Elisabeth, à quoi tu sers ... ?

Maintenant que "The Crown" est terminée, on peut enfin parler de la série en entier.

Chacun aura ses raisons de regarder (ou pas) cette série, qui commence à une période que quasiment 100% d'entre nous n'ont pas connue (l'accession au trône de la Reine Elisabeth II) et se termine dans un flou chronologique pudique quelques mois ou quelques années avant des événements que nous avons tous fraîchement en mémoire : son décès et sa succession.

J'avais, moi, une quinzaine d'années lors du mariage de Charles et Diana. Certaines de mes amies étaient fascinées par l'événement (au point que l'une d'entre elles est devenue prof d'anglais suite à son adoration pour la Royal Family). Moi, je m'intéressais déjà à la politique (en mode 15 ans, mais c'est mieux que pas du tout), et je me demandais le pourquoi et le comment de cette famille royale. Pendant 4 décennies, je n'ai pas vraiment eu de réponse à mes questions. Une "télé-réalité" qui a réussi ? Ca ne suffit pas pour être le souverain de 15 (quinze !) états, dont 4 prépondérants (que les autres ne m'en veuillent pas). Comment et pourquoi "une" personne, ou plutôt une institution, exerce-t-elle autant d'influence politique tout en n'ayant aucun pouvoir, et, pire encore, l'obligation de ne jamais exprimer la moindre opinion personnelle ? Car le fait est là : la Reine (ou le Roi, d'ailleurs) est capable de réunifier une nation, mieux qu'aucun politique ne saurait jamais le faire. Serions-nous, peuples, un troupeau de moutons aveuglés par les paillettes, la célébrité et le paraître ? On ne peut pas réduire le phénomène à cela, non plus. Et on ne saurait non plus le comparer aux autres monarchies constitutionnelles encore en vigueur de nos jours, qui ne sont plus que des "people". Je restais donc avec ma question "à quoi sert la monarchie britannique" ?

60 heures de "The Crown" plus tard, j'ai enfin la réponse. Chaque épisode, que dis-je, chaque instant de cette série est un éclairage, une tentative de réponse à cet enjeu remarquablement posé dès la première saison : "the efficient and the dignified". Ce ne sont pas les scénaristes qui l'ont inventé, d'ailleurs, mais bel et bien la Constitution du Royaume-Uni. Et quelles que soient les tentatives de la Queen, comme celles de tous ses prédécesseurs et de tous ses successeurs (Edouard VI, Elisabeth elle-même, Philip, Margaret, Charles, Diana, et jusqu'à William et Harry), de se rebeller contre cet état de fait, il s'impose. "The dignified" est indispensable, tout au moins dans la culture britannique. Et Elisabeth en est consciente, tout autant qu'elle est consciente de la fragilité de cette force immatérielle qui ne repose, objectivement, sur "rien". Vue sous cet angle, la série a un parti-pris résolument monarchiste, qu'on apprécie, ou pas, mais qui est explicité à chaque instant, et dans lequel Elisabeth n'est ni une héroïne, ni une victime, juste un rouage dévoué de cette énigmatique machine, à la fois microscosmique et gigantesque, qu'elle avait juré de servir jusqu'à la fin de ses jours - ce qu'elle fit.

"The Crown" est une série formidable.