Est-ce qu'on pouvait réellement encore espérer quelque chose de la série médicale ? Mine de rien, tout comme les films d'horreur, elle avait élaboré ses propres codes dans lesquels elle s'était enfermé : des cas médicaux à mille lieues de ta petite appendicite bénigne, mais toujours couplés avec des histoires d'amour fumeuses en mode "Prends-moi sur le brancard". Urgences et Grey's Anatomy ont suivi cette règle, Dr House n'y a pas échappé non plus, même si on préfère se concentrer sur les réparties cinglantes de notre cher Gregory et sur ses enquêtes médicales (merci l'influence de Sherlock Holmes). Alors que faire face à cette impasse ? Comment donner un peu de sang frais à tout ça ? En remontant le temps, bien sûr !
En nous emmenant dans le New York du début du XXe, The Knick a un objectif : montrer toute une série d'intrigues en lien avec les questions médicales et hygiéniques dans une époque fourmillant de recherches et d'avancées dans ces domaines, avec ce que cela comporte de charcutage et de décès au passage, les patients ne devenant parfois que des rats de laboratoires servant malgré eux les progrès de la science. De l'électrisation de l'hôpital à l'acquisition de nouveaux matériels en pointe, de la gestion d'une épidémie à la dépendance aux drogues, du traitement des troubles psychiques aux avortements clandestins, la série a déjà, en une saison, effleurer bon nombre des questions sanitaires qui traversaient l'époque, et en plus, c'est bien fait.
Là où The Knick est exceptionnelle, c'est que malgré le parti pris historique, la série est moderne. Oh je ne parle pas de la musique electro utilisée, pas sale, loin de là, mais dont je me suis demandé quel était son intérêt, avant de penser que justement, le but était de souligner cette modernité. Non, elle l'est surtout dans ce qu'elle montre de la société, autre grand thème de la série, remplaçant mille fois mieux les pérégrinations amoureuses du docteur Clooney. The Knick traite notamment le racisme sous tous ses angles à travers le personnage d'Algernon Edwards, fils de domestiques noirs qui a pu accéder à des études de médecine grâce à la "bonté" de son maître, M. Richardson. De la violence symbolique à la violence physique, le rejet social des Noirs, qu'on pourrait accoler à une époque lointaine et voir avec du recul, est bien trop actuel dans les sociétés occidentales pour que, face à nos écrans, cela fasse tilt. Exemple : le point de départ de l'épisode 7 (THE épisode) est dû à un policier qui a considéré une Noire comme une prostituée. En 2014, oh surprise ! on a ça : http://bigbrowser.blog.lemonde.fr/2014/09/15/enchainee-une-actrice-de-django-unchained-prise-pour-une-prostituee. Et il n'y a pas que le racisme, la vision des pauvres n'est pas mal non plus, avec ce grand questionnement de la localisation du Knick : ben oui, être dans les bas-quartiers, ce n'est pas rentable et en plus, il ne faudrait pas développer chez les indigents le goût de l'assistanat, hein ! (Quand vous serez arrivé à ce passage et que vous verrez de quelle bouche sortent ces propos, vous aurez la gerbe.)
La condition féminine est de même pas mal exploitée, ce par le biais de Cornelia Richardson, fille du Richardson dont j'ai parlé dans le paragraphe précédent, qui est chargée de représenter son père, propriétaire de l'hôpital, mais qui est aussi condamnée d'avance à un mariage qui l'éloignera du Knick et des responsabilités qu'elle devait tenir. Ca parle également avortement mais... pour le coup, je suis plus mitigée par l'angle choisi. Je ne sais pas si c'est considéré comme un spoiler (si c'est le cas tant pis), mais aucun des avortements ne foire jamais, le seul pépin pour la faiseuse d'anges étant de savoir si elle fait le bien ou le mal vis-à-vis de Dieu. Cela pose problème, dans le sens où, si clandestinement tout roule, alors il n'y a pas besoin de sécuriser les femmes et donc de légaliser la chose, tout cela reste une pure question morale et, si éventuellement elles se font attraper, pénale. Pour une série qui couple balbutiements de la médecine moderne et questions de société, c'est un peu bête, mais nous n'en sommes qu'à la saison 1...
Il me reste encore quelques fleurs à jeter, donc en vrac : la forme est aussi géniale que le fond (les dix épisodes étant réalisés par Soderbergh, on a le droit à de véritables pépites visuelles, comme la scène de la conférence qui est parfaite en terme de rythme) et le casting est à l'image de ce que l'âge d'or actuel de la série peut fournir, c'est à dire impeccable : on a bien sûr le bien connu Clive Owen, qui interprète John Thackery, chirurgien à la tête de l'équipe du Knick et accessoirement cocaïnomane, mais les autres acteurs ne sont pas en reste (énorme coup de coeur pour Andre Holland et Juliet Rylance, mais je ne suis pas très objective).
Donc oui, regardez The Knick. Sinon je vous euthanasie.