Spawn
7.5
Spawn

sérieHBO (1997)

Si vous voulez lire des choses positives, regardez plutôt les critiques attenantes. J’ai moi-même été séduit par elles, et par d’autres sur Internet, qui pullulent étrangement pour tant d’œuvres non méritantes. Mais je voudrais sinon rétablir la justice, du moins offrir un point de vue discordant avec le consensus.


Partant d’un nœud d’idées aussi prometteur, aussi puissant, avec la possibilité de faire intervenir et s’entremêler plusieurs plans, avec un univers aussi riche dès le départ, la série développe le tout presque à rebours, en donnant l’impression de tenter d’être la plus terne et la moins excitante possible. Elle fait du surplace qui dépasse largement les lenteurs nécessaires à établir la situation initiale.


Le personnage de Spawn évolue si peu et est passif d’une façon qui me déplaît particulièrement. Ce n’est même pas de la contemplation ou de la méditation, il ne fait que figurer, comme un meuble. Un comble pour une série qui porte son nom. Les seules fois où il agit, il le fait de façon hautement insatisfaisante, n’achevant rien, n’intervenant que minimalement (comme quand son ami se fait poursuivre longuement et ennuyeusement dans la saison 2 par des mercenaires, Spawn observe de près la poursuite, dans le but d’empêcher les mercenaires de tuer son ami, mais à la place de s’en débarrasser tout de suite et efficacement, tout se passe de la façon la plus molle imaginable, étirant la scène comme un chewing-gum, montrant encore et encore des actes de cruauté sur d’innocents passants). J’ai accroché plus ou moins dans la première saison, comprenant que c’était la mise en place d’un schéma global, que Spawn s’éveillerait par la suite et irait faire quelque chose—bien ou mal,—au moins avancer l’intrigue. Mais non, la saison suivante s’est juste embourbée dans la torpeur. L’excellence des choses promises est restée virtuelle. La saison 2 est caractérisée par une série de meurtres sauvages et invengés, et franchement malsains. J’en ai été dégoûté.


Car les thèmes adultes ne sont qu’une façade. J’ai lu beaucoup de critiques enthousiastes disant que cette série animée ose traiter son sujet de façon adulte. Pardon? Où ça? Moi je n’ai vu qu’un dégueulis de morts cruelles et sanglantes, gratuites et inutiles, un meuble comme héros principal qui ne fait que se plaindre de sa vie passée, une introduction interminable, des transitions qui n’aboutissent pas, des fusils de Chekhov fossiles, et des boobs franchement dispensables. J’ai désespéré de la platitude des dialogues, écrits à l’arrache et n’apportant qu’un flot de grossièretés injustifiées. C’est au contraire bassement puéril, d’autant plus que ce puéril-là ne s’assume pas. Si je devais chercher une bonne grosse caricature de la mode «tro d4rk» qui a engourdi le cinéma et la télévision après le succès de «Batman begins», j’irai voir du côté de «Spawn», quoique réalisé bien avant.


De plus, à quoi s’attacher dans une oeuvre aussi dépourvue de lumière (dans tous les sens du terme, puisque les dessinateurs ne se sont pas gênés pour baigner dans le noir l’écran la plupart du temps)? Spawn a d’abord la sympathie du spectateur parce qu’il croit que c’est le héros, sauf que non, c’est le rien, et ce rien est souligné d’une part par son absence d’implication dans la compréhension de la globalité des événements (en gros, il est arrogant et suffisant, traite les gens qui veulent l’aider comme des merdes, et ne s’intéresse qu’à lui-même), d’autre part, par sa non-participation aux revirements de l’histoire: on pourrait presque faire la même chose en le dégageant complétement (pas dans la saison 3, mais quand même). C’est un personnage secondaire parmi d’autres, et il ne prend un peu de proéminence qu’assez tard, le pire étant que la saison 3 finit irrémédiablement là où les choses les plus pertinentes quant à son personnage auraient dû débuter. En outre, sa toute-puissance fait de lui un mécanisme narratif, car aucun ennemi qu’il affronte ne peut réellement lui faire de mal. Ses tourments intérieurs ne sont qu’effleurés, les flash-backs récurrents apportent surtout de l’ennui. Pourtant par exemple dans le film, quoi qu’on en puisse penser (moi j’aime bien), les mêmes éléments, élagués, prennent vie, et sont traités efficacement, ce qui pointe vers les (nombreux) scénaristes qui n’ont pas su exploiter le riche mais complexe matériau. Au contraire des deux premières, la dernière saison le fait évoluer trop rapidement; d’ailleurs ce n’est pas la seule chose qui y a l’air bâclée.


Cogliostro aurait pu, voire dû, être pertinent, puisque c’est le narrateur, mais premièrement il n’apparaît que rarement au départ, et pour dire des choses banales, et deuxièmement parce que sa narration tend à vider l’action de sa substance, de son suspense. Structurellement il nuit. Il aurait pu raconter ironiquement l’histoire de Spawn, ou venir l’entraîner au moment narrativement opportun (je l’aurais inséré vers le milieu de la saison 1, pour créer des conflits liés à la trame du protagoniste et non aux brassements périphériques stériles (comme le pédophile et son père politicien, ou le prêtre à ceinture d’explosifs [palmface]). Mais non, là aussi, il est détaché par rapport à tout, et donc on s’en fout de ce qu’il peut raconter, surtout qu’il affectionne de souligner les évidences encore et encore. Il ne fait qu’alourdir le tout à la place de s’y imbriquer, si toutefois la série avait été rigoureusement structurée. Todd McFarlane a dû en fait ordonner de l’écrire comme il a écrit ses comics, en jetant sur le papier toutes les amorces qui lui venaient, sans prendre le temps de les intégrer correctement. Angela est un autre exemple: elle apparaît vers les ¾ de la première saison, pour UNE scène, où elle se fait rembarrer, laissant son histoire en suspens. Quel intérêt si elle ne réapparaît plus? Quel intérêt même d’introduire les soldats du Paradis là, s’ils ne sont traités que dans la saison 3, où d’ailleurs ils sont présentés à nouveau dans une scène redondante (la fille qui se fait accoster par des voyous qui se croient plus forts mais se font massacrer)?


Wanda, l’ex-femme d’Al Simmons et son mari Terry, l’ex-meilleur ami d’Al, sont certes scénaristiquement liés aux événements, mais encore une fois ça traîne, ça rame, ça s’empâte. La saison 2 offre la course-poursuite la plus chiante de la série (dépassant de peu la résolution soporifique de l’histoire du pédophile), quand Terry va à l’entrepôt pour vérifier ses graves découvertes puis se fait capturer par un tueur en série fou qui d’aventure passait là. C’est du faux suspense, parce qu’on se doute bien qu’il ne mourrait pas si stupidement, et que de toute manière il n’offrait rien de spécial. Dans la saison 3, l’arbitraire continue, avec sa fuite puis son désir de tuer Wynn (comment il l’a retrouvé reste dans les ellipses dont abonde cette série); il échoue et se fait droguer à l’opium dans une sorte de prison hongkongaise, puis Spawn le sauve, en passant. L’intérêt, à part celui de permettre à Al de baiser Wanda à la Pendragon et accomplir une «prophétie» d’une folle originalité? Et Wanda, pas grand’chose à dire, elle a un rôle plutôt passif et sert surtout de motivation pour Spawn.


Wynn et ses sbires sont totalement inintéressants pour moi. Ce sont des méchants de service, et, ma foi, ils sont fonctionnellement bons.


Restent Sam et Twitch, deux inspecteurs de New York honnêtes et intelligents, et très clichés aussi. Je les ai tout de suite appréciés, et il faut dire que les moments où ils sont présents comptent parmi les meilleurs de la série. Malheureusement, ils sont quasi-absents de la saison 2 et dans la troisième Twitch est victime d’une tromperie «dramatique» impardonnable: ayant découvert que le chef de la police, corrompu, travaillait pour Wynn, il se fait tirer une balle dans la tête, qui ne le tue pas mais lui fait perdre sa mémoire, retardant l’inévitable moment de démasquer le méchant. Franchement, plus artificiel, faut chercher. Sam, lui, officie comme ressort comique, mais je l’ai trouvé efficace, et il n’est pas incompétent pour autant (pourquoi si souvent dans les scénarios être drôle annule automatiquement la compétence?).


Ah oui, aussi le Clown Infernal. Il est surtout là durant la première saison, remplissant un rôle peu clair. C’est au début une sorte de tuteur de Spawn, assigné à le surveiller et à l’éprouver; ensuite il agit par lui-même, en fournissant des pouvoirs à Wynn. Je suppose qu’il doit en général inciter Spawn à tuer des figures puissantes pour que leurs âmes aillent aux Enfers et y deviennent des soldats d’élite au service de Malebolgia. Mais toute cette machination me semble suspecte. Spawn a été envoyé en tant qu’officier de Malebolgia, mais pourquoi putain de merde personne ne l’enjoint à faire son boulot? Pourquoi l’a-t-on choisi, alors que c’est un des plus obtus de ceux qui rejoignent l’Enfer? D’autres, aussi compétents, pourraient travailler pour Malebolgia volontairement et avec plaisir. L’occasion se présente une fois tous les 400 ans seulement. M’enfin, si les précédents Spawns ont été traités de la même façon, c’est-à-dire laissés à eux-mêmes sans explication, on peut comprendre pourquoi Malebolgia n’a toujours pas réussi...


La troisième saison essaie d’insérer un peu de dynamique, en impliquant Spawn et le conflit central davantage. Cogliostro, avéré être Merlin [sic], réussit à l’attirer chez lui pour lui expliquer enfin qu’il doit tenter de prendre du recul. Pas trop tôt, les gars. On découvre aussi, comme un cheveu sur la soupe, des chasseresses (ouaip, ce ne sont que des femmes) de Spawns, mercenaires du Paradis, incompétentes évidemment. D’autres choses fort mal écrites y sont entassées, comme si les scénaristes s’étaient rendus compte que le surnaturel était au cœur de l’intrigue et avaient voulu rattrapper leur retard. Du coup, apparaît ce côté niais du Paradis (la chasseresse qui a des regrets et aide Al), un chinois mage (James Hong double lui et un autre chinois, et je me demande s’il n’avait pas hong-te de marquer leur appartenance ethnique avec un accent aussi raciste), un masque magique de Genghis Khan inutile mais prétendûment très puissant et Wynn qui veut soudain s’en emparer (ben oui, fallait faire quelque chose avec le méchant principal des saisons précédentes, on n’allait quand même pas le laisser en suspens, ou l’intégrer à un truc approprié pour lui?), ainsi que Twitch qui a des visions de médium sorties de nulle part. Mais ce n’est pas le plus débile. Non, car on apprend que tout se joue autour d’une prophétie concernant un enfant de Spawn, qui serait décisif dans la bataille finale entre Enfer et Paradis, et cet enfant a été justement engendré quand Al a violé Wanda transformé en Terry... Je vous sens inspirés, les gars. D’un côté, on a Sam et Twitch qui tournent en rond encore plus que la première saison, à cause des poncifs bien vaseux sur leur chemin (faudrait surtout pas écrire une intrigue qui avance, hein), de l’autre un amas d’incongruités ultra-prévisibles, avec pour objectif de ne pas bousculer l’équilibre (même si Al dit à la fin qu’il a définitivement décidé d’être gentil, j’ai comme le sentiment que si la série avait continué, il l’aurait été de la façon la moins efficace possible).


Pour une série qui a SIX épisodes de VINGT CINQ minutes par AN, j’appelle ça de la connerie. Quel que soit le niveau du dessin, des idées, des dialogues et des thèmes.


D’ailleurs, de l’animation j’ai envie de dire un mot. Je l’aime bien globalement, mais fallait vraiment le vouloir pour réaliser des séquences d’action aussi molles qu’ici. Franchement, comparez à la série animée Spider-Man produite dans les mêmes années, et qui pourtant avait un veto sur l’usage de violence. Ici, la violence est à son acmé toutes les 3 minutes, mais quand il s’agit de rendre un peu palpitante une scène, ça s’en sort aussi bien que Bloodrayne. Sérieusement.


Je finirai par des conseils empiriques aux scénaristes, tirées de choses qui me drainent de tout enthousiasme:
Pas de personnages principaux «meubles». La passivité peut être réflexive, d’où utile.
(Corollaire: pas de personnages principaux qui se foutent de savoir les détails des trucs qui leur arrivent (hein X-Files, hein Lost).)
Pas de personnages amnésiques. Surtout pas après une découverte importante.
PAS DE PROPHÉTIES!!!!!!!!!!!
Pas de division en saisons infinies. Une histoire doit être structurée strictement et austèrement. Les éléments doivent tendre vers une fin, et non rester suspendus jusqu’aux jours meilleurs (hein Lost!).

Owen_Flawers
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le 28 nov. 2015

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