Bien que bénéficiant d’une renommée modérée dans le monde des séries, souvent considérée à tort comme une série d’ados, « Supernatural » possède pourtant des mérites certains, l’amenant à atteindre une qualité qu’il aurait été impossible de prévoir à son commencement. S’aventurant dans un nombre de saison à deux chiffres, elle parvient malgré tout à garder un niveau très appréciable, même s’il elle n’évite pas quelques écueils propre aux séries qui durent longtemps.
« Supernatural » c’est d’abord l’histoire de deux frères. Après la mort brutale de leur mère dans des circonstances affreuses, ils sont devenus, avec leur père, des chasseurs : des humains qui recherchent des événements étranges, identifient et éliminent des menaces surnaturelles.
Dean, l’ainé, est désinvolte et irrévérencieux. Il a suivi son père sans hésitations, obéissant sans poser de questions. Il donne une image cool, d’homme fort, viril, ignorant la peur et draguant les jolies filles. Mais quand il souffre il prend tout sur lui et prend bien garde à ne rien montrer, à ne surtout pas se montrer faible. C’est le grand frère et il prend très à cœur son rôle de protecteur, n’hésitant pas à donner sa propre vie pour Sam. Mais à la mort de leur père, il commence à réaliser que cette vie leur a trop coûté, qu’elle leur a demandé trop de sacrifices. Il finit par se demander ce qu’aurait pu être sa vie si les événements s’étaient déroulés autrement. Il ne veut plus être le gentil soldat obéissant de leur père. Il est celui qui souffre le plus de chaque perte, où chaque disparition le renvoie à sa propre solitude.
Sam, le plus jeune, est le plus réfléchi. Contrairement à son frère, il se disputait fréquemment avec leur géniteur. Pourtant malgré leurs altercations, il était plus proche de lui que Dean : les deux tenaient plus à la vengeance qu’à préserver la famille. Il n’aimait pas cette vie, sans attaches, toujours à se déplacer, jusqu’à ce qu’il en ait eu marre et décide de rompre les ponts. Quand ce monde qu’il croyait avoir quitté frappe de nouveau tragiquement, il abandonne tout et se jette entièrement dans la chasse. Bien que de nature moins violente que son frère, il possède un fond sombre qui l’a amené parfois à s’approcher de très près de la ligne rouge.
Les deux frères ont vécu sur les routes, baladés de villes en villes, de classes en classes. Ils ont été éduqués à la dure par leur père. Tandis que les autres enfants apprenaient à jouer au foot, eux ont appris à tuer des monstres, affrontant ce qu’aucun enfant ne devrait affronter.
Ils ne peuvent compter que l’un sur l’autre. Le puissant lien qui les unit est à la fois leur force et leur faiblesse. Leur force car il leur permet de résister aux diverses influences qui pourraient les amener à perdre pied, de continuer le combat coûte que coûte, de toujours se relever. Et leur faiblesse car ils seraient prêt à tous sacrifier pour sauver l’autre, y compris leur propre vie, y compris pactiser avec le diable… une faiblesse que leurs ennemis connaissent bien et qu’ils exploitent. S’ils se sont plusieurs fois séparés, parvenant parfois à profiter d’un court repos, ils ont toujours finis par se retrouver, reprendre la même vie, quitte à laisser derrière les personnes rencontrées en chemin.
Deux tempéraments opposés. La force et l’intelligence. Une équipe efficace, ce qui n’empêche pas de nombreux conflits, exacerbés par leur relation entre frères.
La série parvient à concocter un mélange de ton étonnant. Des épisodes peuvent se montrer très sombres, d’autres complètement décalés, et la plupart du temps les deux à la fois. Ainsi les Winchester se retrouvent à la merci d’un illusionniste farceur qui les plonge dans une téléréalité burlesque avant de se la jouer experts et sitcom ! Une autre fois ils se retrouvent dans un monde parallèle où leurs aventures sont racontées dans une série et où ils rencontrent les vrais créateurs du show ! Une mise en abîme qu’affectionne bien la série. Ou bien encore lorsque Sam revit sans cesse le même jour finissant inlassablement sur la mort de Dean dans un festival d’humour noir. Dean, celui souvent victime des sorts, est devenu ainsi très peureux (on le voit crier de peur devant un chat), et on le voit même se comporter comme un chien. Des moments bien souvent hilarants pour une série pourtant bien plus sombre que les séries pour ado que vise principalement la CW.
La série jouit d’une réalisation maîtrisée, tant au niveau de l’horreur que du suspens que du jeu d’acteur. Elle bénéficie également d’un bel habillage musicale, orienté rock, tel « Carry On Wayward Son » véritable symbole de la série qui revient à chaque premier et dernier épisode accompagnant des extraits des épisodes de la saison passée ou de celle qui vient de s’écouler.
Les menaces sont nombreuses et variées. Vampires, loups-garous, djins, métamorphes et autres monstres variés du folklore, démons, esprits, magie noire, malédictions, divinités en manque de sacrifices humains… avec à chaque fois des méthodes propres pour les combattre : exorcisme, sceau de protection, armes spéciales, sel pour éloigner les démons, balles d’argent pour les loups-garous, ou encore brûler les cadavres des esprits. Une variété de situations et un vaste terrain mythologique à l’origine de la longévité de la série.
Durant les deux premières saisons, les épisodes sont majoritairement indépendants, même si une mythologie se met lentement en place (retrouver leur père, connaître le plan du démon aux yeux jaunes). Dès la saison 3, la mythologie prend plus de place (combattre Lilith) pour devenir prépondérante (empêcher la venue de Lucifer, éviter l’Apocalypse). La saison 4 voit ainsi les réponses arriver, les plans du démon aux yeux jaunes, sa présence lors de cette nuit fatidique… Cette saison voit aussi l’arrivée d’un élément clé de la série : les Anges. Mais ces anges là n’ont rien à voir avec de gentilles créatures divines avec une auréole sur la tête. Ce sont des guerriers insensibles et méprisants, ne montrant aucune pitié envers l’humanité, dérisoires dommage collatéraux dans leur lutte contre les démons. Initialement perçus comme des puissants alliés, ils vont dévoiler des objectifs bien moins nobles…
La saison 4 place ainsi les pièces de l’apocalypse destinée à s’accomplir. Le combat final entre le Bien et le Mal, au détriment de l’humanité, avec au milieu les deux frères, face à des rôles prédestinés qu’ils rejettent. A bout, désespérés, la souffrance des pertes subies, la culpabilité de ne pas avoir pu les sauver, celle encore plus forte d’avoir joué un rôle dans les catastrophes qui s’enchaînent, l’impression d’un combat sans fin, sans espoir, une solitude dévorante… Tout aurait pu les diviser, pourtant ils sont restés plus liés que jamais, unis dans une lutte qui semblait impossible. Une saison à laquelle on pourrait reprocher de trop se focaliser sur l’apocalypse, mais qui s’achève sur une fin cohérente et poignante et qui aurait pu tout à fait conclure la série.
Les cinq premières saisons ont été pensés à l’avance et cela est très appréciable, cela permet une cohérence qui manque à certaines séries. Des éléments des premières saisons se retrouvent dans les dernières, des questions trouvent leurs réponses. On apprend à mieux connaître les deux frères, leur père, les relations qui les unissent, au travers de divers histoires, comme les voyages dans le temps qui les amènent à découvrir leurs parents jeune version retour vers le futur. Ainsi ils finissent par pardonner à leur père de leur avoir donné une éducation qui peut sembler très condamnable, car ils comprennent qu’en en agissant ainsi il leur a sauvé la vie. Et aussi une affaire impliquant une de leur rencontre passée, l’occasion de retrouver les deux frères à l’école, ou encore lorsqu’ils échouent au Paradis, où ils découvrent leur version très différente du bonheur. Malgré le nombre de personnages réduit la série parvient à suffisamment trouver de quoi raconter.
Mais les Winchester ne sont pas non plus seuls. Ils peuvent compter sur l’aide de Bobby, un vieil ami de leur père, qui va prendre une place de plus en plus importante. Bourru, il renferme pourtant en lui la culpabilité d’avoir du tuer sa femme, possédée par un démon, et comme tout chasseur le fardeau d’une vie qui ne peut que se terminer douloureusement. Et aussi Castiel, l’Ange qui s’est découvert des sentiments humains et qui s’est greffé à l’équipe. Désobéissant à ses semblables, il est devenu le plus puissant allié des Winchester, même si dans ses tentatives pour restaurer l’ordre au Paradis, il a commis des actes très condamnables. Ses difficultés pour comprendre l’humanité, notamment les références culturels de Dean, font partie des meilleurs moments comiques. Et enfin Crowley, démon cynique aux sarcasmes savoureux propre à figurer dans les répliques cultes, qui a du à plusieurs reprises s’allier aux chasseurs pour lutter contre des menaces communes. Une association qui n’est pas sans créer des étincelles. Apparu tardivement, il est devenu un des personnages principaux, tant les scénaristes ont heureusement compris qu’ils n’avaient pas intérêt à l’éliminer.
La décision de continuer au-delà de la durée prévue pouvait s’avérer discutable, tant une telle décision est bien souvent le signe du déclin (j’étais moi-même sceptique), mais les créateurs s’en sont bien tirés. Ils ont prolongé la mythologie tout en la respectant, faisant de Crowley un personnage incontournable. Ils sont parvenus à se renouveler malgré le nombre de plus en plus important de saisons, une prouesse pour une série mythologique, et à conserver une fraîcheur suffisante. Malgré des dizaines d’épisodes passés à éliminer des menaces surnaturelles, les scénaristes parviennent toujours à inventer de nouvelles situations où les Winchester ont bien du mal à déterminer l’origine de la menace, et se retrouvent confrontés à des affaires bizarres même pour eux. La saison 6 s’avère même l’une des meilleures saisons, avec plusieurs rebondissements surprenants, plusieurs intrigues liées regroupant à la fois les démons, les anges et les monstres. Alors certes, on ne retrouve plus cette cohérence qui s’étalait d’une saison sur l’autre. Certaines intrigues sont plus faibles que d’autres, comme les Léviathans dans la saison 7 (la saison la plus faible). Et des événements répétitifs se produisent néanmoins, Dean et Sam mourant avant de revenir à la vie (surtout Cass en faite), passant un petit séjour en Enfer ou au Purgatoire qui les aura beaucoup affecté, jusqu’à ce qu’ils s’en remettent. Ils ont une grosse dispute en début de saison avant de faire de nouveau équipe comme avant. Les scénaristes ont pris l’habitude de régulièrement supprimer les personnages devenus récurrents, occasionnant de nouvelles épreuves aux deux frères qui se retrouvent à chaque fois seuls. Une tendance qui permet certes d’apporter de nouvelles têtes –comme la géniale geek lesbienne jouée par Felicia Day- et d’émouvoir, mais peut-être parfois un peu trop poussée. D’ailleurs, après tant d’années, les Winchester en ont tellement pris plein la tronche, ont tellement souffert, désespéré, culpabilisé, connu des repos trop éphémères, qu’on en vient à souhaiter qu’enfin ils se reposent et sauvent le monde une bonne fois pour toute.
Mais tant que la qualité se maintient, je suis demandeur ! De toute façon comme l’a dit le Prophète, « les fins sont toujours difficiles à écrire, car les fans ne sauront jamais satisfaits »…