The Wire est un peu à la série ce que les variations Goldberg sont à l'histoire de la musique.
C'est pourquoi elle incarne à merveille le supposé "âge d'or de la série" et pourquoi tout le monde (sauf les connards) est d'accord pour dire qu'il n'y aura jamais mieux.
On a pensé que les moyens étaient la mesure de cette nouvelle ère, incarnée pour beaucoup par l'incursion de la saga des CSI, qui en est un pourtant au final l'antithèse, réaction petit-bourgeoise, poudre aux yeux. Acteurs fameux, réalisation stylée, effets et blagues modernes. The Wire n'est rien de tout cela, rien que la dramaturgie du quotidien, la banalité de la réalité, presque... acteurs amateurs ou inconnus, des répliques plates, une réalisation qui effectue une synthèse parfaite entre Michael Mann et documentaire, une illusion de réalité, hyperréelle, trop réelle, une ville objet partiel fantasmé.
The Wire n'a pas la fin trop réussie de Breaking Bad, ou celle suffisamment ratée de The Sopranos. La série peut se permettre de se déliter, c'est normal, elle n'a pas à chercher le point d'orgue, sa musique est ailleurs, elle se s'éteint quand l'interprète arrive au bout de l'inspiration et les variations tarissent. Les demi-habiles pensent que la dialectique est une façon de réconcilier les contraires, mais manquent qu'il s'agit avant tout d'une théorie critique et que la totalité n'abolit pas la contradiction. Il n'était que naturel dans ce cas que la fin soit décevante, puisqu'elle ne peut faire que le constat de l'antagonisme structurant.
On aime à répéter qu'à l'époque de sa première diffusion, chaque semaine, une heure durant, les agents de police de Baltimore n'entendaient plus rien sur les lignes de téléphone alors qu'une ville entière assistait à l'écran à sa vie propre. La seule chose que l'on puisse objecter valablement à The Wire est l'impasse politique. Dans une ultime tentative de collecter les pièces d'un puzzle jamais achevé il recourt à la métaphore usé de la spirale, de l'éternel retour du même, ce repaire vaguement réactionnaire de la pensée, sinon il est un objet parfait, un diamant aux facettes infiniment reflétées les unes dans les autres, l'idée que la télévision peut pour un moment épouser le monde et le faire objet de jouissance artistique, qu'il peut se donner à voir, humblement, presque pudiquement, comme double, rêve de soi-même. L'échec n'est tolérable que devant le poids de la contradiction, accumulée patiemment heure après heure.
Peu de shows ont si consciemment défié les règles de la narration cinématographique, alors que bien souvent, les séries ne sont que des films qui durent des heures et les films ne sont que des séries qui durent des minutes (coucou the Irishman). The Wire est un Twin Peaks qui se passe sur terre, dans la caverne, dans la boue de la réalité, là où l'action est toujours, ainsi qu'il se doit, réaction. No plan, no gods, just men, et quels hommes! Au final, la série triomphe parce qu'elle montre que l'humanité est toujours déjà là, jetée dans le monde, éperdument, et qu'il n'y a que deux options: trahir en fermant les yeux ou plonger plus profondément, le regard rivé dans l'abysse.
Les vrais hommes agissent parce qu'ils réagissent, seuls les salauds veulent forger leur propre destinée.