Cette série m'a été chaudement recommandée par mes proches. Elle est effectivement originale dans son thème et son format. Enfin, originale... Disons que l'intensité de la plupart des épisodes de la première saison n'est pas sans rappeler celle qui nourrissait déjà le film The Chef (Boiling point de son titre original, qui en dit encore plus sur la question) de Philip Barantini en 2022. The Bear poursuit donc l'alimentation de ce fantasme d'un monde de la cuisine sous le feu constant d'une action nourrie aux pépins, aux insultes, aux cris et aux gestes parfaitement maîtrisés de coupe ou de glaçage, dont l'esthétique est exploitée ad-libitum. Le montage joue un rôle éminemment moteur, mais il ne vient pas ici servir de béquille à une intrigue au rabais, ce qui était précisément le cas de Boiling point.
Parce que si formellement The Bear impressionne par son image, son ambiance sonore, son rythme et son montage d'orfèvre, c'est donc surtout a posteriori qu'elle séduit par son scénario et l'écriture de ses personnages, notamment Richie et Sydney. L'ensemble du casting est très réussi et efficace, affichant parfois une connivence qui semble dépasser ce qui se passe devant la caméra. Et si la plupart des acteurices méritent d'être salués, l'actrice Ayo Edebiri dévore littéralement la première saison de sa présence et de son bagout. Les créateurs du show s'en sont vraisemblablement rendus compte et ont rééquilibré l'écriture vers les autres personnages au gré des saisons 2 et 3, avec son lot de succès. Parmi eux, Ebon Moss-Bachrach qui interprète un poignant RIchie donc, mais aussi Abby Elliott qui incarne à merveille Nathalie, cette sœur au rôle de soutien permanent, et de plus en plus marqué, d'une famille dysfonctionnelle, ou encore - il serait injuste de ne pas la citer - une Jamie Lee Curtis absolument bouleversante à chaque fois qu'elle apparait.
En explorant l'inaptitude au deuil de ses personnages principaux et les heurts entre leurs trajectoires distinctes voire contradictoires, la série livre des moments dont l'intensité se déplace du rythme vers l'émotion, avec une réussite croissante au fil des saisons.
Cette transition cathartique ponctuelle dans la saison 1 est embrassée comme un véritable moteur de l'intrigue dans la saison 2 qui relègue globalement son rythme effréné à une poignée d'épisodes où se jouent des climax de l'intrigue. Le reste, et c'est cohérent avec l'évolution du scénario, donne lieu à de bien plus calmes épisodes et surtout plus approfondis, avec un véritable talent d'écriture. On respire alors beaucoup mieux et le temps long réorganise le propos de la série autour de la trajectoire de ses personnages. Ce tempo salutaire désenglue également The Bear de sa portée tragique et lui redonne un souffle optimiste et bienveillant qui fait du bien au cœur.
La saison 3 augurait une remise en musique autour de nouveaux enjeux de ce collectif de personnages en quête de hauteur, enfin pansés d'une partie de leurs démons. En termes de rythme, la synthèse est bien là : le résultat se situe entre 1 et 2. Du point de vue de l'écriture des personnages en revanche - qualité non démentie du programme- le résultat fluctue au profit d'une empathie de plus en plus marquée du spectateur pour des personnages comme Richie. D'un autre côté, le schématisme du personnage de Claire est remplacé par celui des Faks, proportionnellement aussi peu crédibles qu'ils sont attachants et présents à l'écran.
L'intrigue principale trouve toujours matière à se poursuivre dans les éternelles failles communicationnelles et affectives des personnages, conséquences de traumatismes qui peinent cependant à se résoudre. Sans son hommage toujours aussi marqué à la gastronomie ni ses réelles qualités formelles, la série pourrait cependant souffrir de ne pas trouver une conclusion rapide. Des amorces poussives de résolution émergent mais Christopher Sorer semble vouloir se laisser le temps de les amener. Il est temps de les servir. Hands !