Snowpiercer est une série Netflix et en tant que telles elle souffre de défauts comme, listés dans d'autres critiques :
- Des dialogues un peu trop mélo
- Un visuel pas très créatif et parfois carrément laid (l'extérieur du train en images de synthèse par exemple)
- Une construction scénaristique initialement très classique (enquête policière pour faire exposer l'univers du récit)
Cependant il serait dommage de s'arrêter à ces défauts, très communs et de passer à côté du reste.
La comparaison avec le film de 2013, que j'avais apprécié, n'est pas au désavantage de la série. Le film était plus beau mais ses dialogues n'étaient pas plus naturels et son scénario ne valait pas grand chose (deus ex machina, presque littéralement, et puis ça se termine sur l'extinction de l'humanité sans que le film le veuille).
Le gros point fort de la série est de décrire plein de mécanismes de la lutte des classes moderne là où beaucoup se contentent de montrer des pauvres opprimés qui se battent. Les causes du blocage du système sont clairement identifiées par exemple. Et elle échappe au manichéisme.
Le train est divisé en 4 classes : la première classe, qui a participé au financement du train et ne travaille pas, la seconde classe qui semble être composée de travailleurs hautement qualifiés, la troisième classe qui est composée de la masse des travailleurs et est la plus nombreuse et les déclassés qui sont entrés illégalement dans le train. Ces derniers sont parfois mobilisés pour des tâches dures, dangereuses ou répugnantes (oh, les intouchables), ou promus si leurs compétences sont nécessaires. Les classes sont ordonnées géographiquement : les déclassés en queue, puis la troisième, puis la seconde et enfin la première près de la locomotive.
On pourrait en compter une cinquième : la classe dirigeante des ingénieurs, qui entretient et conduit le train, logée dans la locomotive, dont M. Wilford, le créateur du train, fait partie. Il n’apparaît jamais en public et transmet sa volonté par la Conciergerie, deux femmes chargées de gérer les relations entre les passagers (satisfaire les familles riches et dompter les pauvres). Voilà pour le setup, pour commencer à parler d'illustration de la lutte des classes il va falloir spoiler.
On finit par apprendre que Mélanie, la cheffe de la Conciergerie, est aussi l'ingénieure-cheffe (et pour cause, c'est elle qui a conçu le train pour Wilford). Elle qui dirige le train. Elle a assassiné Wilford qui ne souhaitait pas utiliser le Snowpiercer pour protéger ce qui reste de l'humanité mais seulement pour retarder sa fin et la rendre la plus plaisante possible. Elle fait croire qu'elle fait exécuter ses ordres pour qu'on ne découvre pas le meurtre mais surtout parce que Wilford est respecté des premières classes (étant issu de la même classe sociale qu'eux), ce qui n'est pas son cas.
De manière générale, Mélanie est très conservatrice. Le train a duré des années organisé d'une certaine manière et toute tentative de changement pourrait avoir des conséquences désastreuses pour la survie de l'humanité, la mission qu'elle s'est fixée. Elle refuse donc de céder aux requêtes des sans-billets alors même qu'elle n'apprécie pas les premières classes et qu'elle est issue d'un milieu modeste. Mélanie est donc une antagoniste conservatrice technocrate avec laquelle il est cependant facile de sympathiser. Pour sa cause elle se montrera pourtant capable de torturer et tuer une déclassée, de prendre un enfant en otage, de protéger une meurtrière sadique...
La première classe jouit de nombreux privilèges qu'elle a gagnés en participant au financement du train. Mais une fois le train en marche et le monde extérieur invivable, qu'est-ce qui empêche de redistribuer ces privilèges (la première classe étant très minoritaire) ?
Elle a obtenu une garantie : aucune arme à feu n'a été acceptée à bord (les soldats se battent à l'arme blanche), hormis celles des gardes du corps des famille de la première.
Dans ces conditions on peut comprendre que Mélanie refuse de bousculer l'ordre établi, même si la première utilise une part importante des ressources du train pour son loisir et pas sa survie (il est fait mention d'un wagon bowling par exemple).
La première classe est une pure antagoniste : il est difficile d'éprouver de la sympathie pour elle, et en particulier pour la famille qui la représente dans le récit.
La seconde classe est très peu traitée.
La troisième constitue le prolétariat : elle travaille pour le train et c'est ce qui lui donne le droit d'y vivre (plutôt pauvrement). Quand elle décide de faire grève car le meurtre d'un troisième classe par une première classe n'est pas suffisamment puni, cela lui est rappelé : son billet c'est son travail, si elle ne travaille pas elle est sans-billet. Elle souhaite une redistribution égalitaire des ressources du train que les classes supérieures accaparent.
Cependant, la troisième a peur des déclassés, qui aspirent aussi à une redistribution des ressources, parce que pour les déclassés, la troisième est assez riche. Si les déclassés arrivent à détruire la frontière entre eux et la troisième mais pas les frontières suivantes, leur sort s'améliorera un peu mais au détriment de celui de la troisième. Les déclassés sont même utilisés comme une armée de réserve de travailleurs par Mélanie pour briser la grève générale de la troisième : comme la troisième ne voit pas ce qu'elle a déjà elle reléguera des membres de la troisième en queue et les remplacera par des sans-billets promus. Mélanie utilise aussi sa police pour contrôler ce prolétariat dont le travail est vital au fonctionnement du train.
Les déclassés pensent que la raison pour laquelle ils ne sont pas exterminés mais au contraire (mal) nourris est le travail qu'ils fournissent. Cela semble un peu gros : seule une toute petite minorité des sans-billets travaille, et tous sont (mal) nourris. En première, il est demandé à Mélanie de décrocher la queue (et donc de laisser mourir tous les déclassés) pour faire des économies d'énergie. Elle refuse, probablement plus parce qu'elle s'est donnée pour mission de sauver l'humanité et qu'en laisser mourir 1/4 semble contrevenir à cet objectif que par intérêt économique. Des déclassés promus constituent un réseau visant à aider une révolution de la queue. D'autres trahissent quand des privilèges leur sont accordés : la révolution était pour eux avant tout égoïste, une fois leur sort amélioré ils la redoutent.
Le thème de la fédération par un danger extérieur est aussi abordé. Le Snowpiercer manque de dérailler à la suite de problèmes techniques, que Mélanie règle. Tout le train, à ce moment divisé par la grève de la troisième, acclame Wilford son sauveur et les tensions sociales diminuent pour un temps.