Pilote : 9/10
Série hyper attendue de l'année 2017, comme chaque nouveau bébé de David Simon depuis "The Wire", "The Deuce" débute par un épisode pilote effectivement très prometteur, qui propose un excellent dosage entre le côté accrocheur d'une série et la dimension cinématographique d'un long-métrage.
Une reconstitution superbe d'une époque qui fait rêver, une atmosphère funkadelic, des personnages intrigants : tous les ingrédients semblent au rendez-vous d'une série haut de gamme.
Y compris des comédiens qu'on adore : James Franco déjà impressionnant dans son double rôle, l'excellente Maggie Gyllenhaal, ainsi que la très jolie Margarita Levieva et ses faux-airs de Shakira.
Si l'on ajoute des dialogues soignés, un ton adulte qui ne recule pas devant le sexe et la nudité, ainsi que le style naturaliste inimitable de David Simon... N'en jetez plus!
Finalement le seul risque après un tel démarrage, c'est que la suite ne soit pas à la hauteur...
Saison 1 : 8/10
Après 8 épisodes, cette saison initiale de "The Deuce" (un terme qui désigne le diable, et correspond surtout au surnom de la 42ème rue de Manhattan) se révèle excellente.
De très beaux personnages (et des comédiens à l'avenant, à l'image da la révélation Emily Meade), un regard sociologique pertinent (doublé d'une reconstitution magnifique des seventies), une mise en scène de premier plan : bref, encore une belle réussite pour David Simon et son co-auteur l'écrivain George Pelecanos.
Le principal bémol réside dans l'absence d'une intrigue forte et addictive, l'aspect choral éparpillant quelque peu les arcs narratifs et les thématiques (parfois d'un intérêt inégal), en sachant que Simon se refuse à l'utilisation des procédés traditionnels de type cliffhanger ou twist.
On pourra aussi regretter qu'il faille attendre les tout derniers épisodes pour aborder les prémisses de l'industrie pornographique, qui apparaissait pourtant comme le sujet central.
Saison 2 : 9/10
Je ne sais pas si cette deuxième saison est véritablement meilleure que la première, mais personnellement je l'ai encore plus appréciée.
On connaît désormais la plupart des personnages, on s'est attaché à eux, on est bien dans l'ambiance, et puis surtout on s'éloigne quelque peu des trottoirs de the Deuce au profit des coulisses et des sunlights du porno proprement dit, en suivant notamment les prouesses de Candy, Lori et Larry dans leur nouvelle activité.
Cela dit, on ne quitte pas complètement la 42ème rue, loin s'en faut, puisque les macs et leurs filles conservent un rôle considérable, sans oublier les deux frangins Vince et Frankie et leur entourage mafieux.
Ca bouge un peu plus y compris sur le plan narratif : les péripéties se multiplient, même si on regrettera que certains événements soient traités de manière trop rapide et superficielle (les décès, par exemple), en raison de la dimension chorale du show.
En tout cas "The Deuce" propose toujours une atmosphère unique, on a vraiment l'impression de voyager dans le New York des seventies, grâce à une reconstitution toujours remarquable et une BO de folie à coloration funky et disco.
Vivement la troisième saison, située dans les années 80 - lorsque la mairie de New York reprendra en main le quartier - qui devrait aussi être la dernière.
Saison 3 : 9/10
Sur le plan du format, voilà une gestion de série exemplaire : 3 saisons prévues et annoncées, avec une structure temporelle correspondante (et une ellipse de plusieurs années entre chaque saison), on s'y tient et on propose quelque chose de cohérent, sans diluer la sauce ni accélérer le mouvement en fonction des audiences.
Résultat : David Simon et George Pelecanos nous offrent une ultime salve de 8 épisodes particulièrement réussis et intenses, qui vient clore intelligemment l'existence collective de la 42ème rue, et le parcours individuel de ses habitants.
Et comme on pouvait s'en douter, les conséquences de la gentrification ne sont guère reluisants, puisque la majorité des personnages finissent par connaître un destin dramatique, tandis que le quartier est rendu aux citoyens les plus friqués et les plus présentables (aux yeux des touristes notamment), mais bien entendu l'immense majorité des problèmes (drogue, prostitution…) subsistent malgré tout, délocalisés à quelques pâtés de maison de Manhattan…
Le ton de cette troisième saison se révèle donc résolument désabusé, entre l'émergence du SIDA, l'hypocrisie des pouvoirs publics, le temps qui passe sans faire de cadeau, et les désillusions vécues par les uns et les autres.
Pas de misérabilisme cela dit, ce n'est pas le genre de la maison, on se marre toujours beaucoup (la perruque de Chris Bauer!) et on est régulièrement bluffé par une attitude, une situation, une ligne de dialogue… Et puis quelques (rares) persos parviendront tout de même à évoluer et à trouver leur voie...
N'empêche, entre maladie, suicide et règlement de compte, la population de "The deuce" va connaître un taux de mortalité particulièrement élevé, en particulier dans la seconde partie de la saison.
Pour transcender cette atmosphère sombre et désenchantée, la série s'achève sur une magnifique séquence finale située en 2019 dans le quartier tel qu'il est devenu, une scène aussi envoûtante que mélancolique - sur la voix déchirante de Debbie Harry interprétant "The sidewalks of New York" - qui voit un vieux James Franco recroiser les principaux protagonistes de ces trois saisons, échangeant parfois un ou deux mots, parfois un simple regard…
Personnellement c'est l'une des plus belles fin de série TV que j'ai eu l'occasion de voir, avec une charge émotionnelle qui viendrait presque rivaliser avec les dernières minutes de "Six feet under"...
A l'heure du bilan, "The Deuce" se place donc très haut dans mon panthéon personnel : certes, le show n'aura jamais la dimension addictive de certaines séries qui vous incite à enquiller les épisodes les uns derrière les autres, mais Simon et Pelecanos auront crée des personnages haut en couleurs et attachants, reconstitué avec rigueur et passion un décor et une époque incroyables, trouvé un ton singulier et une narration adaptée.
Une série formidable centrée sur l'atmosphère et les personnages, et sur un sujet passionnant qui éclaire avec pertinence des questions sociétales encore très contemporaines. Merci et bravo.