un nuage, comme si de la vie, il avait tout compris. Et puis naturellement, par la force des choses, il redescend jusque sous les pâquerettes. Tour à tour je m'identifie avec Nate Fischer ou avec Claire, touchants dans leurs tentatives comme dans leurs échecs. Les délivrés vivants ne durent qu'un temps et ils se remettent à faire les mauvais choix. Même devant la mort, l'apaisement n'est jamais garanti. La vie s'éloigne au galop mais laisse derrière elle les passions.
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I met myself in a dream
Les songes jouent un rôle central dans la série. L'entrée dans le rêve est généralement discrète, sa frontière avec le réel, trouble. Puis il monte crescendo en délire jusqu'à exploser de manière comique au grand jour. Le rêve est pour le metteur en scène un moment de grande liberté, voire un prétexte, une digression pour exprimer sa créativité. Mais il est davantage. Il permet surtout aux vivants de continuer un dialogue interrompu avec les morts et offre au spectateur quelques instants de pure magie. Certaines scènes où le fantastique titille le réel touchent tout simplement à la grâce.
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I'm set free
La mort a posé son voile sur mon visage.
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There are problems in these times | But ooh, none of them are mine
Parce que je n'appartiens plus à ce temps.
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That's the story of my life
Mon passage éphémère dans le monde est résumé par mon nom en dessous duquel figurent mes dates de vie et de mort. Quelques lettres noires sur un écran blanc. Une police de caractère quelconque, identique à celle employée pour les autres. Vie et mort d'un représentant de l'American middle class. Une vie au fond parmi des milliers. Un fond blanc pour laisser au vivant en sursit – à toi donc lecteur ! –, l'illusion d'une liberté, celle de réinventer une vie ou d'inventer la sienne. À propos de la mort, l'imagination des mortels est intarissable mais elle les prend néanmoins souvent au dépourvu (le décès hilarant d'un personnage au début de chaque épisode). On dit notamment qu'allongé sur son dernier lit, on revoit sa vie avant de mourir. Claire voyance ! Sur une route ensoleillée, la voiture s'élance et les paysages vécus défilent. À ces inoubliables instants volés à la course du temps, farewell!