Hail to the grief
Nulle surprise à ce que l’exposition de The Leftovers soit à ce point saturée de mystères : le créateur de Lost, Damon Lindelof, n’est est pas à son coup d’essai en matière d’écriture, et le monde...
le 7 janv. 2020
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HBO est en pleine transition : avec les fins de Treme, Boardwalk Empire, True Blood et The Newsroom la même année, il ne lui restait alors plus qu’une seule série dramatique dans sa programmation – nul besoin de préciser laquelle. 2014 et 2015 sont donc des années charnières pour la chaîne, et Dieu sait que celle-ci en a souffert par le passé (les annulations successives de Deadwood, Carnivale et Rome à la fin des années 2000). Après le lancement très réussi de True Detective en début d’année, The Leftovers arrivait un peu en outsider. Développée par Damon Lindelof, qui a fait ses armes il y a dix ans sur les premières saisons de Lost, et par Tom Perrotta, l’auteur du livre dont s’inspire très librement la série, The Leftovers prend place trois ans après que 2% de la population mondiale ait disparu mystérieusement du jour au lendemain. Un concept à la fois surprenant et plutôt casse-gueule, mais le traitement n’est pas vraiment celui qu’on attendait.
C’est surement ce qui a dû déstabiliser plus d’un spectateur (et faire un peu le ménage dans sa cible démographique dès les premiers épisodes), car The Leftovers est loin d’être une série qui s’adresse à tout le monde. Rythme lent, séquences presque contemplatives pour une narration qui s’attache avant tout à raconter le quotidien des survivants du fameux 14 octobre, on pense évidemment à Lost pour la manière qu’a la série de dégager une multitude d’énigmes et de mystères, mais ce n’est pas vraiment l’influence la plus visible de la création de Lindelof, qui se rapproche plus souvent de Six Feet Under – recherche visuelle très similaire, traitement du deuil, personnages perturbés et scènes hallucinées. La comparaison peut paraître appuyée, mais elle n’est pas si invraisemblable. Car un peu comme l’œuvre d’Alan Ball, The Leftovers a cette façon de s’intéresser à de nombreux thèmes, messages et questionnements existentielles – religion, deuil, mémoire. C’est à la fois très juste et réellement bouleversant, car en prenant un point de vue très terre à terre (parfois en ne suivant qu’un seul personnage pendant tout un épisode), la série se met à hauteur d’homme, émotionnellement et dans sa diégèse, sans jamais jouer la carte des larmes faciles.
Le casting est très propre, mais on retiendra surtout Christopher Eccleston, qu’on aimerait voir plus souvent, et Carrie Coon, excellente et dont le traitement du personnage est admirable. Autre grande réussite de The Leftovers, sa mise en scène – on voit que les requis artistiques de HBO sont bien présents, et en plus de livrer une réalisation techniquement léchée et cohérente, on a le droit à de très beaux cadres et de nombreux plans forts de sens qui ne se limitent pas à illustrer le script, mais en deviennent une vraie valeur ajoutée.
Il aura fallu plusieurs épisodes à The Leftovers pour s’imposer complètement, mais il n’en reste pas moins que la nouvelle création de Lindelof se classe d’ors et déjà comme l’une des meilleures nouveautés de l’année. Intelligente, bouleversante, techniquement parfaite et surtout fascinante – on tient peut-être un chef d’œuvre en devenir. Reste à savoir comment tout ça s’argumentera dans les saisons suivantes, alors qu’on sait que le créateur a un plan de six actes en tête.
★★★★★★★★★☆
Ils sont partis, on ne sait pourquoi. Mais les vrais disparus ce sont ceux qui restent. C’est sur cette réflexion que s’est développée The Leftovers. Déjà l’an dernier, le nouvel objet télévisuel non identifié d’HBO – que n’aurait pas renié un David Milch de la grande époque – divisait la critique et le public. Construction en tableaux, expérimentations narratives, contemplation planante d’une communauté-monde qui se reconstruit. Pour ce second acte pourtant, le virage est encore plus total, brutal, ampoulé, stratosphérique – incroyable ?
C’est sur une nouvelle musique que s’ouvre la reprise de la création de Lindelof. Des silhouettes découpées dans des scènes du quotidien ; des nuages de poussière et de fines gouttelettes recouvrant ces formes fantomatiques sur un doux son de country folk nous rappelant de les oublier une fois pour toute. On est bien loin des fresques michelangelesques de l’an dernier ; même le cadre semble s’évaporer pour un autre, laissant tomber les périphéries new-yorkaises pour successivement s’envoler pour la Préhistoire et pour le Texas.
Dans les esprits de tous les personnages, un 14 octobre. Il pourrait s’agir d’un 13 novembre, d’un 11 septembre ou d’un Vol Oceanic 815. Nul ne doute qu’une actualité plus ou moins lointaine se trouvait dans la tête des scénaristes de The Leftovers lors de son écriture ; mais il ne faudrait pas en oublier la profonde universalité. Pourquoi eux et pas moi ? Où sont-ils tous partis ? Il ne faut pas chercher une réponse définitive aux questions en apparence narratives que pose Lindelof et son équipe ; car elles n’en sont justement pas. The Leftovers est un travail sur l’allégorie, une réflexion en miroir sur le deuil, sur la mort, sur la tragédie et sur la fissure institutionnelle.
Derrière tous ces regards se cachent des blessures intimes ineffaçables, chacun les soignant à sa manière, par le déni, par le souvenir, par la folie, ou tout simplement par un miracle. Ce n’est pas dans l’esprit de The Leftovers de leur donner un sens ou de les juger, la série ne fait que les explorer. Tout passe par le geste, dans cette composition d’une ambition rarement vue sur petit écran. La métaphore se croise à l’illusion, le rêve aux visions de cauchemars, la fin du monde à la rédemption : tantôt bouleversante, tantôt ironique, tantôt indescriptible, The Leftovers est surtout une série qui ose, qui – dans son art de l’introspection – plonge au cœur même des formes physiques des thématiques qui la hante.
Certains espèreront trouver une logique dans l’univers meurtri de Miracle, Texas. La seule logique qui s’y trouve, elle est pourtant très simple, c’est celle du chaos. Ils étaient là, ils ne le sont plus – pourquoi ? comment ? où ? Ils sont beaucoup à s’être posé ces questions au fil des siècles et des millénaires, plusieurs disent y avoir trouvé une réponse. Ils sont au paradis, ils sont en enfer, ils ont rejoint les étoiles ou attendent patiemment les autres sur une île lointaine ou dans un hôtel luxueux – qu’importe au final, car les vivants, eux, n’ont pas bougé. Et ils n’en savent pas plus que vous.
Ce qui fait de The Leftovers un chef d’œuvre absolu de la télévision, ce n’est pas tellement l’intelligence de son propos, sa portée intemporelle, la qualité vertigineuse de son casting, de sa bande-originale ou de sa mise en scène, mais sa manière d’articuler si magnifiquement les cartes qu’elle a en main. Damon Lindelof a compris que le monde qu’il décrit, comme celui dans lequel il vit, n’a pas de sens – comment lui en donner un, sans trahir son injustice ? Avec un peu d’imagination, un talent de scénariste peu commun et une famille américaine à laquelle chacun peut s’identifier, tout est possible. The Leftovers n’est pas tant une série sur la fin du monde que sur le murmure d’apocalypse qui traverse les pensées tourmentées des survivants. Les 14 octobre sont quotidiens, personne n’y échappera ; même pas moi, même pas eux, même pas vous.
★★★★★★★★★★
Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Intégrale HBO, Les Meilleurs épisodes de série de tous les temps (du moins, d'après moi), Les meilleures séries de 2014, Saison Séries 2014/2015 et Lost c'est trop cool, faisons pareil !
Créée
le 8 sept. 2014
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