On peut d’ores et déjà se réjouir que Cartoon Network diffuse une série supposément pour enfant assez progressiste pour prôner la tolérance, l’ouverture d’esprit, le libre-arbitre et le dépassement des stéréotypes avec autant d’emphase. Steven Universe est l’exemple paradigmatique de la feel-good serie, véhiculant un message positif à chaque épisode, dont le fil rouge prend du temps à prendre forme mais dont la progression est très agréable à suivre au fil des cinq saisons. Dans un archipel de productions ultra formatées, cette série est un véritable souffle d’air frais, qui parvient à régulièrement se départir du schéma narratologique classique sans pour autant négliger d’enrichir ses personnages d’expériences tantôt burlesques, tantôt plus musclées.
Car Steven Universe a également la force de ne pas se focaliser sur un unique individu (bien que Steven monopolise logiquement l’attention de par sa nature de personnage principal) et sa galerie de personnages, très caractérisés sans être stéréotypés, évolue sans facilité scénaristique et avec régularité (Péridot remporte la palme à ce niveau-là). Malgré le basculement du « mal » vers le « bien » (dans une logique plutôt axée sur la distinction gentils/méchants) de certains personnages, subsiste un relent de dualité trop évidente par instants, notamment chez certaines gemmes comme Jaspe ou les Rubis naïves dont la "conversion" s'avère impossible ; pour autant, bien plus qu’un manichéisme bas-du-front, ce procédé place Steven Universe au-dessus des stéréotypes scénaristiques prônant le triomphe irrévocable du bien (tendance que le dernier épisode viendra hélas infléchir), ce qui lui donne une certaine caution de lucidité quant à la causalité des caractères.
Le personnage de Steven lui-même, particulièrement horripilant dans les premiers épisodes (avec sa voix suraigüe et sa propension assez insupportable à toujours faire le clown dans les moments les moins appropriés, n’apportant pas toujours l’effet comique escompté), joue son rôle de pivot à la perfection au fur et à mesure de son gain en maturité. La morale de chaque épisode vient systématiquement de ce personnage, ce qui peut parfois poser un problème de crédibilité eu égard à son éducation quasi inexistante (l’excuse de l’école de la vie n’est pas un substitut adéquat, aussi longtemps que la connaissance du monde ne demeure que partielle sans une base théorique qu’un gamin de 12 ans ne peut avoir les capacités d’acquérir seul) mais n’en demeure pas moins essentiel aux valeurs que véhicule le cartoon ; prôner une tolérance qui serait inhérente au monde tel qu’il est, d’aussi loin qu’il est contemplé par le regard naïf et vierge de l’enfance. Le procédé est habile.
Évidemment Steven Universe est une série très bien animée – on n’en attend pas moins d’un dessin animé sorti des rouleaux de Cartoon Network –, très colorée sans se montrer outrancière et fourmillant de détails, dont la qualité s’améliore au fil des saisons (et heureusement, les rares défauts d’animation des premiers épisodes se remarquant malgré tout particulièrement) et servie par une BO toujours calme et lénifiante, même lors des scènes de combat. À ne surtout pas regarder en période de dépression donc, par risque de s’engoncer dans une tristesse que le bonheur et la couleur ambiants ne feront qu’amplifier.
Des regrets sur la durée ?
Oui, malheureusement… un point de vue trop utopique sur les valeurs de la série, une propension parfois exagérée à verser dans le pathos, de très faibles nuances dans les principes anti-tolérances mis en opposition avec la ligne directrice de Steven Universe – un point, hélas, contre lequel dix minutes par épisode ne peuvent concrètement pas grand-chose, exception faite des quelques doubles-épisodes –, de la complaisance trop appuyée et une tension dramatique assez faible dans les passages clés. Sans parler de la qualité substantielle de quelques épisodes, ce qui témoigne d’une relative irrégularité scénaristique sans être préjudiciable au fil rouge, chaque épisode apportant un grain de sel bienvenu dans le déploiement de l’intrigue.
Steven Universe est à mettre entre toutes les mains ; si les mains en question lâchent l’affaire au bout de quelques épisodes seulement ne vous inquiétez pas elles n’appartiennent pas forcément à des fachos, seulement à des personnes trop déprimées dans la vie de tous les jours pour sourire facétieusement à n’importe quel feel-good program... ou juste pas assez progressistes.