La médecine et ses démons
Steven Soderbergh a pris sa retraite, du moins au cinéma. Fort heureusement, la télévision peut encore profiter des ses talents, car ce n’est pas seulement un immense réalisateur, c’est aussi un excellent monteur et photographe, se cachant sous divers pseudonymes, comme ici : Peter Andrews et Mary Ann Bernard. On retrouve immédiatement sa patte, dans chacun de ses plans, baignés dans une lumière jaunie ou bleue, conférant une certaine froideur ou chaleur, selon le lieu ou les personnages, c’est visuellement magnifique. Sa caméra légèrement tremblante ou flottante, toujours posée, là ou on ne l’attend pas, nous offrant des plans improbables, mais toujours impeccables. Cet esthétisme est sublimé par la qualité de l’interprétation. Un autre des talents de Steven Soderbergh est de tiré la quintessence de sa distribution, tout en nous offrant une belle découverte, en l’occurrence Andre Holland, qui éclipse presque Clive Owen.
The Knick est une série à l’indéniable beauté visuelle, mais aussi par la grâce de ses dialogues et de son interprétation. Elle allie aussi bien le fond que la forme. Elle est exigeante et ne se contente pas seulement de nous conter la vie de cet hôpital, mais aussi de la vie au début du 20ème siècle. Elle aborde divers sujets : le racisme tout d’abord; le « nègre » est traité comme du bétail, voir un objet, quelque soit sa position sociale. Malgré son statut de médecin, le Dr Algernon Edwards (Andre Holland) est mis au ban, à cause de sa couleur de peau. Mais il fait preuve de persévérance, tout en prenant soin des « siens », pratiquant dans la clandestinité. Le Dr John Thackery (Clive Owen), avec la perte de son mentor, va se perdre dans la cocaïne, un produit en libre circulation à cette époque et utilisé dans la médecine. Les deux hommes vont mettre du temps à s’apprécier, ou du moins, à se tolérer, chacun ayant besoin de l’autre. le Dr Algernon Edwards vivant aussi une relation mixte, une difficulté de plus, dans lecontexte déjà compliqué de sa condition d’homme noir.
Dans un contexte économique difficile, le malade devient une source de profit, permettant à l’hôpital de survivre. Le Knickerbocker étant situé dans un quartier pauvre, son administrateur Herwan Barrow (Jeremy Bobb) compte sur des bienfaiteurs pour acquérir de nouveaux instruments chirurgicaux et ainsi concurrencer les grands hôpitaux des quartiers riches. Il utilise aussi ses brancardiers pour ramener les patients, usant parfois de la violence pour les soutirer à leurs confrères. Mais comme le Dr Thackery et la cocaïne, Herwan Barrow a son vice, une prostituée et le jeu, ce qui le pousse à flirter avec la mafia. Un cercle vicieux, ou lui-même devient une marchandise à leurs yeux.
La série aborde d’autres sujets tabou, comme l’avortement, illégal à l’époque, se faisant dans la clandestinité et pas forcément par les personnes, dont on s’attend. Le traitement des maladies mentales et la mortalité enfantine, ou avec le recul, on apprécie les progrès, comme dans la médecine traditionnelle. Elle reflète la réalité d’une époque, ne se contenant pas de parler de médecine, mais aussi des rapports hommes/femmes, de la condition de celle-ci, destinée à être une femme au foyer, par le biais de l’indépendante Cornelia Robertson (Juliet Rylance), pourtant aussi compétente que ceux-ci. Des différences sociales et ethniques. C’est un éclairage sur une société en pleine évolution technologique, mais encore ancrée dans ses convictions sociales, empêchant certains de s’épanouir dans leurs vies.
The Knick est une des meilleures séries de l’année, son réalisme met souvent à mal le téléspectateur, que ce soit par les situations ou par l’image. Le casting est parfait, en parfaite osmose avec la réalisation et le scénario. L’ironie du plan final, renvoie à l’absurdité d’une époque et de ses convictions.