The Killing
7.7
The Killing

Série DR1, Arte (2007)

"Lund ?" [Elle raccroche sans répondre]

Je ne sais pas s'il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark, mais ce qui est certain, c'est qu'il ne s'agit pas de The Killing ("Forbrydelsen", "Le Crime"), la série policière dont les trois saisons auront fait vibrer le monde entier et essentiellement placé le petit pays nordique sur la liste très sélecte des meilleurs pourvoyeurs de programmes télévisuels de qualité.


La diffusion de la première saison sur Arte il y a une douzaine d'années avait effectivement créé l'événement, en venant rompre la monotonie des sempiternelles séries américaines, britanniques et françaises ; en ce qui me concerne, il s'agit du dernier programme que ma famille et moi avons religieusement suivi tous ensemble, scotchés devant l'écran chaque vendredi soir, et ne serait-ce que pour cette raison, The Killing tient une place spéciale dans mon cœur. Mais même après toutes ces années, la création de Søren Sveistrup n'a rien perdu de son mordant ; elle demeure largement meilleure, à mes yeux, que tout ce que Netflix, HBO, Canal+ ou la BBC ont actuellement à offrir en la matière.


La prémisse n'avait pourtant rien de révolutionnaire, et The Killing a indéniablement profité de l'engouement scandinave suscité par les adaptations des livres de Stieg Larsson ; mais elle tire le meilleur parti de sa simplicité initiale, en pimentant les choses épisode après épisode. De fait, l'approche est totalement linéaire : chaque épisode correspond à une journée de la même enquête, mais fonctionne en poupée gigogne, en plantant les graines de l'épisode suivant. Sur l'ensemble des 20 épisodes de la première saison, il en résulte une certaine dose de remplissage pas toujours crédible, mais le tout est tellement bien tricoté et les personnages si attachants que l'on ne peut que se prendre au jeu.


Autre atout majeur de The Killing, en effet : ses protagonistes. Ils se divisent en trois catégories interconnectées, qui ne se contentent pas de réagir aux événements mais les font progresser tantôt parallèlement, tantôt de manière à s'entrechoquer : les policiers, les politiciens, la famille de la victime. Les premiers cherchent bien sûr à résoudre l'affaire, tandis que les seconds et les troisièmes les y aident ou leur mettent des bâtons dans les roues, selon la situation ou l'épisode - les intérêts des uns et des autres évoluent souvent d'un épisode à l'autre. Cette interdépendance engendre en retour une dynamique permettant d'investir le téléspectateur, bien plus que sur d'autres séries policières où tout est subordonnée à la seule enquête, qui n'est souvent qu'un job parmi d'autres pour la/les personnes(s) en charge.


Les trois saisons sont cependant relativement indépendantes les unes des autres, mais leur fil conducteur n'en reste pas moins l'enquêtrice principale, Sarah Lund, rendue célèbre par ses horribles pull-overs gris/noirs qu'elle porte en presque toute circonstance. Dire de Lund qu'elle est la caricature du flic scandinave, taciturne et tourmenté, serait faire insulte au talent de son interprète, Sofie Gråbøl. Là encore, tout est question de relation de cause à effet : c'est parce qu'elle ne lâche rien et fait (trop) bien son boulot que Lund échoue en tant que mère, fille et compagne. Son caractère asocial et obstiné n'est pas qu'un "gimmick", il est le cœur battant de l'histoire. C'est la complexité de son caractère qui fait de Lund une héroïne inhabituelle, frustrante mais attachante, loin des clichés souvent impartis aux protagonistes féminins.


Tous les personnages de The Killing, d'une manière générale, sont une réussite, ce qui doit autant au talent d'écriture de Sveistrup qu'au brio des acteurs danois, l'une des meilleures classes du monde. Je détaillerai certains d'entre eux dans mon examen des différentes saisons, mais il n'y a jamais la moindre fausse note parmi eux. Mention spéciale à la photographie, également, qui donne étrangement envie de visiter Copenhague (mais j'ai un faible pour l'ambiance crépusculaires des grandes villes nordiques), au montage énergique et à la bande-son, bien que très, mais alors très, répétitive - une demi-heure d'enregistrement pour 20x50 minutes, c'est quand même très juste...


Saison 1


Le cadavre de l'adolescente Nanna Birk Larsen est retrouvé dans le coffre d'une voiture louée par le parti politique de Troels Hartmann, jeune politicien dynamique, en pleine campagne pour la mairie de Copenhague. Veuf mais homme à femmes, Hartmann a-t-il quelque chose à cacher, ou s'agirait-il d'une manœuvre de ses adversaires ? C'est ce que doivent découvrir Sarah Lund et son coéquipier, l'impulsif Jan Meyer, tout en gérant les répercussions de l'enquête sur leur propre vie privée. Les parents de la victime, Theis et Pernille, doivent quant à eux faire face à la douleur de leur deuil, s'ils veulent sauver leur couple et éviter d'emprunter le chemin dangereux de la vengeance.


Tout ce que je disais sur le succès de la recette The Killing se retrouve d'entrée dans la première saison : le rythme est effréné, mais le format permet de développer les personnages au fur et à mesure de l'enquête elle-même. La relation d'abord très tendue entre Lund et Meyer (excellent Søren Malling), loin des standards habituels du buddy cop, se transforme petit à petit en respect, tandis que le couple Birk Larsen subit les différents stades des affres du deuil. Le père (Bjarne Henriksen) est tout en sobriété, géant digne et blessé ; le jeu de son épouse (Ann Eleonora Jørgensen) est parfois irritant, mais tous deux se complètent bien. Tous ces acteurs sont prenants, c'est aussi simple que cela, d'autant que Sveistrup leur donne du bon matériel pour travailler.


La partie "politique" est cependant ce qui fait la différence avec les deux autres saisons. Troels Hartmann est joué par un de mes acteurs préférés : Lars Mikkelsen, frère de Mads. On ne pouvait pas rêver meilleur casting pour interpréter ce disciple de JFK, charismatique et idéaliste mais aussi impitoyable et énigmatique. La dynamique de ses relations avec son équipe, notamment son assistante/amante Rie (Marie Askehave) et son directeur de campagne/meilleur ami Morten (Michael Moritzen), est électrique. Je ne raffole pas de séries politiques du style Borgen, House of Cards ou The West Wing, mais cette campagne pour la capitale danoise, et la façon dont elle s'imbrique dans l'enquête, est absolument passionnante.


Mêlant thèmes politiques (coalitions, alliances), sociétaux (immigration, éducation) et personnels, cette première saison est une réussite sur toute la ligne, dont le seul hic est la longueur : aussi bien écrits et agencés soient-ils, 20 épisodes c'est un peu trop, obligeant le scénario à avoir recours à des renversements de situation parfois invraisemblables, même si le dénouement en vaut la peine.
9/10


Saison 2


Du coup, on pourrait penser que la réduction de moitié du nombre d'épisodes aurait suffi à faire de la saison 2 de The Killing un chef-d'œuvre absolu du genre, mais en vérité, je la trouve un peu en deçà de son aînée. Il s'agit cette fois de meurtres de militaires liés à l'intervention danoise aux côtés des Américains en Afghanistan. Vétéran en proie au PTSD, Jens Peter Raben (Ken Vedsegaard) est-il le bouc émissaire d'une sordide machination impliquant le ministère de la justice, où vient d'être nommé Thomas Buch (Nicolas Bro) ? Sarah Lund, meurtrie et esseulée par les événements de la saison 1, est rappelée à Copenhague par son chef Lennart Brix (impérial Morten Suurballe) pour tirer les choses au clair. Elle fera cette fois équipe avec Ulrik Strange (Mikael Birkjær), quarantenaire divorcé dont le caractère posé et réfléchi contraste avec le sien.


La question des présences militaires occidentales au Moyen-Orient était alors sur toutes les lèvres, et constitue une bonne toile de fond pour cette deuxième enquête, très différente de la première. L'attitude équivoque de la "Grande Muette", le tourment du pauvre Raben et de sa famille désemparée, le rythme mieux maîtrisé, tout cela est très bien, mais... cette saison 2 a moins de piquant à mon goût, probablement parce que : 1) Sarah termine la saison dans la même situation qu'au début, et 2) surtout, l'aspect politique est très inférieur à la saison 1, Thomas Buch est un boy-scout dont l'impulsivité et la naïveté sont bien moins intéressantes que l'ambiguïté de Troels Hartmann avant lui. Sa recherche de la vérité coïncide également moins avec le travail de Lund, ce qui en fait presque une enquête parallèle.
7/10


Saison 3


Søren Sveistrup a dû lire et écouter les critiques, car la dernière saison de The Killing renoue davantage avec la formule gagnante de la première, bien qu'il ne s'agisse plus initialement de meurtre, mais d'enlèvement - celui d'Emilie, fille de l'industriel Robert Zeuthen (Anders Berthelsen), PDG du groupe Zeeland, dont les vélléités de relocalisation suite à la crise de 2008 sont au cœur de la campagne pour la réélection du premier ministre Kristian Kamper (Olaf Johanessen). Ce kidnapping serait-il lié aux malversations de Zeeland, ou bien à une vieille affaire de meurtre et de viol plus sordide encore ? Pour l'occasion, Lund renoue avec son ex-petit ami de l'école de police, Mathias Borch (Nikolaj Lie Kaas), devenu agent des renseignements intérieurs.


La double pression reposant sur les épaules de Lund et Borch, à savoir retrouver Emilie tout en cherchant à découvrir les raisons réelles de son enlèvement, confère à cette saison 3 un rythme plus intense encore que les deux précédentes. Les démons intérieurs de Sarah Lund sont mieux exploités que jamais, cette saison est véritablement la sienne, sans que les états d'âme des autres personnages (Zeuthen, le premier ministre, leurs familles respectives) soient mis de côté. La partie politique est certes plus prenante que durant la saison 2, mais soyons honnêtes, elle n'est guère qu'une redite de la saison 1, la mécanique de l'équipe de Kamper étant peu ou prou la même que celle de Hartmann. Cette saison se fait aussi un peu plus "américaine", en ceci que la course contre la montre impose des invraisemblances particulièrement criantes, d'autant que cette fois-ci, le dénouement m'a un peu laissé sur ma faim.
8/10


Conclusion


Je me suis replongé dans The Killing avec une certain appréhension, mais à mon grand soulagement, j'avais tort. J'ai été frappé en réalisant à quel point cette série pourtant ambitieuse parvient à exceller dans tout ce qu'elle tente de faire, grâce à une écriture énergique et inventive, mais aussi pleine d'intelligence et de sensibilité, et au casting idéal pour lui donner vie. The Killing est bel et bien un modèle du genre, bien meilleur que les clichés sur le polar scandinave ne le laisseraient penser. Sarah Lund et son pull-over me manqueront, mais l'impact de la série continue de se faire sentir, puisque voilà qu'à présent, je me suis surpris à glisser "Undskyld" en bousculant involontairement quelqu'un dans la rue !

Szalinowski
8
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le 13 mars 2021

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