Squid Game
6.7
Squid Game

Drama Netflix (2021)

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On en a beaucoup parlé en septembre 2021, le mois de sa sortie. Il était alors question de phénomène sériel, de phénomène sociétal, de phénomène Netflix...
Aujourd'hui, presque un an plus tard, au moment de la rédaction de cette critique (soit août 2022), voilà malgré tout qu'on n'en parle désormais presque plus.
Pourtant il y a fort à parier que lorsque sortira la saison 2 de cette série, on se risquera à nouveau à beaucoup en parler et cela peut-être avant que la foule agitée ne repasse une fois de plus à autre chose.
Je l'annonce d'ailleurs : il n'est pas impossible que moi-même j'en reparle ; que je complète cette présente critique. Si vous lisez d'ailleurs ces lignes après la sortie de cette fameuse deuxième saison, il y a peut-être fort à parier que j’ajoute en fin de cette page mon point de vue à ce sujet...
Car oui, j'ai beau avoir pris le train avec du retard que moi aussi j'ai fini par découvrir ce fameux Squid Game et que moi aussi il m’a pris l’envie d'en parler...
...Beaucoup.


Parce qu'en effet, pour avoir suivi le phénomène de loin (je ne dispose pas d'abonnement Netflix), j'ai eu dans un premier temps – et comme beaucoup d'autres – un a priori négatif à l'égard de ce phénomène.
Car après tout que nous proposait-on là ? Une série de neuf épisodes mettant en scène le déroulement d’un jeu morbide durant lequel chaque participant allait devoir jouer des coudes avec ses concurrents pour être en mesure de sauver sa peau ? …Tout ça avait des allures de déjà-vu ; de banale resucée de Battle Royale ou autre Hunger Games, avec pour seule (éventuelle) originalité celle de simplement imprégner cette formule d’un esthétisme et d’une crudité propres aux grosses productions issues du pays du matin calme...
…Or, au vu du succès massif que cette série a su rencontrer – et cela surtout sur une plateforme aussi consensualisante que Netflix – il me paraissait de prime abord assez évident qu’il ne pouvait y avoir là-dedans qu’une transgression de façade ; de la simple giclée de sang bien propre et bien lisse qui – un peu à la (triste) manière des dernières saisons de Game of Thrones – ne saurait satisfaire que les chilleurs du soir qui aiment se blottir tranquillement dans leur canapé devant Netflix, une tisane à la main, et n’attendant de leur spectacle quotidien qu’un simple émoustillement superficiel avant d’aller dormir.
Seulement voilà, m'appuyant sur quelques conseils avisés, je me suis malgré tout risqué depuis à me faire mon avis par moi-même et j'avoue que bien m'en a pris car je pense qu'on aurait franchement tort de réduire ce jeu du calamar qu'à un simple effet de mode ; pour ne pas dire un simple effet de manche.


Alors oui – c'est certain – Squid Game est le genre d'œuvre qui ne cache pas ses effets et qui a tendance même à les surappuyer : personnages archétypaux dont on surligne longuement les caractéristiques sans forcément les enrichir ; symbolisation des situations jusqu'à l'outrance criarde de costumes et de décors tout en contraste ; cheminement prédictible et prévisible au regard de la manière dont s'organise la narration...


(On se doute par exemple fort bien que les quelques personnages sur lesquels la narration insiste lors des deux premiers épisodes feront tous partis des derniers survivants de ce jeu de la mort et que – si logique highlanderienne il doit y avoir – il est certain que ce sera ce bon vieux n°456 qui gardera sa tête à la fin.)


Et si je peux entendre que certaines et certains n'auront pas manqué de souligner tous ces points comme pouvant nuire au suspense, à l'immersion et à la crédibilité de l'aventure proposée, il me semble malgré tout qu'à ces détracteurs un élément fondamental leur a échappé…
…Et cet élément tient justement à la nature réelle de ce récit ; nature par rapport à laquelle tous ces points présentés comme des défauts sont en fait chargés de sens.
Car oui, si une chose semble avoir échappé à un grand nombre de personnes que j'ai écoutées ou que j'ai lues au sujet de ce Squid Game, c'est le fait que cette série soit avant tout un conte.


En ce qui me concerne, elle se trouve vraiment là toute la pertinence de cette série. Et c'est aussi là que se trouve toute son efficacité.
Cherchant avant tout à questionner le commun plutôt que le particulier ; à donner à voir un univers plutôt que des parcours singuliers de héros et de anti-héros, Squid Game a eu cette lucidité de vouloir rompre avec cette structure narrative actuellement dominante dans le monde de la série ; structure qui consiste à multiplier les arcs narratifs afin de stimuler un attachement particulier pour chacun des personnages qui composent l’univers de la série.
En adoptant la structure du conte, les personnages sont davantage des archétypes au service de l’univers plutôt que l’inverse. Et de la même façon que l’univers constitue manifestement le centre d’intérêt de l’auteur Hwang Dong-Hyuk, le conte appelle à faire en sorte qu’il en soit de même pour les spectateurs.


Pourtant il est vrai que Squid Game passe du temps (peut-être trop) à présenter ses personnages. Il n’empêche malgré tout que ceux-ci ne sont jamais (ou rarement) amenés à susciter notre empathie (du moins au début).
Si on les présente, c’est surtout pour les fonctions narratives qu’ils seront amenés à occuper ; notamment dans leur manière d’éprouver et de révéler cet univers.
On parvient très rapidement à identifier celles et ceux qui entendent jouer à la dure en s’autorisant tous les coups, des loups solitaires qui préféreront survivre en se faufilant et se faisant discrets, ou bien encore des stratèges ou grands-cœurs qui entendront toujours privilégier dans ce jeu de massacre la carte du collectif.
Et même si la série met plus en avant le personnage de Gi-Hun – et cela dès le premier épisode – celui-ci n’est en fait qu’une porte d’entrée parmi tant d’autres pour comprendre comment on se retrouve soudainement pris dans les mailles de ce « jeu du calamar » ; bien plus qu’il ne serait un personnage auquel on inviterait à s’identifier ou à se prendre d’empathie pour lui.


Dans Squid Game, le récit est surtout structuré pour que le spectateur s’intéresse avant tout à l’univers – à ce fameux « jeu » qui sera au centre de l’intrigue – à tel point que la position à laquelle nous invite la série est davantage celle d’un candidat participant pour lui-même au jeu – et cela parmi tous les autres concurrents - plutôt qu’elle ne nous inviterait à nous identifier à un personnage en particulier.
Or c’est justement cela la force du conte : c’est sa capacité à insister dès le départ sur le caractère artificiel et fictif de son récit pour mieux déplacer l’attention du spectateur sur autre chose que le réalisme de son univers et le caractère sympathique de ses personnages. Car ce qu’on attend d’un conte avant tout c’est qu’il sache mettre en lumière un rouage caché de notre monde, qu’il s’agisse d’une mécanique vertueuse ou bien au contraire d’un engrenage vicieux.


Preuve d’ailleurs de cette efficacité narrative, c’est qu’il n’aura échappé à personne quel était le sujet et le cœur du propos de ce Squid Game.
« En même temps c’est dans le titre » pourraient dire certains – ce qui est vrai – mais encore fallait-il donner à voir à tous ce qu’était vraiment ce jeu métaphorique du calamar, or sur ce point-là ça n’a pas manqué.
Tout le monde a compris (ou presque) là où cette série voulait en venir. Tout le monde a bien compris que derrière cette histoire de grand jeu de mise-à-mort se cachaient les ressorts de notre modèle contemporain d’exploitation de l’humain par l’humain ; modèle qu’on a cherché ici à grimer pour mieux le révéler.


Malgré tout – et qu’on s’entende bien là-dessus – ce n’est pas parce que Squid Game a voulu jouer la carte du conte que ça l’absout forcément de la nécessité d’être rigoureux et mesuré dans son récit.
C’est d’ailleurs souvent sur cet aspect-là que cette série s’est faite épinglée par les spectateurs qui ne s’y étaient pas retrouvés : à trop forcer le trait et à trop gonfler la satire, le procédé peut s’éventer et la caricature s’effondrer dans la plus triste des grossièretés.

Or s’il est vrai que Squid Game peut de prime abord malmener par ses choix narratifs et esthétiques très tranchants – tout le monde aura en tête ces aires de jeux et ces uniformes très flashy tout comme ces symboliques outrancièrement limpides (la tirelire cochon, le bac-à-sable, le dortoir-prison, etc…) – cela ne l’empêche pas pour autant de se montrer bien plus riche et subtil qu’il n’y parait.


Loin de simplement surfer sur cette mode actuelle du fluo-bonbon et du tranché de couleurs façon cartoon, costumes et décors univoques sont aussi et surtout pour cette série l’opportunité d’instaurer petit-à-petit de la confusion dans notre compréhension des règles du jeu social.
Parce que malgré l’affichage sans ambivalence des conditions et des hiérarchies, Squid Game nous fait vite découvrir que tout cela est en fait bien plus trouble qu’il n’y parait. Derrière ce bipartisme d’exploitants vêtus de rose contre des exploités vêtus de vert, on découvre vite que d’autres hiérarchies existent également au sein de chacun des deux camps, avec parfois les mêmes risques encourus en cas de désobéissance.
Et d’ailleurs sitôt pense-t-on avoir identifié le cerveau de toute l’affaire – le vrai dominant de l’histoire – qu’on ne manque jamais de montrer qu’au-dessus de lui il existe encore une strate de commandement ; strate qui suffit d’ailleurs à elle seule à faire en sorte que celui qui est un maître pour les uns n’en reste pas moins contraint de se plier lui aussi aux règles du jeu.


Car que donne à voir Squid Game si on prend bien la peine de la considérer sur l’intégralité de sa première saison ?
Eh bien encore une fois tout pourrait se réduire à son seul titre.
Ce à quoi nous invite Squid Game c’est à voir notre modèle social comme un jeu ; un jeu cruel certes, mais surtout un jeu d’autant plus pervers qu’il possède des ramifications tentaculaires qui échappent à la plupart des participants, au point même que les règles affichées ne se révèlent au final n’être que des leurres cachant la réalité de son véritable fonctionnement.


Parce qu’au premier abord – un peu à l’image de l’esthétique affichée par la série – les règles ont pourtant l’air d’être simples et limpides :
1) « Les joueurs ne peuvent pas arrêter de jouer » ;
2) « les joueurs refusant de jouer seront éliminés » ;
3) « le jeu peut être arrêté si la majorité est d'accord ».
Ces trois règles sont d’ailleurs conditionnées par un acte initial que tous les candidats ont intégré : pour qu’ils deviennent joueurs il leur a d’abord fallu faire le choix de jouer…
…Un choix qui a notamment pris la forme d’un premier jeu initiatique à première vue innocent mais qui est malgré tout très explicite sur ses enjeux : gagner et s’enrichir, ou bien perdre et accepter d’être violenté pour rembourser sa dette…
…De là le jeu du calamar peut-il lancer sa mécanique d’exploitation ; mécanique dont le rouage le plus pervers est finalement le plus essentiel : celui du consentement des exploités.


Au fond tout est dit depuis le départ.
Non les joueurs ne peuvent pas s’arrêter de jouer. Et s’ils ne peuvent pas s’arrêter de jouer c’est parce qu’ils seront éliminés s’ils arrêtent.
Malgré tout, tout le monde joue parce que chacun est persuadé qu’il pourra toujours annuler les deux premières règles par la troisième…
…Or la pratique du « jeu du calamar » démontre bien qu’au contraire la troisième règle n’est pas celle qui annule les précédentes mais bien celle qui les rend possibles.
Car si les deux premières règles engagent des individus, il se trouve que la dernière engage quant à elle un collectif. Et tant qu’il n’existera pas de collectif pour décider ensemble de l’arrêt du jeu, le jeu continuera et les joueurs seront toujours contraints de jouer. Or ce que Squid Game cherche à nous donner à voir ce n’est pas le simple fait que notre société repose sur un modèle d’exploitation, mais bien comment cette exploitation repose sur l’aliénation de tous, notamment via le consentement de la majorité de chacun.


Chaque épisode n’aspire d’ailleurs finalement qu’à ça : donner à voir davantage les rouages du jeu social ; rouages qui tournent malgré la cruauté et l’injustice manifestes de son fonctionnement…
…Et si ces rouages tournent malgré tout c’est parce que les participants finissent par en accepter les règles ; les intégrer et surtout les appliquer.
C’est que les mécaniques d’adhésion aux règles du jeu sont progressives et savent faire cheminer chacun des joueurs vers davantage d’engagement. Car si toutes les règles avaient été dévoilées dès le départ, il y aurait eu fort à parier que se serait déclenché en conséquence un acte mettant irrémédiablement fin au jeu : un refus solidaire de participer.
Mais justement, le jeu est ainsi pensé pour que chaque partie fasse glisser progressivement chaque individu vers l’acceptation des règles en leur globalité :


Car oui, si on remet bien toute la partie à plat, on constatera qu’au fond l’engagement du joueur commence dès l’épisode 1, quand on propose à Gi-Hun de parier de l’argent sur sa réussite au ddjakji ; ce jeu simpliste ressemblant à s’y méprendre aux « pogs » que celles et ceux de ma génération ont connus.
Le jeu semble équitable, accessible et potentiellement rémunérateur. C’est d’ailleurs pour cela que Gi-Hun accepte d’y jouer. Néanmoins, dès le départ, la partie est totalement déséquilibrée, car contrairement à son adversaire, Gi-Hun n’a pas les moyens de payer en cas de défaite. Malgré tout, parce qu’il estime n’avoir rien à perdre et beaucoup à gagner – toujours contrairement à son adversaire – Gi-Hun accepte l’asymétrie des conditions qu’induit le fait de jouer selon des règles symétriques. C’est cette adhésion première qui le conduira à accepter qu’on le frappe en cas de défaite.
A bien tout considérer donc, c’est bien ce premier jeu qui est celui qui pose les premières bases du consentement : « je joue en sachant que si je perds, je serai rudoyé par le maître du jeu ». Il n’est pas encore question pour Gi-Hun d’accepter de mettre sa vie en jeu pour de l’argent, mais ce sera justement le rôle du deuxième jeu ; le premier mené sur l’île.


Là encore, pour cette deuxième étape de fabrication du consentement, le procédé est le même. On commence par édicter des règles qui, en apparence, semblent reprendre celles auxquelles on a déjà accepté de se soumettre. Pour ces nouvelles règles, on oblige chaque candidat à signifier individuellement et par écrit leur engagement à les respecter, puis enfin on confronte à nouveau ces candidats à un jeu dont le déroulement n’aura que pour seul et unique but de leur faire franchir un cap nouveau dans leur acceptation du jeu : en l’occurrence ici qu’on puisse mourir en cas d’échec.
Quand le « 1,2,3 soleil » commence et que les premiers réfractaires se font exécuter, le joueur n’est plus en position de se retirer. Il est contraint physiquement d’appliquer les règles auxquelles il s’est contractuellement soumis s’il veut espérer s’en sortir. La réalité matérielle de la situation du moment – ainsi que l’existence de la close n°3 – l’amènent mécaniquement à choisir d’accepter – du moins le temps de cette seule partie – la règle nouvellement édictée…
…Et il l’accepte d’autant plus que le jeu est pensé de telle manière à ce qu’on puisse aisément survivre pour peu qu’on se plie au jeu. Après tout pourquoi craindre la sanction d’une élimination si la qualification semble aisément accessible ? A ce moment-là il n’est pas encore question de faire accepter aux candidats des conditions de jeu inégalitaires ou bien encore le fait de gagner en se devant d’éliminer les autres. Ça ce sera justement le rôle respectif des troisième et quatrième jeux.


Car qu’apporte comme nouveauté le troisième jeu ?
La seule nouveauté qu’il apporte repose sur le fait que tout le monde ne se retrouve pas confronté au même niveau de difficulté. A ce petit jeu de découpage de figurines, certains s’en tirent avec de faciles triangles et d’autres avec de vilains parapluies. Et si la règle est en elle-même injuste, elle ne pourra malgré tout qu’être acceptée par celles et ceux qui ressortiront vainqueurs de cette épreuve. D’un côté celles et ceux qui auront survécus malgré le fait d’avoir eu à détourer un parapluie ne pourront que se convaincre de leur capacité à triompher des épreuves – même quand la chance ne leur sourit pas – les incitant par conséquent à poursuivre encore l’aventure… De l’autre, celles et ceux qui auront survécus malgré une épreuve plus facile pourront également y trouver une forme de mérite et cela grâce à cette subtilité qui n’est clairement pas anodine dans ce jeu : le fait que chacun ait obtenu son épreuve en fonction d’un choix qu’il a dû prendre…
…Et même si au moment de prendre ce choix, rien ne permettait aux joueurs de déterminer lequel allait s’avérer le plus pertinent, le fait est que malgré tout – pour celles et ceux qui en sont sortis avantagés – leur choix est celui qui les a sauvés. L’impression d’y avoir été pour quelque-chose dans sa réussite s’enracine dans les esprits de ces vainqueurs de l’aléatoire. Ainsi l’iniquité dans les règles est-elle acceptée dès le troisième jeu…
…Comme sera accepté par la suite le fait d’avoir à éliminer l’autre pour survivre lors du quatrième jeu.
…Comme sera accepté encore plus tard le fait d’avoir à trahir les siens pour survivre dès le cinquième jeu.
…Et comme il sera enfin accepté en bout de course le fait d’avoir à sacrifier aléatoirement des gens sur le chemin final vers la survie.


Et là où ce conte qu’est Squid Game n’en devient que d’autant plus perspicace, c’est qu’il a su passer son temps à démontrer que cette fabrique du consentement ne fonctionne que parce qu’elle s’opère à l’échelle de l’individu quand, à l’inverse, la fabrique de la contestation – qu’elle s’opère de manière institutionnelle ou non – ne s’opère qu’à l’échelle du collectif.
Car oui, Squid Game n’oublie pas aussi de nous expliquer pourquoi le jeu a besoin de ce consentement individuel aux règles car – encore ou toujours – il suffirait de peu pour que la désobéissance de seulement quelques-uns entraine dans la foulée un mouvement d’insubordination face aux règles et aux maîtres du jeu.


Cette série nous le montre notamment à l'issue du troisième jeu : il suffit qu'un joueur condamné désarme un soldat pour que soudainement tout le dispositif répressif soit ébranlé.
C'est dans un moment comme celui-là qu'il est important que les autres joueurs aient pleinement intégré en eux qu’il reste préférable pour eux de se plier aux règles du jeu.


De même, cette série n’oublie jamais de nous montrer à quel point les règles sont insidieuses, notamment dans leur capacité à sortir du cadre qu’on pensait pourtant être celui du jeu.


A ce sujet j'ai par exemple trouvé particulièrement judicieux la manière dont les organisateurs ont su jouer sur la frugalité des rations distribuées aux candidats afin de favoriser chez eux la triche et donc, mécaniquement de la division. D’ailleurs sitôt la situation dégénère-t-elle que les organisateurs orchestrent le moment de telle manière que l’escalade de violence s’opère ; créant ainsi les conditions idéales pour démontrer aux candidats que toute élimination hors du jeu entraine malgré tout un accroissement de la cagnotte comme au sein du jeu. En procédant ainsi les organisateurs incitent mécaniquement les candidats à davantage lutter contre leurs semblables plutôt que contre le système ; alors que c’est pourtant le second qui les affame en priorité plutôt que les premiers.


D’ailleurs, difficile aussi de ne pas trouver ô combien pertinent la manière dont ce jeu récompense ses vainqueurs.


Car oui, au final le jeu respecte malgré tout bien ses règles. Il tient bien ses promesses en récompensant notamment ceux qui gagnent à la fin ; chose qu’il peut d’autant mieux faire que ces vainqueurs sont peu nombreux.
Dès lors, les quelques élus – quand bien même auront-ils été déterminés arbitrairement – deviendront les nouveaux agents cherchant à défendre le système qui les a hissés. C’est le cas par exemple au sein même de la structure du jeu du personnage de In-ho, le frère du policier, qui passe de candidat à vainqueur, puis de vainqueur à orchestrateur du jeu du calamar.
C’est le cas également – mais ce coup-ci en dehors de la structure du jeu – du vieux Il-Nam, au départ simple sans-le-sou qui a joué le jeu de la société capitaliste et qui a su lui aussi se hisser socialement pour en devenir l’un des grands orchestrateurs lui aussi.


Malgré tout, reconnaitre à Squid Game tous ces points qui, chez moi, me séduisent beaucoup, ne m’interdisent pas pour autant de reconnaitre en contrepartie certaines scories et autres imperfections.
Car sur les neuf épisodes que dure ce conte moderne, les longueurs, les faiblesses et les facilités ne sont pas rares.
Parmi ces faiblesses, je pourrais notamment souligner cette réalisation et cette écriture qui tentent de se rapprocher le plus possible de celles des grands maîtres coréens mais sans y parvenir pour autant. L’épisode 1 en est, à ce sujet-là, une triste illustration tant il s’étend longuement sur l’exposition de son personnage principal, poussant même le vice à tirer le trait jusqu’à l’excès. Il en va d’ailleurs de même de l’épisode suivant qui, bien qu’il opère un choix scénaristique des plus étonnants et des plus audacieux…


…En l’occurrence celui de décider de faire arrêter le jeu par le vote de ses participants…


…Débraye malgré tout juste derrière sur une très / trop longue démonstration qui, bien qu’elle ait du sens au regard de sa logique narrative, aurait malgré tout gagné à s’écourter davantage.


Idem, difficile aussi pour moi de passer sous silence ces excroissances narratives malheureuses dont on aurait peut-être pu espérer qu’elles soient mieux gérées, voire même carrément retirées…


…Je pense notamment à tout l’arc narratif du policier qui, bien qu’il permette dans un premier temps d’enrichir l’intrigue, tombe malheureusement très vite dans une impasse. Peut-être s’agit-il là d’un élément qui aura son utilité pour développer la saison 2 mais, en l’état, ça peine à bien s’intégrer à l’ensemble.
De la même manière, je pourrais aussi faire le même reproche avec cette histoire de trafic d’organes. Sans forcément être inutile et inintéressante dans la logique de cet univers, je la trouve néanmoins mal amenée, grotesquement mise-en-scène, et surtout prenant trop de place au sein des épisodes durant lesquels elle se développe. Clairement on aurait pu/dû en faire autre chose…


Néanmoins – et sans nier l’existence factuelle de ces aspects contestables de cette série – le fait est que pour chacune de ces limites, j’ai toujours fini par en accepter l’existence et cela encore et toujours pour la même raison…
…Pour cette perspicacité à avoir su exploiter comme il se devait la structure narrative du conte.
Car – pour rappel – je ne considère pas que la forme du conte soit une carte magique qui permettrait de tout justifier. Non… Parce que le conte a lui aussi ses propres exigences ; des exigences qu’il convient de respecter scrupuleusement jusqu’au bout pour que celui-ci soit bien mené…
…Or s’il y a bien un élément qui est parvenu à achever mon adhésion à ce conte qu’est Squid Game c’est bien son épisode final…
…Sa conclusion.


Tout bon conte se doit de se conclure sur une révélation ; révélation pouvant être ici comprise selon plusieurs sens.

Pour ma part, j’entends par révélation – dans le conte – cet acte final qui va donner tout son sens à la démonstration produite depuis le début par le récit ; cet acte qui va offrir une vue d’ensemble sur ce que le conte entendait montrer depuis le début.
Mais là où effectivement Squid Game fait fort c’est qu’il entend prendre cette révélation dans un double-sens puisque le dernier épisode de la saison 1 entend également se poser comme un révélateur de mystère : en l’occurrence une révélation sur les raisons qui ont poussées à la création de ce diabolique « jeu du calamar » ainsi que celui qui en est réellement à la tête.
…Et si je peux entendre que cette conclusion n’ait pas su satisfaire tout le monde, je pense malgré tout qu’on ne saurait lui retirer ce mérite d’être remarquablement cohérente au regard de la grille de lecture proposée ; voire même ce mérite d’une remarquable complétude au regard de l’ensemble des éléments que la série a su poser lors des huit précédents épisodes.
(C’est d’ailleurs cette impression de complétion du propos en cette fin de saison 1 qui me fait redouter grandement la future saison 2… Mais bon, sur ce point, l’avenir nous dira…)


Car comment se conclut cette saison de Squid Game ?
Que nous donne-t-elle à voir sur l’essence de ce « jeu du calamar » et, par extension, sur l’essence de notre société capitaliste ?
Au fond, elle n’en dit qu’une seule et simple chose : elle en dit son absurdité.


…Car il n’y a rien d’anodin à poser Il-Nam comme le grand manitou de cette affaire.
Rien d’anodin d’abord à faire d’un parvenu de la société capitaliste l’organisateur d’un tel jeu. Car pour parvenir à se hisser en partant de rien au sein d’une société capitaliste, il faut accepter de se plier aux règles sans sourciller, il faut savoir sacrifier, il faut savoir trahir, et surtout il espérer avoir la part de chance nécessaire dans cette loterie arbitraire que beaucoup mènent dans l’espoir de mettre la main sur la grande tirelire-cochon…
…Seulement, comme Il-Nam le dit très bien lui-même lors du dernier épisode, quand bien même a-t-il gagné le jeu qu’au final son gain a été incapable de compenser les pertes auxquelles il avait dû consentir pour parvenir à la victoire. Il avait certes l’argent, mais il n’avait plus la famille, la vie de quartier… L’amusement.
Et c’est justement parce qu’il disposait d’un pouvoir absolu entre ses mains – pouvoir acquis dans le seul but de satisfaire ses besoins individuels – qu’Il-Nam a fini par concevoir ce jeu de massacre ; un jeu de massacre dont la seule finalité était de reproduire sur les autres ce qu’il avait subi lui-même, mais tout en se délectant du fait qu’au moins dans ce monde cruel, lui, il avait su gagner à ce jeu, et cela quand bien même le prix de la victoire était au final totalement vain.


Ce n’est d’ailleurs pas anodin non plus que la série ait posée un joueur comme étant au final le grand orchestrateur de tout ce système. Encore une fois, la barrière entre les oppresseurs et les opprimés est questionnée ; complexifiée. Il y a cette idée qu’au fond, même les grands vainqueurs du système sont au final quand-même perdants. A jouer au grand jeu du capitalisme, Il-Nam a finalement troqué une misère matérielle contre une misère affective et humaine ; une nouvelle misère au fond tout aussi insupportable que la précédente puisqu’en bout de course c’est elle qui le poussera désespérément à rechercher en vain sa vie d’avant : son enfance, sa maison, et surtout sa condition.
Il y a dans cette conclusion cette idée que, jusqu’au bout, ce « jeu du calamar » qu’est le capitalisme n’est en fait qu’un jeu de dupes, puisque même ses orchestrateurs en viennent eux-mêmes à se laisser duper par ses règles, au point d’en être eux-mêmes des victimes.


Alors après, il relèvera forcément de la sensibilité de chacun de voir de la pertinence ou non dans cette grille de lecture que nous propose Squid Game.
En ce qui me concerne – et vous l’aurez compris je pense – je fais partie de ceux qui y voient beaucoup de pertinence. Le fait est que, de par mon vécu et de par ce regard que j’ai fini par porter sur le monde, je me retrouve grandement dans cette vision et j’apprécie tout particulièrement que cette série ait su y donner corps au travers d’un geste artistique que je trouve particulièrement impactant.
Néanmoins je suis loin de considérer que cette série ne saurait être appréciée que par celles et ceux qui adhèrent à une vision anticapitaliste du monde. Je trouve que c’est même la force des œuvres d’art impactantes que d’être capables d’impacter tout le monde, quelque-soit leur conception du monde. Or, de mon point de vue, Squid Game fait justement partie de ces œuvres-là. Je pense même qu’on peut dire que cette affirmation va au-delà de mon point de vue tant le succès planétaire que cette série a connu semble acter cette vision.


C’est justement cela toute la force des contes.
Le conte est un récit volontairement fictif afin d’appeler les spectateurs à laisser le temps d’un instant leur imagination travailler.
Il est aussi un récit volontairement archétypal afin qu’il puisse être accessible à tous, ne laissant jamais personne de côté.
Le conte, ça reste au fond une forme très fédératrice pour peu qu’on en maitrise les codes : fédération d’autant plus nécessaire quand ce qu’on cherche à faire c’est conscientiser les masses sur les règles d’un jeu auquel elles participent sans forcément le voir et le savoir.


Alors après oui, c’est certain, il suffit de voir les multiples retours autour de ce Squid Game pour se rendre compte qu’un bon paquet de spectateurs – voire même d’adorateurs – de cette série sont totalement passés à côté de ce qu’elle a cherché à dire et à signifier.
Seulement voilà, qu’elle ait été comprise ou non, au moins a-t-elle été vue ; au moins est-elle parvenue à poser des images et des symboles qui pourront peut-être un jour – qui sait – être remobilisés ultérieurement par la société de la même manière que l’ont été les masques du Joker ou, plus anciennement, ceux de Guy Fawkes.


Mais qu’on s’entende bien malgré tout : quand j’évoque cette possibilité là ce n’est pas pour sous-entendre qu’on pourra juger de la qualité de Squid Game à sa capacité à être réinvestie plus tard d’une manière ou d’une autre par le mouvement social.
Non. Ce que j’entends affirmer par là c’est que Squid Game peut au moins se prévaloir d’être une série qui a été capable d’imposer sa marque esthétique auprès d’un large public et cela au point d’avoir été en mesure de lui proposer une vision du monde – comprise ou non – à laquelle il n’était jusqu’alors pas forcément habitué…
…Or ça ce n’est pas rien tout de même.


Aussi retiendrais-je ceci de Squid Game : quand-bien-même cette série n’est peut-être qu’un phénomène de masse éphémère ; quand-bien-même n’est-elle qu’un produit Netflix qui sera peut-être amené à être dévoyé comme de nombreux autres produits consommables de notre société, cette série est néanmoins parvenu à réhabiliter le temps d’une saison une qualité devenue rare dans le monde des séries : l’audace.
L’audace d’un sujet : celui de l’exploitation de l’humain par l’humain.
L’audace aussi d’une narration : celle du conte.
L’audace enfin d’une esthétique : celle d’un univers de symboles et de couleurs franches.


Rien que pour cette qualité là j’ai envie de passer outre tous les faiblesses de la série pour n’en retenir que ses forces.
J’ai envie de vous inviter à vous y plonger – voire à vous y replonger – pour que vous puissiez exercer davantage votre regard.
Et désormais tel un amoureux fébrile je me mets à croiser les doigts, pour que la saison 2 évite l’atroce.
Je croise les doigts pour que, dans les méandres de ce jeu perfide, Squid Game sache entretenir l’espoir…

lhomme-grenouille
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le 9 août 2022

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Fade Astra

Et en voilà un de plus. Un auteur supplémentaire qui se risque à explorer l’espace… L’air de rien, en se lançant sur cette voie, James Gray se glisse dans le sillage de grands noms du cinéma tels que...

le 20 sept. 2019

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Avatar - La Voie de l'eau
lhomme-grenouille
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Dans l'océan, personne ne vous entendra bâiller...

Avatar premier du nom c'était il y a treize ans et c'était... passable. On nous l'avait vendu comme l'événement cinématographique, la révolution technique, la renaissance du cinéma en 3D relief, mais...

le 14 déc. 2022

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