Vous aimez les séries Netflix ?
Votre petit coeur fait Badum quand vous entendez son Tadum ?
Vous vous êtes tellement vidé la tête en binge-watchant tout et n'importe quoi qu'on peut y loger une famille de ressortissants du pays de votre choix ?
Rendez-vous service, passez votre chemin. Ce Signal-là n'est pas pour vous. Je vous connais, vous allez encore vous agacer, vous ennuyer, ça va vous rendre plus amer qu'un Bounty après une pâtisserie orientale, vous aurez l'impression de perdre votre temps et vous saquerez en conséquence, ce qui m'énervera moi, qui suis déjà plus amer qu'une endive après un Bounty. Je me connais aussi. Lancez plutôt le Problème à Trois Corps, c'est très bien, ça, le Problème à Trois Corps, ça va vite, ça parle fort, ça fait les gros yeux quand il y a des révélations pour bien qu'on comprenne que c'est important, et puis il y a des gens tout nus qui jouent à Tetris avec leurs parties intimes, c'est quand même autre chose qu'un programme allemand en quatre épisodes dans lequel on ne compte en tout et pour tout qu'une seule explosion - grosse, certes, mais il n'empêche : pas de young adult aux mèches finement ciselées pour sauver le monde dystopique des méchants boomers, pas d'histoire d'amour triangulaire entre gravures de mode, pas de boum-boum, pas de zim-zam, ça bouge un peu plus vite que Derrick quand même parce que Derrick, bon, on ne va pas se mentir, c'est moins une série qu'un économiseur d'écran, mais on ne peut pas dire non plus que c'est l'hystérie narrative, vous allez être tenté de checker vos phones toutes les trois minutes pour scroller votre actu Tik Tok et à la fin vous collerez une sale note à la série parce que c'est pas Independance Day.
Faites-vous plaisir, faites-nous plaisir, épargnez-vous.
Des produits formatés écrits à la chaîne pour constamment stimuler un public en déficit attentionnel, il y en a des milliers au catalogue. Les acteurs sont beaux, les actrices sont belles, à un moment donné ils s'embrassent avec la langue et puis il y a des effets spéciaux, pif paf pouf, comme au quatorze juillet : des couleurs, des lumières, oh la belle bleue, oh la belle rouge, oh la belle c'est-quoi-cette-couleur-j'ai-pas-appris-c'est-trop-compliqué-y'en-a-trop-des-différentes-en-plus-ça-sert-à-rien-de-savoir-ça-dans-la-vie ! Tenez, hé, ça tombe bien, vous n'avez pas d'excuses, il y a le deuxième épisode du biopic de José Bové par Zack Snyder qui vient d'être mis en ligne, ça s'appelle Rebel Moon, c'est bien, ça, Rebel Moon, ça tire des rayons laser au ralenti, c'est Derrick dans l'espace, le meilleur des deux mondes, et en plus il y a du blé. Beaucoup de blé. A l'écran, je veux dire. Mais pas que.
Bref. The Signal, c'est un peu à l'opposé de tout ça, et c'est ce qui fait son charme. On prend son temps, on respire, on existe - on résiste, même, pour le prouver. On vit à l'heure allemande, à mi chemin entre la frénésie américaine pour hyperactifs mal délimités et la placide lenteur des minutes Namek. Alors oui, en dépit des efforts des acteurs et du réalisateur, on a tout de même du mal à croire à la partie thriller de ce conte Bradburien pur jus, dont les enjeux conspirationnistes sont trop vite posés, et pas forcément amenés de la bonne manière : cette Elon Musk au féminin multiclassée gourou humaniste new age à laquelle nul gouvernement ne paraît pouvoir dire non, ces agents du FBI locaux (à prononcer "low cost", même si très sympathiques au demeurant) un peu paumés, cette mission spatiale au but abracadabrantesque vite balayé sous le tapis et lâché au pressing pour un lavage à deux cent degré, ou encore cette mère de famille écorchée vive qui ne sait pas être géniale ou névrosée sans paraître systématiquement antipathique. Il faut de l'indulgence, un peu, c'est vrai, pour suspendre l'incrédulité au porte-manteau de la bienveillance bon public et se laisser porter. Mais finalement pas beaucoup plus, voire sans doute nettement moins, que n'en exigent la plupart des productions Netflix de cet acabit : qu'on se rassure, on n'est pas dans Bodies non plus, certains traits sont forcés mais l'intrigue tient debout et en haleine jusqu'à sa conclusion, superbe, intime, parfaite - sincère, aussi, c'est devenu si rare -, de l'ordre de l'évidence, comme le soleil après l'orage.
On n'aurait pu en rêver de meilleure, dans son ironie douce-amère à contremploi. Au diapason de la dimension humaine du récit, nettement plus convaincante que son pendant sensationnel en dépit de stéréotypes ici utilisés à bon escient, et incarnés avec justesse par le duo alchimique de nos deux protagonistes, touchants juste ce qu'il faut dans leur jeu fusionnel et leurs fragilités. On est loin du père de famille/scientifique/nerd/kickboxeur de Dark Matter qui savate, court, pense et taille sa barbe tout en même temps (l'acteur est également producteur de la série. Coïncidence ? Je ne crois pas. Je pense que c'est également lui qui a choisi Jennifer Connely comme partenaire, le fourbe ! Il n'y a qu'à voir avec quelle avidité priapique il se jette dessus à la fin de l'épisode 1... Mais je m'égare, pardon) (notez qu'aucun correcteur d'orthographe à ma disposition ne connaît le mot priapique. #fierté).
Impossible à ce stade de ne pas songer à Constellation, sorti quelques mois plus tôt sur une plateforme concurrente et qui partage les mêmes prémices, ainsi que quelques ressorts dramatiques archétypaux : une mère astronaute surdouée, confrontée à un phénomène scientifique inexplicable, dont le retour sur terre forcément compliqué est lourd de conséquences pour son professeur de mari et leur petite fille plus intelligente que la moyenne (des autres enfants, mais pas que). ça fait beaucoup de points communs, quand même, au point qu'un trouble s'installe - y' aurait-il quelque volonté subconsciente à l’œuvre dans l'univers ? Il y aura bien une série Netflix qui répondra un jour à cette question - ; et pourtant cette gémellité ne fait pas long feu, les deux séries prenant chacune leur chemin dans des directions aux antipodes l'une de l'autre (même si la cellule familiale reste toujours le cœur de l'histoire, et si celui-ci bat seul contre tous).
Car si Constellation reste un cran au-dessus pour sa photographie superbe (la différence de budget crève les yeux), la complexité (toute relative) de son intrigue (au mystère volontairement éventé dès les premières minutes, un comble), son intensité narrative, son atmosphère glaciale baignée d'inquiétante étrangeté, plus fantastique que science-fictionnelle à proprement parler, The Signal négocie mieux les chicanes de l'émotion humaine et sait rester constante dans la durée, là où son aînée s'éparpille un peu à toujours vouloir tout expliquer dans les moindres détails, jusqu'à l'indifférence.
Là où l'humain tend parfois à s'effacer dans la série d'Apple, chez Netflix, il triomphe, même si pas toujours à son avantage : on enrage souvent de voir la bêtise de nos contemporains aussi fidèlement retranscrite, on se convainc qu'elle est exagérée, que la série caricature, enfin, les gens n'agiraient pas comme ça, c'est complaisant, sensationnaliste, cynique, misérabiliste, au choix... et puis on allume les infos, ou on se branche sur les réseaux sociaux et on doit bien admettre qu'au contraire, non, même si ça nous fait mal aux fesses de l'admettre, cette bêtise-là n'a rien d'exagérée, elle est égalitairement partagée quel que soit le bord politique ou la communauté.
Revient alors en mémoire le Contact de Carl Sagan, et plus particulièrement sa version cinématographique, dont cette série propose une belle réactualisation, à une Jodie près, mais sans trahir son sens ni son message. La cohérence de la conclusion n'en force que plus le respect, justifiant symboliquement ces presque quatre heures de programme ; là où Constellation joue la carte d'un cliffhanger dans la moyenne, mais dont on ne voit pas trop bien vers quoi il s'achemine. Or si savoir écrire et construire des histoires n'est pas donné à tout le monde, savoir les terminer est un exercice encore autrement plus compliqué et plus périlleux.
Certains pesteront sans doute de voir leurs attentes initiales déçues. D'autres souriront sous cape de cet humanisme qu'ils jugeront naïf, à tort (non qu'il ne le soit pas, mais parce que leur propre posture personnelle l'est tout autant, à sa manière). D'autres enfin parleront de portes ouvertes enfoncées, et ils n'auront pas tort, sans doute, mais en même temps, malgré l'évidence, rien ne change, rien ne bouge. Ni le monde, ni les autres, ni nous.
Alors on tourne des séries, faute de mieux.
On envoie des signaux.
Hier, dans le vide sidéral.
Aujourd'hui, dans le vide humain.
En espérant qu'ils seront captés par une forme de vie intelligente, qu'elle soit basée à l'autre bout de l'univers ou au fond de son canapé.
Après quoi on guette une réponse, fébrile, une audience, un signe, n'importe lequel.
Au point où on en est.