"Six Feet Under" nous invite à suivre les petits tracas d'une famille qui sort de l'ordinaire par son quotidien rocambolesque, à commencer par le métier qui la lie : les pompes funèbres. Tout s’accélère lorsque le patriarche de la famille décède, léguant la direction à ses fils. David, collaborateur proche de son père les années précédents sa mort parvient sans trop de difficultés à reprendre le flambeau jusqu'à ce que Nate, son aîné, décide de venir chambouler la petite vie tranquille des Fisher en prenant part à l'aventure. C'est donc d'un point de vue neuf (ou presque) que l'on va découvrir l'antichambre de la mort et apprendre à connaître les disciples qui participent au culte que nous lui vouons.
Le défi que se lance Alan Ball d'amener le spectateur à réfléchir sur la vie et sur son sens au travers d'une pléiade de personnages qui côtoie la mort est louable bien qu'impossible à relever. Chacun y voyant son propre sens, reflet d'une expérience qui lui est propre, vouloir lui imposer sa propre vision via des caractères archétypaux laissera forcément des mécontents parmi les vivants. Force est de reconnaître qu'il parvient tout de même à nous rendre attachant sa petite famille au fil de péripéties tantôt drôles tantôt tragiques.
Le manque de consistance narrative pose vite problème lorsqu'une série repose uniquement sur des personnages qui font face à un sujet si vaste que la vie. Bien qu'ils aient tous un univers différents et protéiforme, certains arcs, pas tous inintéressant, se réitèrent et lassent. Les atermoiements répétés des membres de la communauté servent certes le propos mais sont parfois dépourvus d'intérêt voire redondants et entament notre capital sympathie bâtis au long des saisons. De plus, une série traitant de décès s'autorisant autant de temps morts c'est un comble qu'elle ne peut se permettre. Et c'est là que le bât blesse car pour une œuvre dans laquelle le pathos tient une place primordiale, nous faire haïr les protagonistes ou, pire, nous les rendre indifférent nous fait passer à côté des qualités indéniables qu'a cette série.
Paradoxalement l'une des production les plus violentes de HBO, "Six Feet Under" étonne tout d'abord par son aspect décalé (en témoigne le thème principal) et son sens exacerbé de l’absurde. L'humour noir ronge le sérieux d'apparence et vient nous décrocher des sourires parfois gênés mais toujours jouissifs, cathartiques. La série permet aussi à HBO d'aborder des problèmes de société qui lui sont chers et qui sont des thèmes souvent réutilisés dans ses diverses productions comme les relations homosexuelles, incestueuses et les drames antiques. Ils sont traités crûment n'hésitant pas à parler de drogues, à montrer des corps nus et des morts plus vrais que nature. Cette version trash des Feux de l'Amour où sexe, drogue et rock'n'roll règnent a cela de plaisant qu'elle n'est pas passé au filtre de la censure et nous montre la vie comme elle est.
Mais ce qui pour moi est son plus grand point fort est le traitement de la psyché des personnages. Les morts viennent hanter leurs pensées et personnifient leurs peurs, leurs doutes,... Jamais aucune série n'aura réussi le tour de force de montrer à ce point la manière dont la conscience peut torturer les esprits. Ces "visions" allégoriques semblent naturelles et sèment le doute sur leurs vraisemblances, ce qui ramène le spectateur à la dure réalité quand il découvre que ce n'est qu'un rêve ou le trouble quand il s'aperçoit que c'est bien réél. Génial outil permettant une critique déguisé, ce tour de passe passe prodigieux verra son succès le dépasser au cours du temps et des nombreuses utilisations dont il fera l'objet dans diverses séries. Reste que SFU est un exemple de maîtrise technique, un chef d’œuvre d'écriture, un condensé d'émotions (les dernières minutes sont à ce titre les meilleures jamais vues sur le petit écran) et une réflexion intéressante sur les raisons qui nous poussent à vivre.
Qu'importe les croyances, les expériences traumatisantes qu'on a vécu, vit ou vivra, les amours perdus ou jamais trouvés, les malheurs trop nombreux et les joies fugaces ou artificielles, l'absurdité cruelle de nos morts et la futilité de nos actions à minimiser leurs impacts sur nos vies, une seule chose persiste à travers les ténèbres du temps : la vie. La vie flamboyante apparaissant dans les yeux d'un bébé, la nostalgie vivace de nos défunts dans nos souvenirs, la vie rieuse s'éteignant dans le regard d'un mourant...
"On a deux vies. La deuxième commence le jour où l'on réalise qu'on en a juste une." Confucius
Tout reste à vivre. Tout est possible.