Non, vous ne rêvez pas. La caméra tangue souvent, dans The Expanse. Elle tangue, oui. Beaucoup. Très. Très. Souvent.
Il s'agit d'une technique relativement courante de mise en scène dans maintes séries et maints films de science-fiction : filmer l'espace ainsi a toujours été un moyen, non seulement de traduire les sensations de l'apesanteur, mais également un sentiment d'oppression face à l'immensité spatiale, la peur d'être perdu, seul, au milieu de cette étendue vide, sombre, et froide.
La seule différence avec le sujet de cette critique étant que, dans The Expanse, la caméra tangue même dans les vaisseaux, même une fois le pied sur la terre ferme, même dans les colonies, même dans les stations spatiales. Ces humains ont beau avoir la possibilité d'y voyager à grande vitesse et de le coloniser, il semble que l'espace ne leur appartient toujours pas: l'oppression n'est jamais vraiment partie, et jamais nous ne ressentons réellement de confort lorsque nous parcourons les rues étroites de Cérès ou Eros. Chaque vaisseau rencontré ou parcouru par les protagonistes n'échappera pas au sentiment de claustrophobie latent, et ne fait que nous questionner sur la pertinence de ce futur que nous présente la série.
Un rapide synopsis concis avant de rentrer dans le vif du sujet : 200 ans dans notre futur, dans un système solaire entièrement colonisé, la Terre, Mars, et les colonies de la Ceinture d'astéroïdes s'empêtrent dans un jeu d'intrigues politiques. L'équipage d'un cargo spatial, et parallèlement, un détective en quête d'une jeune fille disparue, vont se retrouver mêlés à une immense conspiration menaçant la paix de tout le système.
Et pendant ce temps, un élément extérieur à ces guerres intestines ne cesse de grandir.
Vous l'aurez compris, il s'agit ici non pas d'un série de genre space opera mais de hard-SF pure et dure, globalement très réaliste, où chaque contrainte du voyage et de la colonisation spatiale sera mise en avant afin de contribuer à cette ambiance oppressante et étouffante.
La gestion du background n'en devient que plus brillante: nouveaux accents selon la colonie ou la planète, évolutions culturelles, crises migratoires, rivalités et alliances politiques, racisme, points de vues des peuples sur les autres, tout ces détails semblent minutieusement travaillés par les scénaristes pour nous proposer une expérience réaliste des plus bluffantes. Non seulement nous voulons croire à cet univers, mais nous croyons d'autant plus qu'il pourrait s'agir du nôtre.
Au-delà de l'intrigue principale (suivant l'équipage du cargo et leur péripéties à travers l'espace) et des jeux politiques centrés autour de la sous-secrétaire des Nations Unies terriennes, se mêle à tout cela une intrigue parallèle relevant presque de neo-noir futuriste : agent de sécurité dans la station Cérès, l'inspecteur Josephus Miller est chargé d'enquêter sur la disparition de Julie Mao, fille d'un riche homme d'entreprise terrien, ayant visiblement rejeté son héritage culturel pour se rallier à la cause de Belters radicaux, révolutionnaires pour certains, terroristes pour d'autres.
Comme pour le reste de l'intrigue je tairai globalement le déroulement de l'histoire pour vous pousser à voir la série par vous-mêmes, mais je me dois de remarquer l'audace et la poésie dans l'écriture de l'histoire de Miller, flic Belter désabusé ayant préféré faire face à cette dure réalité en s'intégrant parmi les terriens, enquêtant sur Julie Mao, fille terrienne ayant préféré tout abandonner pour servir le rêve de tout un peuple, voire le rêve d'une égalité totale souhaitée par beaucoup. La dualité des deux figures ne tombe jamais dans le niais, et l'utilisation des codes du noir est des plus efficaces, faisant non seulement de Julie Mao le cœur de l'intrigue globale mais également une figure symbolique mettant l'enquêteur face à ses propres tourments.
À quoi bon explorer les étoiles, le système et par-delà, si nous ne faisons que répéter le même schéma ? Il s'agit là d'une des principales questions que pose la série, en filigrane de cette fresque futuriste. Guerres, famines, massacres, discriminations, rivalités : la Terre est désormais unie, mais l'humanité n'en est que plus divisée, comme le démontrent les conditions de vie des Belters (natifs de la Ceinture) ou les inlassables tensions avec les Martiens, s'étant déjà bien émancipés de l'identité Terrienne. La diversité du groupe de protagonistes (parfois quelque peu archétypaux mais non pas moins dénués de profondeurs) ne fait que nous rappeler l'absurdité de ces conflits lorsqu'au final, se serrer les coudes entre individus peut-être pas si différents qu'on ne le pense est probablement la meilleure chose que l'on puisse faire face à cette réalité hostile.
L'être humain est enfin parvenu à explorer et coloniser l'espace, mais sa nature n'a cessé de prendre le dessus, ses erreurs et son avidité n'ont aucunement contribué à rendre cet environnement austère et inconnu plus accueillant: face à ce que nous propose cette histoire de science-fiction, on se demande si l'on voudrait vraiment explorer et coloniser l'espace, en fin de compte.
En saison 2, le sort du Nauvoo est assez symptomatique de la symbolique de la série: nous pensons aller plus loin de jour en jour, mais, vraiment, nous ne faisons que revenir en arrière.
C'est ça, la force de la science-fiction : parler de notre réalité à travers l'exagération d'une potentielle situation future.
La Terre que nous exploitons, que nous brûlons à petit feu, à laquelle nous avons arraché sa beauté pour la bétonner, finalement, il s'agit peut-être du seul lieu relativement accueillant qui nous est montré dans la série.
On était peut-être pas si mal, chez nous. Pourquoi l'avoir gâché ?
“We had a garden, and we paved it.”