I Remember damage …
Vu le contexte sanitaire actuel, regarder une série post-apocalyptique se basant sur une pandémie mondiale est loin d’être séduisante et a de quoi faire fuir les gens mais ce serait passé à côté...
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le 9 févr. 2022
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Histoires parallèles
Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’idée de Patrick Somerville en 2019 de porter à l’écran le livre d’Emily St. John Mandel paru en 2014 relevait de la prémonition. Voyez plutôt ! Que des humains se trouvent confrontés à la propagation d’un virus nous évoque forcément quelque chose. Sauf qu’ici, il s’agit d’une grippe fulgurante qui s’avère mortelle dans 99 % des cas… Le temps de prendre en considération ce qui relève de l’impensable et il est déjà trop tard. Certains ont cependant l’intelligence d’esprit d’anticiper la catastrophe à venir et de se confiner sans plus attendre. Ce que fait prestement Jeevan Chaudhary après que sa sœur médecin l’informe de l’urgence de la situation. Avant cela, il venait d’assister à la première du « Roi Lear » de Shakeaspere, interrompue subitement par la mort accidentelle de son acteur principal, Arthur Leander. Conséquence directe : le petite Kirsten Raymond, dont Arthur avait indirectement la garde, se retrouve abandonnée sur le trottoir. Jeevan s’en aperçoit et prend l’enfant sous son aile avant de rejoindre l’appartement de son frère pour y vivre un long, très long, isolement. Dans le même temps, Clark, le meilleur ami d’Arthur, se retrouve bloqué dans un petit aéroport de l’Illinois en compagnie de la seconde femme de ce dernier et de son fils Tyler. Outre le fait qu’Arthur soit le point de raccordement de ces trajectoires parallèles, une étrange BD du nom de « Station Eleven », écrite par la première compagne d’Arthur, va conditionner le futur de ces deux entités désormais en captivité imposée. 20 ans plus tard, dans un monde où l’homme est redevenu quantité négligeable depuis qu’il s’est vu privé d’une technologie conditionnant son niveau de vie, on découvre que Kirsten s’est imposée comme la cheffe de troupe théâtrale nommée «la Symphonie Itinérante ». Et si tous les ans, celle-ci a l’habitude de prendre la route (toujours la même) afin de livrer aux différents villages de rescapés l’œuvre shakespearienne, sa rencontre avec un mystérieux jeune homme, que certains surnomment le Prophète, va remettre en cause sa destinée.
Quelque part, tapie dans l’ombre
Tout avait pourtant bien commencé. Du moins, pour le spectateur… Chicago semble en effet une grande ville ordinaire et animée, si ce n’est que l’hiver, il y fait particulièrement froid. Ce qui n’empêche pas les badauds de déambuler dans les rues ou d’aller au théâtre comme le fait Jeevan. Il suffira cependant d’un coup de téléphone alarmiste pour que l’atmosphère se fasse brutalement plus pesante. Quelques accords crépusculaires de violoncelles viennent appuyer ce brusque sentiment d’inquiétude. Le brouhaha familier des sons quotidiens revêt alors l’apparence d’un leurre auquel il convient de s’extirper urgemment. Tel un gaz inodore et invisible, la Mort semble soudainement emplir tout l’espace. Visuellement pourtant, sa présence nous est épargnée. Un visage derrière la vitre d’une voiture, des scènes d’émeutes à la télévision, les rayons déserts d’un supermarché d’où ne résonne plus que la mélodie cyniquement guillerette d’une chanson pop... La mise en scène se déleste de toute surenchère apocalyptique. Tel le froid qui s’infiltre au travers de nos vêtements, la fin de l’humanité se glisse au plus profond de notre chair, glaçante et inéluctable.
Quesaco ?
Le problème survient malheureusement lors de l’épisode suivant, au moment de prendre la route en compagnie de Kirsten et de sa Symphonie Itinérante, sympathique communauté hétéroclite qui par certains aspects rappelle la troupe circadienne de « la caravane de l’étrange ». Certains dialogues nous apparaissent alors particulièrement nébuleux. On se dit que, naturellement, ils finiront par prendre sens au fur et à mesure que les enjeux commenceront à se dessiner. Mais ils s’accumulent sans que l’on parvienne à discerner lesquels se doivent d’être gardés en mémoire. Autant, pour tout ce qui a trait à la pandémie et aux événements qui lui sont antérieurs, on arrive à suivre. Mais dès lors que la Symphonie pointe le bout de son nez, comprendre les intentions des personnages devient une vraie gageure. De fait, le plaisir en prend un coup et c’est particulièrement frustrant !
Quelles ambiances !
C’est frustrant car sur beaucoup de plans, « Station eleven » n’est pas avare de qualités. Les acteurs campent intelligemment leur personnage, évitant aux dialogues une lourdeur prétentieuse qui achèverait de nous détourner de la série. Mackenzie Davis fait une nouvelle fois preuve d’une palette de jeu tout à fait convaincante mais elle n’est pas la seule. Ainsi, Matilda Lawler en Kirsten enfant s’avère assez bluffante malgré son jeune âge. Par ailleurs, la réalisation parvient à distiller pour chacun des différents lieux une ambiance tout à fait singulière. En plus de l’atmosphère subtile de fin du monde mise en scène lors du premier épisode, le sentiment de froid permanent qui émane de l’appartement où Jeevan et Kirsten ont trouvé refuge devient contagieuse. On est transi pour eux. A l’inverse, l’aéroport investi par Clark et ses compagnons apparaît comme un havre coupé du monde et protégé des dangers potentiels du dehors. Ce dehors où la nature sauvage a repris ses droits au milieu de villages fantômes désormais en proie aux pillards. L’humain doit désormais se protéger aussi bien de la rudesse du climat et de ses paysages arides que de ses semblables. Il serait donc seul, simplement accompagné d’outils qu’une ère révolue lui a généreusement légués, si l’art ne lui permettait pas de faire front contre la barbarie.
L’art ...
Car en dépit des circonvolutions incessantes de la narration, le message prédominant de la série paraît limpide et bienfaiteur. Il échappe en tout cas à la logique survivaliste prégnante dans la plupart des scénarios post-apocalyptiques. En effet, l’homme semble ici en mesure de ne pas tomber dans la rhétorique insidieuse qui voudrait que pour ne pas être tué, il faut tuer soi-même. Pour cela, il se doit de s’affranchir des différends et des rancœurs susceptibles de faire ombrage à l’entraide et à la communion entre les êtres. Et si une clé permet d’accéder à cette fraternité, elle se situe dans l’art sous toutes ses formes (chanson, théâtre, bande dessinée). Lui seul parvient à mettre en scène les conflits humains de manière à faire grandir ceux qui auront pris le temps de s’imprégner de sa puissance cathartique et universelle. Ainsi, la série nous abreuve de scènes shakespeariennes assez envoûtantes et de chants unificateurs. Cette douce morale se revêt donc d’un onirisme qui finit toutefois par tendre vers la mièvrerie lors d’un final un brin larmoyant auquel il est bien difficile d’adhérer émotionnellement.
Un parti-pris créatif : on adhère ou pas ?
Mais pour apprécier l’ensemble des éléments évoqués, il convient surtout de faire preuve d’un lâcher prise conséquent afin de ne pas focaliser son attention sur l’aspect tortueux de la narration. Il faut également accepter de se laisser bercer par une lenteur qui peut vite virer à l’ennui si on est déjà bien occupé à reconstituer les pièces d’un puzzle excessivement alambiqué. De fait, la faute en revient principalement à un montage qui abuse des bonds temporels. Il donne le sentiment que le récit a été découpé en de multiples tronçons disposés ensuite aléatoirement sans chercher à préserver sa cohérence. Ainsi, certains événements peuvent être évoqués alors qu’ils n’ont pas été portés à notre connaissance. Telles des images subliminales, certains « flashs » apparaissent parfois, semblant faire le lien entre les différentes strates narratives et nous venir ainsi en aide. Ils brisent surtout de manière saisissante et efficace la torpeur parfois inquiétante dans laquelle cette histoire tend à nous plonger. Cependant, à la différence d’un « Leftovers » qui assumait ses zones d’ombre et demandait au spectateur de les ressentir plus que de les comprendre, « Station eleven » nous fait naviguer continuellement entre deux eaux : doit-on délaisser le contenu pour profiter de son ambiance ou au contraire chercher à en reconstituer sa logique ? Toutefois, même cette seconde option paraît impuissante à décrypter l’attitude et les agissements de certains des protagonistes. Pour exemple, on assiste à un attentat suicide et à une tentative de meurtre… Dans quel but ? Quels motifs incitent les personnages à user d’une telle violence ? Dès lors, il semble que si la magie nécessite un savant dosage des ingrédients à disposition, « Station eleven », malgré ses bonnes intentions, peine à en faire bon usage. C’est d’autant plus dommage qu’elle est parvenue à envelopper son histoire d’un halo mystérieux qui contribue à la rendre atypique et envoûtante.
https://seriephiledudimanche.jimdofree.com/2022/11/26/station-eleven/
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Créée
le 27 nov. 2022
Critique lue 31 fois
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