Les meilleurs albums de 2021 selon Keith Morrison
Il était temps.
50 albums
créée il y a plus de 3 ans · modifiée il y a plus de 2 ansGold‐Diggers Sound (2021)
Sortie : 23 juillet 2021 (France). Soul, Funk / Soul, Contemporary R&B
Album de Leon Bridges
Keith Morrison a mis 9/10.
Annotation :
Score : 9.2
Leon Bridges s'est fait connaître en adoptant un style de crooner des années 60 à la Sam Cooke, une esthétique qu'il a perfectionnée et concrétisée sur son premier album "Coming Home". Depuis ses débuts, le talent du musicien texan a toujours été une évidence. Avec "Good Thing", Bridges a opéré un virage artistique en élargissant l'histoire de la musique afro-américaine qui lui servait d'inspiration. Son second album était alors un terrain d'expérimentations jouissif et pétillant, bien qu'inégal et manquant de cohérence. "Gold-Diggers Sound" est l'aboutissement de toutes les tentatives réalisées par Leon Bridges et ses acolytes sur "Good Thing". C'est un disque qui voit le musicien américain trouver cet équilibre parfait entre le R&B traditionnel et souvent spirituel qui lui est cher et sa forme contemporaine, romantique, parfois charnelle mais surtout beaucoup plus affirmée et en constante évolution. Intitulé d'après un studio emblématique où celui-ci a d'ailleurs été enregistré, "Gold-Diggers Sound" prend la forme d'une lettre d'amour passionnée et enivrante au R&B.
En moins de 40 minutes, Leon Bridges nous fait traverser un panorama de tout ce que le genre peut-être aujourd'hui – planant et romantique, funky et fiévreux, teinté de hip-hop et accrocheur, chaleureux et porteur d'un héritage venant au blues – comme autant de fragments de sa propre identité. Tour à tour, Leon Bridges endose le rôle du séducteur joueur ("Magnolia", "Sho Nuff"), du romantique éperdu ("Motorbike", "Why Don't You Touch Me"), d'un individu en quête de spiritualité et de sens ("Born Again", "Blue Mesas"), d'un afro-américain réagissant aux violences policières qui continuent d'impacter sa communauté ("Sweeter") et d'un musicien inspiré au firmament de sa carrière, qui en déguste chaque seconde ("Steam"). Le timide crooner qui se cachait derrière sa guitare est devenu un artiste et un homme beaucoup plus sûr de lui et dont la confiance gagnée au fil des années et des projets fait plaisir à voir et à entendre. C'est cela qui fait que le troisième opus de Leon Bridges est son meilleur à ce jour, le présentant comme une force incontestable dans le paysage musical américain, un artiste authentique dévoué à son art et au genre qu'il porte comme une seconde nature.
Key tracks : "Born Again", "Sweeter", "Magnolias"
Dawn (2021)
Sortie : 10 septembre 2021 (France).
Album de YEBBA
Keith Morrison a mis 9/10.
Annotation :
Score : 8.9
La voix de Yebba sonne comme une évidence. À l'écoute de n'importe quel morceau sur lequel la chanteuse américaine apparaît, c'est cela qui frappe et captive pouvant même faire oublier tout ce qui l'entoure. Trouver un son pour accompagner cette voix et faire exister l'artiste qui se cache derrière la chanteuse au talent surdimensionné n'est pas une mince affaire. Cela explique peut-être les cinq années qui se sont écoulées depuis la performance live de "My Mind" qui a enflammé la toile et révélé Yebba. Le temps qu'il a fallu à la jeune artiste peut aussi trouver son explication dans un drame personnel qui est intervenu quelques semaines après son explosion médiatique : le suicide de sa mère, Dawn. Portant ce deuil en elle et cherchant désespérément un sens à cette tragédie, Yebba a versé sa douleur et sa confusion dans sa musique, trouvant dans l'écriture, la musique et le chant une véritable thérapie. De la piste d'ouverture "How Many Years", où un certain sentiment de désespoir est palpable, à l'époustouflant morceau final, "Paranoia Purple", l'auditeur est témoin d'une évolution qui ne semble cependant pas être volontaire car "Dawn" ne donne jamais l'impression de chercher à retracer le deuil qui vit de toutes façons toujours en Yebba.
L'album ne se focalise d'ailleurs pas que sur ce drame, il se montre beaucoup plus varié et enjoué, autant dans les textes que dans la production. Très bien entourée (Mark Ronson, DJ Dahi, Questlove, Ilsey Juber), Yebba dévoile différentes facettes de sa palette musicale et vocale, accompagnée par des instrumentations minutieusement réalisées et jamais écrasantes, étant aussi à l'aise sur la soul piquante de "Boomerang" que la dance de KAYTRANADA sur "Love Come Down" ou le R&B hypnotique parfumé de hip-hop de "Louie Bag". Ces morceaux permettent à "Dawn" de respirer et de montrer la versatilité de Yebba. Ils constituent aussi une pause nécessaire entre les chansons les plus déchirantes de l'album ("Stand", "October Sky") et l'empêchent de tomber dans le registre du disque de deuil. Si c'est en effet cela qui a inspiré une bonne partie du premier opus de Yebba, c'est avant tout un talent brut, une artiste ambitieuse, parfois espiègle et toujours généreuse que "Dawn" met en lumière – et le fait extrêmement bien !
Key tracks : "Paranoia Purple", "Louie Bag", "How Many Years"
The House Is Burning (2021)
Sortie : 30 juillet 2021 (France).
Album de Isaiah Rashad
Keith Morrison a mis 9/10.
Annotation :
Score : 8.9
Isaiah Rashad aurait dû être une superstar. Cela semble évident que c'est ce que TDE visait et vers ce quoi sa carrière semblait évoluer en 2016. Rappeur ultra-talentueux, il a développé une patte musicale reconnaissable en floutant les frontières entre le hip-hop et le R&B se positionnant dans la lignée d'artistes tels que Frank Ocean, Drake ou Mac Miller. Tantôt sensible, tantôt espiègle et improvisant des refrains accrocheurs avec une facilité déconcertante, Isaiah Rashad avait tout pour être l'un des grands noms du hip-hop. Mais les choses se sont malheureusement passées autrement pour l'artiste américain, en aucun cas lié à la qualité de la musique qu'il pouvait offrir. Victime d'une addiction, Isaiah Rashad a dû appuyer sur "pause" après avoir touché le fond puis se reconstruire. C'est en quelques sortes l'histoire que raconte "The House Is Burning", un album de rédemption qui n'en a pas l'air tellement celui-ci est fiévreux et entraînant.
Isaiah Rashad se livre sans concession vis-à-vis des épreuves qu'il a traversées depuis la sortie "The Sun's Tirade" mais sans délaisser ce qui a fait le charme de sa musique jusqu'ici : ce flow tout terrain qui peut se révéler soit scandé et rythmé ("From the Garden"), soit mélodique et émotif ("Claymore", "Headshots") et cette habilité à faire traîner une syllabe ("Lay With Ya") ou les enchaîner avec dextérité et malice ("Chad") quand il le faut. En confiant les manettes de la production de "The House Is Burning" à Kal Banx et Devin Malik, le rappeur a frappé juste. Il trouve en ces collaborateurs deux acolytes qui connaissent parfaitement le type de beats sur lesquels Isaiah Rashad excelle et les ornent de détails qui vont les rendre percutants et mémorables. Cette équipe livre alors un mix de cloud rap, Southern rap, R&B et de ce hip-hop emprunt de soul à la texture granuleuse qui semble être la signature de TDE. "The House Is Burning" a le profil adéquate pour envoyer le rappeur au firmament du rap game américain et devenir sur le long terme un classique. Peut-être que ce sera le cas, peut-être pas ; seul le futur nous le dira. Ce qui est certain aujourd'hui cependant c'est qu'Isaiah Rashad livre ici son meilleur album et que cela fait beaucoup de bien de l'avoir de retour parmi nous, en espérant juste qu'il ne disparaîtra pas à nouveau pendant 5 ans...
Key tracks : "Lay Wit Ya", "RIP Young", "Wat U Sed"
Skin (2021)
Sortie : 15 octobre 2021 (France). Jazz, Funk / Soul
Album de Joy Crookes
Keith Morrison a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Score : 8.9
Rares sont les premiers disques qui portent et exposent autant d'aspects et subtilités de la personnalité et des expériences de leur créatrice. "Skin" est cet album : le travail profondément intime d'une étoile montante de la soul et pop "made in Britain" qui devient le miroir d'une génération de londoniens. Le premier album de Joy Crookes porte incroyablement bien son titre. "Skin", un mot évocateur de bien-être et de sensualité pour certains ou d'injustice et de discrimination pour d'autres, mais surtout d'une histoire et d'un héritage que l'on porte en nous. C'est donc sans surprise que Joy Crookes aborde un grand nombre de sujets aussi bien personnels que politiques à travers ces 13 pistes. Des récits amoureux et morceaux sur l'acceptation de soi trouvent facilement leur place sur "Skin" mais la plume de Joy Crookes révèle tout son mordant lorsqu'elle s'attaque au gouvernement des "Tories" ("Kingdom"), à la complaisance de nombreux anglais dans lesquels elle s'inclut ("Feet Don't Fail Me Now") ou quand elle décrie la gentrification des quartiers populaires de Londres ("19th Floor") ou la division au sein de propre communauté ("Trouble"). Lorsque Joy Crookes chante, c'est toute une partie de la jeunesse londonienne qui semble s'exprimer à travers elle.
Présenté ainsi, "Skin" peut apparaître comme un album sombre et difficile. Il n'en est rien. L'émotion est palpable, notamment lorsque Joy Crookes relate les conséquences d'une agression sexuelle ("Unlearn You") ou les discriminations misogynes et racistes auxquelles elle fait face ("Power"), mais "Skin" ne se laisse jamais dépasser par la lourdeur des thèmes évoqués. La production dirigée par Blue May porte l'empreinte d'une soul britannique rétro et colorée et l'influence d'icônes qu'on ne peut pas nier (Amy Winehouse, évidemment). La personnalité de Joy Crookes brille au-delà de toute comparaison à travers des instrumentations parfois sobres et réduites au strict minimum ("Unlearn You", "Poison", "Skin") et à d'autres moments riches et porteuses d'une rage de vivre et de se faire entendre revigorantes ("Kingdom", "Feet Don't Fail Me Now"). "Skin" est réalisé avec beaucoup de retenue mais sans compromis. C'est un autoportrait tout en nuances prodigieux à la force délicate et subtile, aussi bien en termes d'écriture que de production. Une belle réussite qui met au premier plan l'authenticité, l'ambition et l'assurance de Joy Crookes.
Key tracks : "Power", "Poison", "Feet Don't Fail Me Now"
TAPE 2/FOMALHAUT (2021)
Sortie : 18 juin 2021 (France).
Album de Berwyn
Keith Morrison a mis 9/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Score : 8.7
Après la révélation de "DEMOTAPE/VEGA", BERWYN enfonce le clou avec sa seconde mixtape. "TAPE 2" lit cette fois-ci le titre et non "DEMOTAPE", un ton plus décidé est dès lors annoncé et cela se ressent à travers le projet : la production est beaucoup plus poussée et plus variée, les textes s'intéressent davantage à la complexité des relations humaines, aussi bien amoureuses qu'amicales, et l'artiste explore davantage son flow parfois rappé, parfois chanté et l'impression que le contraste entre ces deux techniques peut produire ("VINYL", "RUBBER BANDS"). Le plus important, c'est que la sincérité touchante qui avait fait la force de "DEMOTAPE/VEGA" reste intacte. Ce que le rappeur nous propose ici, c'est une évolution en tant réel, artistique et personnelle. Tout comme l'étoile qui a donné son nom à cette seconde mixtape, l'avenir s'annonce brillant pour BERWYN.
Key tracks : "WRONG ONES", "100,000,000", "RUBBER BANDS"
Blue Weekend (2021)
Sortie : 4 juin 2021 (France).
Album de Wolf Alice
Keith Morrison a mis 8/10.
Annotation :
Score : 8.6
Œuvrant dans l'industrie très en forme du rock alternatif britannique depuis plusieurs années et s'étant fait remarqués sur la scène de grands festivals ou au Mercury Prize avec leurs deux premiers opus, "Blue Weekend" fait office de consécration pour Wolf Alice. Tout est indéniable sur cet album : les mélodies puissantes de chaque chanson, la présence impérieuse d'Ellie Roswell et ses performances vocales qui peuvent faire l'effet d'un coup de poing comme celle d'une caresse, les textes qui évoquent sans artifice l'état de paralysie émotionnelle dans lequel on se trouve après une mauvaise rupture, et la facilité avec laquelle le groupe passe d'un morceau à l'énergie furieuse frôlant le punk comme "Play The Greatest Hits" au sensuel et halluciné "Feeling Myself" qui se dévoile sur la longueur sans jamais perdre l'auditeur. Dès la piste d'ouverture, "The Beach", Wolf Alice captent notre attention et ne la relâchent que lorsque les derniers échos de guitare électrique résonnent sous les cris de mouettes de "The Beach II", un final aérien, lumineux et enivrant assez éloigné de l'ambiance morose du reste du disque.
Le groupe londonien nous confronte à des titres délirants et gonflés à bloc auxquels il nous avait déjà habitués sur les disques précédents ("Smile", "Play The Greatest Hits"), l'explosion à retardement de "The Beach", la sensualité fiévreuse et torturée de "Lipstick On The Glass" et "Feeling Myself", la naïveté exagérée de "Delicious Things", la douceur mélancolique de "No Hard Feeling" qui s'apparente à une bouffée d'air un peu douloureuse mais nécessaire, l'euphorie réjouissante de "The Beach II" et les ouragans que sont "The Last Man on Earth" et "How Can I Make It Ok?". Une fois arrivé au terme de "Blue Weekend", c'est un périple émotionnel que l'auditeur, à bout de souffle, a traversé. La justesse et l'émotivité vocale et lyrique d'Ellie Roswell et l'ingéniosité musicale du groupe ne sont rien de nouveau mais ils n'avaient jamais poussés ces qualités à leur paroxysme comme cela est le cas sur ce troisième opus. Le résultat est intense, brutal et merveilleux.
Key tracks : "How Can I Make It Ok?", "The Last Man on Earth", "Lipstick on the Glass"
Jubilee (2021)
Sortie : 4 juin 2021 (France).
Album de Japanese Breakfast
Keith Morrison a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Score : 8.6
"Jubilee", c'est l'équivalent musical de croquer dans un fruit juteux et savoureux après une chaude journée d'été. C'est une fête qui démarre sur le son d'une fanfare au milieu de laquelle Michelle Zauner célèbre le pouvoir de la musique et le "rush" de partager celle qu'elle crée ("Paprika"). Ce sont des petites histoires, pas forcément les plus heureuses ("In Hell", "Tactics") mais desquelles émanent un certain espoir de paix, une soif de vie et de joie. C'est la juxtaposition d'une production électronique qui explose petit à petit avec une réflexion délicate autour du besoin de ressentir une connexion avec un autre individu ("Posing in Bondage"). Ce sont de véritables pépites pop irrésistibles pas dénuées d'un sens de l'humour ("Slide Tackle", "Be Sweet", "Savage Good Boy"). C'est un final grandiose, romantique et plein de sérénité ("Posing for Cars"). Et surtout, après deux albums qui exploraient les états émotionnels de Michelle Zauner suite à la disparition de sa mère, "Jubilee" est un disque solaire, une recherche musicale et personnelle toute en nuances, un élan d'optimisme contagieux, un véritable antidote à la morosité.
Key tracks : "Posing In Bondage", "Posing For Cars", "Paprika"
When Smoke Rises (2021)
Sortie : 28 mai 2021 (France).
Album de Mustafa
Keith Morrison a mis 8/10.
Annotation :
Score : 8.4
L'expérience de poète et d'auteur-compositeur pour de nombreux artistes R&B de Mustafa se sent et se mélange sur son premier disque, "When Smoke Rises". Court de 8 pistes, le projet ne manque pas pour autant d'intensité. Inspiré par le deuil qui a suivi le meurtre d'un de ses amis – Smoke Dawg, qui donne son nom à l'album, annonçant d'entrée de jeu la grande force de l'artiste canadien pour manier les mots – ce premier essai puise sa sensibilité essentielle dans la musique folk avec une production aux accents R&B prononcés et aux reflets électroniques orchestrée pour des pointures du paysage indie et pop (Jamie xx, Frank Dukes, James Blake). Le lyricisme puissant de l'artiste canadien, sa capacité à composer des mélodies prenantes et ses performances passionnées subliment ces méditations intimes sur la mort, le deuil et le quotidien dans le quartier de Regent Park. Avec "When Smoke Rises", Mustafa livre un hommage émouvant à son ami parti trop tôt ainsi qu'à sa communauté et un premier album beau et hantant.
Key tracks : "Air Forces", "Capo", "What About Heaven"
Not Your Muse (2021)
Sortie : 29 janvier 2021 (France). Pop, Soul, Funk / Soul
Album de Celeste
Keith Morrison a mis 8/10.
Annotation :
Score : 8.4
Le premier opus de la chanteuse anglaise est un disque très cohésif qui prend le temps de révéler toutes les subtilités de la voix, de l'interprétation et de l'écriture de Celeste. Atout majeur de cet album, le timbre chaleureux et légèrement rauque de l'artiste est au coeur de "Not Your Muse", comme si tout a été bâti autour des performances vocales et des mélodies subtilement et magnifiquement bien portées par la chanteuse. Les compositions où se mêlent pop, soul et jazz enveloppent la voix de Celeste dans un écrin somptueux qui renforce la classe, la délicatesse et le charme de ses interprétations. Que l'artiste choisisse plutôt la carte de la simplicité et de la lenteur avec "Not Your Muse" ou "Ideal Woman" ou nous offre des élans pop efficaces comme "Tonight Tonight", sa voix et la production dirigée par Jamie Hartman, John Hill et Josh Crocker sont toujours séduisantes et impeccables. On aurait peut-être apprécié quelques prises de risques supplémentaires, le disque bonus composé de nombreux singles et collaborations sortis ces deux dernières années prouve que Celeste a le talent et l'oreille nécessaire pour amener sa néo-soul plus loin et l'enrichir davantage. Mais en tant que premier album qui s'est sacrément fait attendre, "Not Your Muse" remplit amplement et joliment bien sa mission !
Key tracks : "Tonight, Tonight", "Strange", "Not Your Muse"
Seventeen Going Under (2021)
Sortie : 8 octobre 2021 (France).
Album de Sam Fender
Keith Morrison a mis 8/10.
Annotation :
Score : 8.3
Si "Seventeen Going Under" met une chose bien en valeur, c'est la maturité artistique de Sam Fender. Ce second opus révèle une direction musicale plus précise et des textes qui ont gagné en retenue et précision sans que la plume de Sam Fender perde de son honnêteté et de son réalisme quand il s'agit de décrire le quotidien de jeunes anglais issus de la classe populaire et originaires de ces villes dont on ne parle jamais. N'oubliant jamais ses racines de North Shields et puisant son inspiration dans une adolescence sur laquelle il pose aujourd'hui un regard plus lucide et profond, Sam Fender livre ainsi une œuvre autobiographique puissante. Il y révèle les difficultés qu'il a pu rencontrer pendant son adolescence aussi bien sur le plan familial qu'amoureux, amical, scolaire ou socio-politique et qui le hantent toujours aujourd'hui. Une grande partie de la force de "Seventeen Going Under" se trouve dans cette manière d'exposer sans artifice des choses que l'on traverse à 17 ans et de leur donner une résonance particulière avec le recul d'un jeune homme de 27 ans.
L'arme principale de Sam Fender n'est cependant pas sa plume mais plutôt sa voix d'une puissance et émotivité impressionnantes. Les interprétations vocales du chanteur le voit souvent passer d'une certaine retenue, comme s'il s'empêchait d'exprimer un sentiment ou une rage qu'il garde en lui et qui bouillit, à une véritable explosion. Sam Fender sait quand déployer toute la puissance de ses cordes vocales afin de faire résonner certaines phrases, certains sentiments ou amplifier les moments forts des instrumentations produites par Bramwell Bronte. L'esprit de Bruce Springsteen, idôle absolue de Sam Fender, plane toujours au-dessus de ce second opus mais l'artiste anglais utilise et canalise mieux cette influence. Impossible de ne pas penser au Boss à l'écoute de "Get You Down" et "The Dying Light" ou en regardant cette pochette qui évoque directement celle de "Nebraska". Mais Sam Fender l'a compris : tant qu'à s'inspirer de son artiste préféré, autant s'appuyer sur ce que celui a fait de meilleur. Et si "Seventeen Going Under" devait être un disque de Springsteen, ça en serait un très grand ! Bruce peut être fier de son élève. Sam Fender d'autant plus.
Key tracks : "Seventeen Going Under", "Spit Of You", "The Dying Light"
Tyron (2021)
Sortie : 5 février 2021 (France). Trap
Album de slowthai
Keith Morrison a mis 8/10.
Annotation :
Score : 8.2
Suite à un dérapage lors d'une cérémonie de remise de prix, Tyron Frampton s'est retrouvé dans la pire position imaginable pour un artiste aujourd'hui : "canceled". Face à cela et à un profil qui ne faisait que monter dans le paysage musical et public anglais, le rappeur a choisi de prendre du recul. C'est cela qui a inspiré "TYRON", un second album divisé en deux parties afin de montrer la dualité de l'artiste mais aussi des répercussions provoquées par un coup de projecteur soudain. Dans un premier temps, slowthai fait du slowthai, l'index bien levé au "qu'en-dira-t-on". Puis dans un second, Tyron Frampton prend le devant de la scène et met de côté les excentricités et les beats qui font trembler les murs pour montrer que, derrière tout cela, il y a un individu qui essaye d'apprendre de ses erreurs et d'être une force pour tous les gens qui l'écoutent. C'est ce côté plus posé qui m'avait séduit au départ sur "Nothing Great About Britain" avant que je finisse par rentrer complètement dans l'univers survolté de l'enfant terrible du rap anglais qui, sous son attitude désinvolte, se révèle souvent touchant.
Mais à ma grande surprise, sur "TYRON", c'est la face A où slowthai est fidèle à lui-même, remonté comme une pile électrique, que je trouve le plus aboutie et le plus réussie. Le rappeur de Northampton propose un quart d'heure d'un hip-hop bruyant, décalé et explosif intense, sans temps mort, qui remplit l’auditeur d’énergie. Puis la seconde partie arrive et même si cela lui permet de déconstruire l'attitude "no fucks given" de la première en se montrant plus vulnérable, plus honnête, plus humain, cela ne fonctionne réellement que sur les trois derniers morceaux qui sont vraiment, pour le coup, phénoménaux et la meilleure chose que slowthai ait faite à ce jour. "TYRON" est un album plus ambitieux que "Nothing Great About Britain" mais moins constant. Ce second opus constitue un passage obligatoire pour slowthai, le moment où il fait tomber le masque pour montrer qu'il y a beaucoup plus de choses que l'on pourrait penser sous la surface. C'est toujours touchant et bien orchestré, c'est toujours prometteur pour la suite, c'est peut-être pas aussi excitant que le premier album, mais c'est toujours slowthai et il a quelque chose qui donne juste vraiment envie de croire en lui.
Key tracks : "feel away", "nhs", "PLAY WITH FIRE"
Mother (2021)
Sortie : 19 août 2021 (France).
Album de Cleo Sol
Keith Morrison a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Score : 8.2
La musique de Cleo Sol est synonyme d'un romantisme volupteux. L'instrumentation live de sa soul intime appuie sur la spontanéité et l'honnêteté de ses compositions. "Mother" est l'occasion pour la chanteuse toujours très bien épaulée par le producteur Inflo de s'illustrer dans un style éloigné des expérimentations lourdes et des textes engagés de SAULT. Lorsque Cleo Sol prend les devants, cela donne un album chaleureux, réconfortant, profondément personnel et sincèrement humain. "Mother" est un disque où l'amour – maternel principalement, mais pas uniquement – est la réponse salvatrice à tout. "Heart Full of Love" et "Sunshine" célèbrent un espoir, un équilibre et une soif de vie retrouvés grâce à l'arrivée d'un enfant dans la vie de Cleo Sol. L'expérience de la maternité amène aussi la chanteuse à faire des parallèles avec la relation qu'elle a eu avec sa propre mère ("23"). La beauté de "Mother", outre l'amour pur qui a inspiré ces douze morceaux, est la manière dont la chanteuse adapte ses textes et sentiments très intimes en des odes qui s'adressent directement à l'auditeur ("We Need You", "Know That You Are Loved"). C'est un album méditatif qui relate une transformation, un disque où les doutes laissent place à l'amour et au pardon.
"Mother" constitue une preuve supplémentaire de la superbe alchimie entre Cleo Sol et Inflo. L'album brille par sa cohésivité qui ne signifie pas pour autant que les deux acolytes ne s'amusent pas à essayer des choses nouvelles. Bien au contraire, ce second opus de Cleo Sol est d'autant plus séduisant et convaincant que son premier essai, "Rose in the Dark", car il ne semble être le résultat d'un élan d'inspiration imprévu. Non seulement cela renforce la sincérité du propos et de la démarche de la chanteuse, mais c'est aussi ce qui insuffle un véritable sentiment de liberté et d'urgence au projet. Cleo Sol et Inflo capturent un moment clé de la vie de l'artiste anglaise et nous rappellent que la musique c'est aussi cela : une manière d'immortaliser une émotion, un souvenir, une pensée, un état d'âme. Accompagnée par un groupe de musiciens qui livrent des instrumentations extrêmement riches, Cleo Sol est une présence rassurante et solaire. "Mother" est un album d'une beauté rare, le fruit de talents bruts, d'une authenticité indéniable et d'un amour sans limite.
Key tracks : "Promises", "We Need You", "23"
star‐crossed (2021)
Sortie : 10 septembre 2021 (France). Pop, Breaks, Rock
Album de Kacey Musgraves
Keith Morrison a mis 8/10 et a écrit une critique.
Annotation :
Score : 8.2
"star-crossed" est un projet ambitieux qui ne tombe pas dans la facilité de recréer un "Golden Hour" – cela aurait été impossible de toutes façons – et embrasse l'éclat de la musique pop de façon beaucoup plus évidente que sur l'opus précédent. Album de divorce qui cherche à relater cet épisode de la vie de Kacey Musgraves dans l'ordre chronologique, des premiers doutes à l'espoir retrouvé, "star-crossed" est une œuvre dont la palette émotionnelle est beaucoup plus large et complexe que celle de "Golden Hour". D'emblée, face à une telle promesse, l'écriture peut sembler peu recherchée. La force de Kacey Musgraves n'a cependant jamais été d'utiliser un lexique large et d'imaginer des métaphores poétiques pour décrire des sentiments indescriptibles. Sa qualité en tant qu'auteure-compositrice est directement liée à son talent vocal et réside dans sa capacité à transformer des phrases qui pourraient sembler clichées ou banales dans la bouche d'autres interprètes ("keep lookin up", "there is a light") en des paroles qui résonnent chez l'auditeur, comme si elle cherchait à en révéler toute leur vérité. C'est cette simplicité dans l'écriture qui la rend touchante et marquante.
Sur "star-crossed", elle fait cela au sein d'un univers musical encore plus étoffé que par le passé. Même si ce n'est pas l'utilisation la plus courante de cet adjectif, on pourrait dire qu'il s'agit ici de l'album le plus "expérimental" de Kacey Musgraves musicalement. Elle navigue entre la country qui est son ADN ("justified", "keep lookin up"), une pop acidulée à la légèreté séduisante ("simple times", "cherry blossom"), une flûte jazzy inattendue ("there is a light"), une reprise hallucinée et inspirée du "gracias a la vida" de Violeta Parra ou une guitare acoustique à l'accent hispanique ("star-crossed"). Autant de détails qui font de ce quatrième opus un disque riche, excitant et souvent touchant. C'est peut-être cette promesse d'une "tragédie en trois actes" qui n'est pas entièrement honorée sur "star-crossed". Tout comme "Golden Hour" n'était pas une thèse sur les joies maritales, "star-crossed" n'est pas une analyse en profondeur du divorce et c'est en réalité pour le mieux. Car c'est une fois libérée de toutes attentes inatteignables que "star-crossed" s'écoute et se savoure pour ce qu'il est : l'un des meilleurs albums pop de 2021.
Key tracks : "camera roll", "there is a light", "simple times"
El madrileño (2021)
Sortie : 26 février 2021 (France).
Album de C. Tangana
Keith Morrison a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Score : 8.2
Une plongée dans l'héritage musical hispanique pour un album épique, c'est le programme de "El Madrileño", le troisième opus de C. Tangana. Plus connu pour ses morceaux de latin trap et de hip-hop dans l'air du temps, l'artiste espagnol signe son meilleur travail avec cet album-concept où il endosse le rôle d'un "macho ibérico" madrilène pour rendre hommage à sa ville natale en musique. Les textes sont malheureusement pas toujours très intéressants – la figure stéréotypée que l'artiste a choisi de jouer empêchant d'ajouter une profondeur nécessaire à ses chansons – mais musicalement ce troisième opus est un ovni. C. Tangana réussit à faire se rencontrer tout un folklore musical hispanique allant du corrido au flamenco avec des sonorités actuelles qui sont caractéristiques de la musique que le rappeur a proposée jusqu'ici. Il est aidé pour cela par un panel d'invités intergénérationnel, englobant des artistes cultes tels que les Gipsy Kings, José Feliciano ou Andrés Calamaro et de jeunes talents montants comme Omar Apollo ou Ed Maverick. Ça ne devrait pas fonctionner, mais ça le fait... et extrêmement bien ! Revendiquant parfois ouvertement ces styles traditionnels ("CAMBIA!", "Muriendo De Envidia") et à d'autres moments offrant des expérimentations étonnantes ("Tú Me Dejaste De Querer", "Comerte Entera", "Nunca Estoy"), C. Tangana peut, enfin, se vanter d'avoir confectionné un son qui n'appartient qu'à lui et un album passionnant et excitant qu'il faut écouter pour pouvoir le croire.
Key tracks : "Tú Me Dejaste De Querer", "Nunca Estoy", "Los Tontos"
Conflict of Interest (2021)
Sortie : 19 février 2021 (France).
Album de Ghetts
Keith Morrison a mis 8/10.
Annotation :
Score : 8.2
Évoluant dans le rap game anglais depuis plus de 15 ans à présent, Ghetts n'avait jamais livré ce "moment" qui lui permettrait de s'affirmer comme un poids lourd du hip-hop made in Britain. Avec "Conflict of Interest", un troisième album sur lequel le rappeur montre et démontre avec une passion et une énergie impressionnante ses talents de storyteller à travers 16 morceaux sur lesquels il se révèle tour à tour féroce et assuré puis porteur d'une grande sensibilité et humanité, Ghetts semble avoir enfin signé ce projet qu'on attendait de lui. Outre son flow infatigable et sa plume à la fois cinglante et émotive, l'artiste anglais révèle une musicalité parfaitement dosée et exploitée à travers "Conflict of Interest". Les productions sont souvent dans un premier temps "beat heavy" et épurée, laissant la place au flow de Ghetts et à ses invités, puis laissent apparaître des détails savoureux qui ajoutent un impact supplémentaire mais subtile aux morceaux. Cela peut être quelques violons pour clore l'intense "Autobiography", un cuivre et des cordes menaçants sur "Skengman", ou la voix angélique d'Emeli Sande, le saxophone lointain et le côté orchestrale de "Sonya". Grâce à cette retenue dans la production et dans ses performances, Ghetts signe avec "Conflict of Interest" un album qui fait son effet petit à petit au lieu de mettre un coup de poing à l'auditeur. C'est un disque habité par une vraie urgence mais qui prend pourtant le temps de partager ses récits et délivrer ses messages et son émotion. C'est quelque chose d'assez rare et c'est ce qui fait qu'il reste en nous car en faisant les choses lentement, Ghetts laisse à l'auditeur le temps d'écouter et de ressentir.
Key tracks : "Mozambique", "Fire and Brimstone", "Good Hearts"
DEACON (2021)
Sortie : 26 mars 2021 (France).
Album de serpentwithfeet
Keith Morrison a mis 8/10.
Annotation :
Score : 8.2
Je ne sais pas si c'est parce que je passe mon temps à écouter de la musique au ton mélancolique mais un album comme "DEACON" qui célèbre l'amour sous toutes ses formes m'a mis une claque. J'aurais même envie de dire qu'il m'a ébloui tellement il semble être un véritable écrin de lumière, ce qui détonne pas mal avec le premier album plus torturé de serpentwithfeet. "DEACON" c'est aussi un album sur lequel l'artiste américain continue d'expérimenter avec son gospel unique ("Heart Storm", "Dawn", "Fellowship") et embrasse davantage le R&B contemporain, montrant qu'il est aussi facilement lui-même sur une production de Take a Daytrip que sur une composition de Lil Silva ou de Sampha. C'est un moment de célébration où Josiah Wise chante avec passion son amour pour son partenaire que pour ses amis qui fait beaucoup de bien.
Key tracks : "Fellowship", "Amir", "Hyacinth"
Absolutely (2021)
Sortie : 5 novembre 2021 (France).
Album de Dijon
Keith Morrison a mis 8/10 et a écrit une critique.
Annotation :
Score : 8.2
Attendu depuis de nombreuses années, son premier album solo, "Absolutely", conserve l'absence de linéarité ou de structure définie qui est caractéristique de l'esthétique musicale qu'a développée Dijon jusqu'à aujourd'hui. Manifestement plus instinctif que réfléchi, "Absolutely" est principalement l'œuvre de bœufs entre amis – sessions qui ont d'ailleurs été réconstituées dans un film qui accompagne l'album. Dès la piste d'ouverture, "Big Mike's", une spontanéité est palpable dans la performance vocale de Dijon, ses textes qui répètent souvent une phrase ou une idée jusqu'à atteindre un point culminant (c'est particulièrement le cas sur "Annie" et "Talk Down"), les instrumentations qui montent petit à petit en intensité et l'impression que chaque musicien se nourrit de l'énergie de ses acolytes.
Du fait de l'aspect très instinctif de "Absolutely" et de son refus de proposer toute linéarité qui permettrait de mieux appréhender les chansons qui le composent, ce premier album de Dijon n'est pas un travail qui fait de l'instantanéité des morceaux une force, quitte à dérouter l'auditeur. C'est un disque qui nécessite – et mérite – de prendre le temps de l'écouter plusieurs fois et de se laisser prendre au jeu de cette "jam session" par moments endiablée et à d'autres songeuse. Appréhendé ainsi, "Absolutely" se révèle alors être une véritable pépite.
Key tracks : "The Dress", "Many Times", "Rodeo Clown"
A Beginner’s Mind (2021)
Sortie : 24 septembre 2021. Indie Folk
Album de Sufjan Stevens et Angelo De Augustine
Keith Morrison a mis 8/10 et a écrit une critique.
Annotation :
Score : 8.2
Retournant vers sa folk rêveuse, fantaisiste et lumineuse, Sufjan Stevens embarque cette fois-ci son protégé Angelo De Augustine avec lui. Si sur "The Ascension" Stevens se positionnait comme un homme désabusé face au monde dystopique qui l'entoure, "A Beginner's Mind" voit les deux acolytes retrouver un sentiment d'émerveillement pour la vie en la regardant à travers le prisme de films cultes très variés, des "Ailes du désir" de Wim Wenders au troisième épisode de la saga d'horreur "Hellraiser". Évitant de tomber dans le jeu de la devinette, Sufjan Stevens et Angelo De Augustine utilisent leurs sources d'inspiration cinématographiques pour en insuffler le langage et l'approche filmique dans leurs textes et leur musique. Les univers de ces différents films deviennent alors des échappatoires fantaisistes ("Back to Oz", "Olympus") ou une façon de faire écho à des sentiments et préoccupations personnels ("(This Is) The Thing", "Lost in the World").
Angelo De Augustine s'est avec son premier album, "Tomb", placé comme un héritier direct de la musique mélangeant le folklorique et l'onirique de Sufjan Stevens. L'alchimie entre les deux musiciens fonctionne à merveille : leurs univers se complètent et leurs voix fusent ensemble dans une harmonie parfaite. Cela faisait longtemps que la musique de Stevens avait été le véhicule d'un tel sentiment de sérénité, d'apaisement et d'émerveillement et "A Beginner's Mind" semble rappeler à quel point l'artiste américain excelle lorsqu'il conjugue sa folk spirituelle avec une poésie qui trouve sa source dans des choses étonnantes et décalées ("The Pillar of Souls", "Fictional California"). Un album à deux voix qui prend la forme d'une merveilleuse escapade musicale d'une douceur inimitable.
Key tracks : "Olympus", "Back to Oz", "(This Is) "The Thing"
Heaux Tales (2021)
Sortie : 8 janvier 2021 (France).
Album de Jazmine Sullivan
Keith Morrison a mis 8/10.
Annotation :
Score : 8.2
"Heaux Tales" est une nouvelle fois la preuve que Jazmine Sullivan est une artiste à part dans le paysage R&B contemporain mais qui reçoit trop peu de fleurs non seulement pour sa voix absolument sensationnelle, qui peut passer d'un flow enjoué à de grandes envolées vocales émotives, ses qualités d'auteures-compositrices démontrées dans des textes – parfois drôles et culottés, parfois intimes et à fleur de peau – et surtout sa capacité à être chez elle sur n'importe quel style de R&B. Sur "Heaux Tales", chaque morceau a son identité musicale et a une histoire qui lui est liée, présentée sous forme de témoignage. Tout au long de l'EP, Jazmine Sullivan revêt le costume de différents personnages : celui de la "gold digger" sur la ballade "The Other Side", de l'amoureuse trahie et esseulée sur le R&B acoustique de "Girl Like Me", de l'amante qui n'a clairement pas sa langue dans sa poche sur le morceau de pop urbaine très efficace "Put It Down" – rappelant le travail de Victoria Monét – ou la neo-soul joueuse de "On It". Le clou du spectacle est sans aucun doute "Lost One", une composition très épurée où résonnent, en boucle, quelques notes de guitares électriques nostalgiques qui évoquent le troisième album de Frank Ocean, "Blonde". Sur cette simple production, Sullivan y chante le discours sacrément égoïste mais puissamment honnête d'une femme qui a blessé son ex-compagnon et lui fait un étrange mea culpa en le suppliant de ne pas être trop heureux sans elle. Toutes ces chansons et tous ces sujets pourraient constituer une collection de stéréotypes si elles avaient été écrites et chantées par quelqu'un d'autre. Mais Jazmine Sullivan apporte un regard dénué d'un quelconque jugement sur chaque histoire, choisissant plutôt de faire ressortir leur humanité, que cela plaise ou non. En résulte une galerie de portraits vrais et honnêtes qui met en avant l'approche singulière de Jazmine Sullivan dans la façon dont elle traîte les thématiques de ses chansons et intronise la chanteuse comme étant l'une des artistes de R&B les plus créatives et intéressantes de sa génération.
Key tracks : "Lost One", "The Other Side", "Put It Down"
Collapsed in Sunbeams (2021)
Sortie : 29 janvier 2021 (France).
Album de Arlo Parks
Keith Morrison a mis 8/10.
Annotation :
Score : 8.1
"Making rainbows out of something painful" chante Arlo Parks sur la dernière piste de son premier album. Une conclusion pleine d'optimisme, de gaieté et d'espoir qui résume parfaitement un disque sur lequel la chanteuse et poétesse anglaise raconte sur des morceaux lumineux et chaleureux à l'influence néo-soul très prononcée les expériences pas souvent évidentes d'une jeune adulte avec une maturité incroyable ("Green Eyes", "Black Dog"). La plume d'Arlo Parks est impressionnante, ses textes sont imagés et racontent des situations de manière très détaillée et évoquent ainsi des sentiments sur lesquels il est compliqué de mettre des mots. Sa voix l'est tout autant, sa douceur et son innocence pouvant la révéler aussi vulnérable et triste ("Caroline", "Eugene") que forte et assurée ("Hurt", "Too Good"). La seule chose que l'on pourrait reprocher à "Collapsed In Sunbeams" est peut-être un léger manque de variété, l'album étant très linéaire. Mais la subtilité semble être l'une des plus grandes forces d'Arlo Parks qui arrive à intégrer quelques influences musicales dans un disque très cohésif, ce qui rend les écoutes addictives et excitantes : un soupçon de hip-hop sur "Bluish" et "Too Good", un peu de trip-hop à la Portishead sur "For Violet", un faux-semblant de folk sur "Black Dog", un élan plus pop sur "Just Go". Bien sûr, le plus fou dans tout ça, c'est qu'Arlo Parks n'a que vingt ans. Si "Collapsed In Sunbeams" est ce qu'elle arrive à faire à un si jeune âge, la suite s'annonce très très prometteuse !
Key tracks : "Black Dog", "Bluish", "Eugene"
Temporary Highs in the Violet Skies (2021)
Sortie : 9 juillet 2021 (France).
Album de Snoh Aalegra
Keith Morrison a mis 8/10.
Annotation :
Score : 8.1
Snoh Aalegra est l'exemple parfait d'une artiste qui a trouvé et perfectionné un son bien à elle avant la sortie de son premier album et qui a ensuite cherché avec chaque opus à l'emmener plus loin et le confronter à différentes émotions et intentions. "TEMPORARY HIGHS IN THE VIOLET SKIES", troisième disque d'un des talents les plus excitants que le R&B ait vu naître au cours de la décennie passée, est une nouvelle évolution de la musique de la chanteuse et sans aucun doute la plus radicale à ce jour. L'artiste suédoise a toujours pris plaisir à mélanger des influences de soul rétro avec une atmosphère cinématique moderne donnant ce R&B qui évoque aussi bien le charme discret de Sade que la musicalité sans limites de Stevie Wonder. Ce troisième opus ne déloge pas à la règle mais le fait de façon plus évidente et tape-à-l'oeil, notamment quand Snoh Aalegra rencontre Tyler, The Creator et The Neptunes. Sur "IN YOUR EYES" qui évoque les productions classiques de Pharrell Williams, l'éclatant "NEON PEACH" ou "IN THE MOMENT", le rappeur californien et les producteurs de Virginia Beach adaptent leurs univers identifiables et flamboyants à celui plus raffiné, élégant et romantique de Snoh Aalegra. Plus loin sur l'album, la chanteuse collabore avec P2J (Wizkid, Burna Boy, Dave) sur un midtempo mélancolique et séduisant, "DYING 4 YOUR LOVE", ou avec Terrace Martin sur le sensuel et aérien "TASTE".
Originale sans jamais trop en faire, la production appuie sur ce qui fait le charme de la musique de la protégée de No I.D., accentue ses qualités, y ajoute même un côté psychédélique et lui offre une véritable fraîcheur. En résulte un R&B songeur et minimaliste dans les moments les plus lucides et nonchalants ("INDECISIVE", "WE DON'T HAVE TO TALK ABOUT IT") ou rêveur et flirtant parfois avec le kitsch quand le romantisme de Snoh Aalegra est exacerbé ("TANGERINE DREAM", "VIOLET SKIES'). Si "TEMPORARY HIGHS IN THE VIOLET SKIES" semble être un virage plus prononcé que ce que l'artiste avait proposé sur le disque précédent, "-Ugh, those feels again", il brille grâce à la balance parfaite que trouve Snoh Aalegra entre l'ancien et le nouveau, sortant de sa zone de confort sans trop s'éloigner de ce R&B intime teinté de soul dont elle a fait sa signature. Cet album suggère ainsi une suite toujours plus prometteuse pour cette voix et cette artiste captivante.
Key tracks : "NEON PEACH", "INDECISIVE", "DYING 4 YOUR LOVE"
NINE (2021)
Sortie : 25 juin 2021 (France).
Album de SAULT
Keith Morrison a mis 8/10.
Annotation :
Score : 8.1
Cela peut sûrement sembler très surprenant au vu de la discographie déjà bien riche et audacieuse de SAULT à ce jour, mais "NINE" est peut-être bien l'album le plus étrange, expérimental et grinçant du groupe énigmatique. Dans la première partie du disque, les morceaux commencent souvent sur une note faussement légère, avec des mélodies enjouées qui interpolent des comptines britanniques ou des chansons festives ("London Gangs", "Trap Life"). Derrière ces évocations espiègles, on peut déceler plus qu'une pointe d'ironie, sentiment confirmé par la production plus lourde, moins mélodique, aux rythmes soutenus. Les morceaux qui constituent "NINE" sont dôtés d'un grain dans la production (les percussions et de la guitare saturée de "London Gangs", le mixage sur la voix de Cleo Sol sur "Alcohol") qui appuie sur la noirceur des sujets qui sont évoqués. La candeur exagérée de la mélodie de "Trap Life" ou le contraste entre la douceur de la soul de "Bitter Streets" et le sentiment d'impuissance et de deuil contenu dans ses paroles ("Fell in love with the streets/September, you were out/Now we're all the way in Fеbruary") ne sont qu'un prétexte pour mettre l'auditeur à l'épreuve et l'amener à vraiment écouter et réfléchir. Une fois atteint les deux pistes qui closent ce court album, "9" et "Light's in Your Hands", celles-ci apparaissent comme une lueur d'espoir et nous laissent sur une note réconfortante, même si SAULT nous rappellent bien assez rapidement que rien n'est jamais gagné et que cette œuvre se veut être le reflet d'une réalité très peu exposée comme telle. Loin d'être le projet le plus immédiat ou accessible du groupe britannique et malgré une sortie qui a renforcé le côté mystique autour de cet album, "NINE" est leur plus brut et frappant à ce jour. Il continuera de résonner bien au-delà de ses 99 jours de disponibilité instantanée.
Key tracks : "Bitter Streets", "London Gangs", "Light's in Your Hands"
Smiling with No Teeth (2021)
Sortie : 5 mars 2021 (France).
Album de Genesis Owusu
Keith Morrison a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.
Annotation :
Score : 8.0
Fantastiquement bizarre, "Smiling with No Teeth" est un album où le bordel musical qui y règne – un mix de rock alternatif, hip-hop, funk, post-punk et soul – représente celui personnel qui a inspiré la métaphore centrale de cette œuvre. Genesis Owusu traîte ses sujets avec intelligence, justesse et originalité et ses performances, aussi variées que les différentes influences musicales qui constituent le disque, transforment chaque chanson en une pièce d'un puzzle émotionnel complexe et frappant.
Key tracks : "Don't Need You", "Gold Chains", "Easy"
Prioritise Pleasure (2021)
Sortie : 22 octobre 2021 (France).
Album de Self Esteem
Keith Morrison a mis 8/10.
Annotation :
Score : 8.1
Un condensé d'humour et d'honnêteté brute, "Prioritise Pleasure" est un album sans concession qui n'essaye jamais d'être discret ou de faire dans la retenue. Non, "Prioritise Pleasure" fait du bruit, veut se faire entendre et résonne. Second opus de Rebecca Taylor sous l'étendard de Self Esteem, celui-ci semble avoir été thérapeutique pour sa créatrice. Elle y examine sa vie, ses relations, ses expériences en tant que femme dans la société et l'industrie du disque et se libère de ses doutes et contrariétés de manières inattendues. "Prioritise Pleasure" peut être chaotique et explosif, et parfois se révèle très serein et lucide. C'est un disque aussi imprévisible que la production qui met en musique des textes capables de parler de sujets lourds avec une excentricité rafraîchissante et profondément amusante.
Musicalement, "Prioritise Pleasure" est l'album pop le plus euphorique et vivifiant de l'année. Entre les percussions dominantes survoltées de "How Can I Help You", les chœurs gospels puissants qui apparaissent comme un motif récurent pour graver des refrains dans la mémoire de ceux qui écoutent cet album ("Prioritise Pleasure", "Still Reigning", "I Do This All The Time"), la disco fantaisiste et survitaminée de "Moody" et "You Forever", le beat à la saveur trap de "It's Been a While" et les grands hymnes pop visant l'empowerment ("The 345", "Prioritise Pleasure"), la production originale de Johan Hugo et la versatilité de Rebecca Taylor proposent constatement quelque chose de nouveau et d'excitant avec chaque morceau. L'authenticité et l'honnêteté dans le propos et la démarche de l'artiste anglaise renforce l'impact de ces chansons. Quand elle chante "I just want to let you know there's a point in you" sur le refrain de "The 345" – une démarche qui n'est pas inédite dans l'histoire de la musique pop – on la croit. Le message résonne aussi fort que lorsqu'elle déclare "It was really rather miserable trying to love you" sur le touchant "I Do This All The Time". Ainsi, "Prioritise Pleasure" devient un ouragan de liberté, aussi bien dans son écriture que dans son exécution, et confirme sa créatrice comme étant l'un des talents les plus captivants que la scène pop britannique ait vu naître ces dernières années.
Key tracks : "I Do This All The Time", "Prioritise Pleasure", "It's Been a While"
Wildest Dreams (2021)
Sortie : 22 octobre 2021 (France).
Album de Majid Jordan
Keith Morrison a mis 8/10 et a écrit une critique.
Annotation :
Score : 8.1
La fusion entre R&B et dance music que Majid Jordan proposent depuis leurs débuts, et qui les a positionnés comme un duo faisant souffler un vent de nouveauté sur le genre au milieu des années 2010, a rarement sonné aussi maîtrisée que sur leur troisième opus. "Wildest Dreams" propose deux choses plutôt inédites de la part de Majid Al Maskati et Jordan Ullman qui font que cet album apparaît dès lors comme leur plus abouti et immédiat. D'un côté, le duo embrasse davantage un R&B plus classique, moins dansant et électronique que d'accoutumé, comme sur la ballade acoustique "Forget About The Party", preuve que Jordan Ullman peut épurer ses productions sans que le charme de la musique de Majid Jordan disparaisse pour autant, ou "Sweet", piste finale qui apparaît comme la réflection douce qui vient à la fin d'une belle soirée passée en bonne compagnie ("All that matters in the end/Are the moments that we spent"). Ces excursions dans un R&B plus proche de la soul que des dancefloors ne signifie pas pour autant que Majid Jordan se laissent aller à la facilité offrant de la fraîcheur à leur musique en jouant avec des sonorités inédites pour eux et en y apposant leur ADN ("Sway", "Wildest Dreams").
D'un autre côté, quand le chanteur et le producteur canadiens créent de la musique plus destinée aux boîtes de nuit qu'aux moments d'intimité, ils mettent le curseur sur 100 et produisent les morceaux les plus efficaces de leur carrière. Dans un monde juste, le single "Waves of Blue" serait le plus gros tube de l'année et "Summer Rain" lui emboîterait facilement le pas. "Life Worth Living" aurait pu sans problème apparaître sur un des derniers albums de The Weeknd. La piste d'ouverture "Dancing on a Dream" évoque les meilleurs morceaux du duo avec une étincelle supplémentaire qui lance les festivités comme il le faut. "Been Through That" et "Stars Align" sont ce que Majid Jordan font de mieux en matière de R&B électronique. Dans les mains d'un artiste adulé par un large public, "Wildest Dreams" serait le type d'album qui écraserait tout sur son passage. Dans celles de Majid Jordan, il apparaît comme l'aboutissement d'années de travail et d'expérimentations avec deux genres musicaux que personne ne fusionne comme le duo canadien qui a bel et bien laissé sa marque sur le R&B contemporain.
Key tracks : "Waves of Blue", "Sway", "Been Through That"
Weight of the World (2021)
Sortie : 18 octobre 2021 (France).
Album de Maxo Kream
Keith Morrison a mis 8/10.
Annotation :
Score : 8.0
Ce que "WEIGHT OF THE WORLD" accomplit n'est pas loin d'être une prouesse : ce nouvel opus de Maxo Kream continue à construire quelque chose d'encore plus fort sur les bases déjà très solides qu'il avait posées avec ses deux premiers albums et dévoile en son cœur un contenu personnel qui ajoute beaucoup d'humanité à l'œuvre du rappeur américain. La force de "WEIGHT OF THE WORLD" réside dans ce braggadocio jamais outrancier qui amène Maxo Kream à nous exposer son assurance qui force au respect ainsi que son indéniable ingéniosité et qui, plus souvent qu'on s'y attendrait, laisse soudainement place à un ton plus grave. Le rappeur s'amuse en compagnie d'A$AP Rocky sur "STREETS ALONE" avant de donner un écho bien plus mesuré à la vie dans un gang sur "TRIPS" où il se remémore le meurtre de son frère. Il fait l'éloge du luxe aux côtés de la rappeuse Monaleo sur "CEE CEE" mais reconnaît que couvrir sa mère de cadeaux n'a jamais aidé à calmer les traumatismes de celle-ci ("MAMA’S PURSE"). Sur "THEY SAY", Kream répond à ses détracteurs qui interrogent sa "street cred" puis, sur "LOCAL JOKER", observe son nouveau statut de star du rap, l'anxiété qui peut venir avec et le fait que pour les amis qu'il a laissé à Houston rien n'a changé. Il donne ainsi un goût amer à cette célébration très nuancée de son parcours et son succès.
Maxo Kream retrace une histoire très typique d'un schéma "rags to riches". Ce qui différencie cependant le rappeur et fait de "WEIGHT OF THE WORLD" un travail aussi fort est qu'il raconte tout cela avec aucune pudeur ou honte et gratte la surface clinquante de l'allure bling-bling de son rap – qu'il assume entièrement et qui est au final aussi importante que les moments d'introspection que contient ce troisième album – pour révéler les traumas qui se cachent derrière. Même s'il est habité par un certaine noirceur, "WEIGHT OF THE WORLD" ne se veut jamais trop sérieux ou dur. Maxo Kream trouve une excellente balance grâce son flow acéré, les beats modernes au léger parfum old school et un esprit de camaraderie qui habite ses collaborations notables avec Tyler, The Creator ou A$AP Rocky. Au final, rien n'est tape-à-l'œil sur "WEIGHT OF THE WORLD". Chaque élément fonctionne comme un moteur supplémentaire pour Maxo Kream et l'amène à livrer son meilleur album et confirmer qu'il est une voix singulière dans le paysage du hip-hop américain.
Key tracks : "BIG PERSONA", "MAMA'S PURSE", "GREENER KNOTS"
Second Line (2021)
Sortie : 30 avril 2021 (France).
Album de Dawn Richard
Keith Morrison a mis 8/10.
Annotation :
Score : 8.0
Dawn Richard avait débuté avec "new bread" sa trilogie "New Orleans". Sur cet opus, la chanteuse présentait un R&B plus classique que celui qu'elle avait développé avec ses albums précédents, mettant en évidence les liens forts du genre avec le hip-hop et la funk. "Second Line", second volet de cette saga musicale, est quant à lui beaucoup plus électronique, avec des sonorités house et electro très prononcées, mais toujours aussi varié au niveau de ses influences. "new bread" semblait célébrer le patrimoine musical de la Nouvelle-Orléans tel qu'il est aujourd'hui. Avec son imagerie afro-futuriste et l'originalité excentrique de Dawn Richard, "Second Line" semble mettre en lumière ce que cet héritage pourrait devenir dans les mains d'une nouvelle génération de musiciens et d'artistes innovants.
Les genres fusent, l'artiste passe d'un chant passionné à un rap affirmé en un claquement de doigt, d'une ballade R&B électronique et planante ("Mornin | Streetlights") à un morceau piano-voix déchirant ("La Petite Morte") avec une facilité impressionnante... Dawn Richard ne se fixe aucune règle et "Second Line" est l'œuvre d'une créativité sans limite. Si quelques titres s'arrêtent soudainement de façon peu naturelle et certaines des interludes auraient gagné à être plus longues et ainsi plus développées – notamment "Voodoo (Intermission)" qui nous laisse sur notre faim – cela ne vient pas pour autant entraver le déroulement de "Second Line". À chaque morceau et parfois sur une même piste, le disque dévoile quelque chose d'inattendu et de nouveau qui rend ainsi son écoute très excitante. Plus accessible qu'un grand nombre des projets de l'artiste louisianaise sans jamais compromettre l'ambition et la singularité créative de celle-ci, ce sixième opus de Dawn Richard est une véritable curiosité musicale hybride et dansante. Un disque à l'image de sa créatrice.
Key tracks : "Mornin | Streetlights", "Jacuzzi", "Boomerang"
CALL ME IF YOU GET LOST (2021)
Sortie : 25 juin 2021 (France). Jazzy Hip-Hop, Trap, Funk / Soul
Album de Tyler, the Creator
Keith Morrison a mis 8/10 et a écrit une critique.
Annotation :
Score : 7.9
Retour aux sources ou concrétisation de tout ce que Tyler, The Creator a réalisé au court de ces dix dernières années ? Arrivant après son album le plus expérimental et le moins rap de sa discographie, "Call Me If You Get Lost" remet au premier plan le flow infatigable et les textes rentre-dedans, introspectifs ou romantiques du rappeur californien, s'illustrant cette fois-ci sous le pseudonyme de Tyler Baudelaire. La fantaisie musicale de l'excentrique fondateur d'Odd Future n'est cependant pas mise de côté, son sixième opus abordant bien les couleurs vives de ses précédents disques et se basant sur un concept original qui met en évidence le principal moteur de Tyler, The Creator dans la réalisation de cet album : sa passion toujours aussi ardente pour le rap. Son rap se fait plus féroce que sur les derniers albums en date, l'artiste délaissant le chant qui était devenu très présent dans sa musique.
Tyler, The Creator n'en perd pas pour autant sa sensibilité pour le R&B et la soul ainsi que son goût pour les pas de côté. Sur "WUSYANAME", il joue la carte de l'amoureux éperdu proie à un coup de foudre et revisite le tube "Back Seat (Wit No Sheets)" du groupe de New Jack Swing H-Town. Sur le double morceau "SWEET / I THOUGHT YOU WANTED TO DANCE", Tyler, The Creator entonne dans un premier temps une mélodie sucrée qui aurait trouvé facilement sa place sur "Flower Boy" ou "IGOR". Quand arrive la deuxième partie, le rappeur et la chanteuse Fana Hues dialoguent sur une instrumentale fortement emprunte d'un jazz aux reflets caraïbéens enjoué et coloré. Mélangeant le vieux avec le plus récent, "Call Me If You Get Lost" alterne des beats percutants à l'énergie survoltée et des moments de douceurs sirupeux. L'artiste démontre que son humour grinçant et son egotrip n'ont rien perdu de leur superbe et de leur piment tout en continuant à utiliser sa musique pour raconter ses tourments amoureux. "WILSHIRE", morceau fleuve long de 8 minutes et piste phare de l'album, devient l'étendard des talents de lyriciste de Tyler Okonma. Clairement moins tape-à-l'œil que "IGOR" mais possédant toujours cette sensibilité qui avait fait de "Flower Boy" un tournant important pour le rappeur américain, "Call Me If You Get Lost" est un album qui renoue avec une musique plus immédiate mais pas dénuée d'une originalité et d'un charme qui n'appartient qu'à Tyler, The Creator.
Key tracks : "SWEET / I THOUGHT YOU WANTED TO DANCE", "WILSHIRE", "JUGGERNAUT"
Mood Valiant (2021)
Sortie : 25 juin 2021 (France).
Album de Hiatus Kaiyote
Keith Morrison a mis 8/10.
Annotation :
Score : 7.9
Y a-t-il un plaisir comparable à celui de plonger dans l'univers totalement unique de Hiatus Kaiyote ? "Mood Valiant" nous amènerait plutôt à répondre "non" à cette question. D'une introduction qui pose les bases d'un décor paradisiaque et apaisé avant d'entraîner l'auditeur dans un numéro déchaîné au rythme effrénée et aux arrangements qui fusent dans tous les sens avec "Chivalry Is Not Dead", jusqu'à un final relativement modéré pour un tel disque mais sur lequel Nai Palm trouve quand même le moyen de converser avec un oiseau, ce troisième album du groupe australien est une expérience musicale que l'on peut difficilement comparer à d'autres. De retour ensemble après 6 années de pause – les amoureux des jeux de mots appelleront ça un "hiatus" – qui furent à la fois éprouvantes et productives pour les membres du groupe, Hiatus Kaiyote nous rappellent avec "Mood Valiant" qu'absolument rien ne peut arrêter leur créativité folle – ou plutôt leur folie créative ? – avec un album d'une richesse étourdissante. Bel exemple de cela, "Rose Water" est introduit par une flûte presque mystique qui est rapidement rejointe par l'orchestre haut en couleur que forme le groupe. Après trois sublimes minutes de funk viscéral, l'énergie laisse place à une fin au piano d'une douceur sublime. Soucis du détail assumé jusqu'au bout, même le son de l'écoulement d'un ruisseau se fait entendre pour renforcer cette impression de nirvana auditif.
La vérité, c'est que chaque morceau de "Mood Valiant" mériterait d'être complètement déconstruit pour que l'on puisse en savourer chaque élément, chaque instrument, chaque couche de production et chaque son qui peut provenir d'une source inattendue. Mais même en faisant cela, ce n'est pas sûr que l'on pourrait saisir toute l'étendue de l'ingéniosité des quatre musiciens. Un élément à côté duquel on ne peut en aucun cas passer à côté est la puissance vocale et l'énergie fulgurante de Nai Palm qui livre tout au long de "Mood Valiant" des performances habitées qui laissent transparaître un état de transe qui accompagne logiquement les instrumentations explosives. Face à ces morceaux qui sont aussi imprévisibles que les émotions qui nous traversent en les écoutant, utiliser l'adjectif "psychédélique" pour décrire la musique que nous livre une fois de plus Hiatus Kaiyote avec "Mood Valiant" paraît faible. Difficile de mettre des mots sur une telle expérience !
Key tracks : "And We Go Gentle", "Red Room", "Stone Or Lavender"
Sometimes I Might Be Introvert (2021)
Sortie : 3 septembre 2021 (France). Conscious
Album de Little Simz
Keith Morrison a mis 8/10.
Annotation :
Score : 7.9
"Sometimes I Might Be Introvert" annonce Little Simz. Pourtant c'est plutôt une impression d'opulence et de grandeur qui se fait ressentir dès les premières minutes de "Introvert". Un ensemble de cordes, cuivres et percussions accompagnent l'artiste anglaise qui livre un rap passionné. Le ton est très éloigné de la production plus réservée de "GREY Area", le précédent opus de Simbi Ajikawo. Celui-ci l'avait déjà vu repousser ses limites pour signer un album habité par une véritable urgence et une variété d'influences musicales. Surtout, "GREY Area" mettait en avant l'énergie et la confiance impressionnantes que démontrait la rappeuse. La suite promettait d'être belle... Et "Sometimes I Might Be Introvert" valide cela. Cinématique à souhait avec ses orchestrations dramatiques et ses interludes narratives, cet album est en tout point ambitieux. Le contraste entre la musicalité exhubérante et le ton très honnête de Little Simz vient parfaitement souligner les questionnements autour du succès évoqués dans les textes. "Simz the artist or Simbi the person?" demande-t-elle sur sur la piste d'ouverture.
Si la première partie de l'album est un coup de poing grâce la présence imposante de Little Simz et sa plume qui livre des punchlines cinglantes, notamment sur "I Love You, I Hate You" où la rappeuse examine sa relation avec son père ("Is you a sperm donor or a dad to me?"), la seconde partie est là où les choses deviennent réellement intéressantes. Débutant avec une ballade R&B acoustique ("I See You"), les pistes qui suivent prouvent que l'ambition de Simbi Ajikawo va au-delà d'orchestrations grandiloquentes. La rappeuse s'illustre tour à tour sur une instrumentation grime ("Rollin Stone"), une composition électro-funk pétillante et redoutablement entraînante ("Protect My Energy"), deux productions qui évoquent ses racines nigériennes à renfort d'Afrobeat ("Point and Kill") et de musique traditionnelle ("Fear No Man") et un morceau sobre à l'influence de gospel ("How Did You Get Here"). Si la première partie plus introspective "Sometimes I Might Be Introvert" est son cœur sensible, la riche variété musicale de la seconde constitue la succession de pistes la plus joussive de l'année. Simz, l'artiste, et Simibi, la personne, co-habitent superbement bien sur ce quatrième album qui nous laisse, une nouvelle fois, en admiration totale de la rappeuse londonienne.
Key tracks : "Point and Kill", "Rollin Stone", "I Love You, I Hate You"