[insérer jeu de mots avec Grey]
Je cherchais un truc marrant. Un jeu de mots facile sur une actualité récente. Un film qui fait l’affiche. Un quelque chose accrocheur. Sur un navet que tout le monde connaît de près ou de loin. Histoire d’accrocher un maximum de gens pour ne pas parler dans le vide, déblatérer en vain sur un marché de niche. Qui plus est un rappel du titre de l’album.
J’ai pas trouvé.
Passons.
Et d’abord un constat pas nouveau mais qu’il faut admettre à présent. Slipknot, aujourd’hui, est positivement inséparable de la dérive Stone Sour. D’autant que Gray parti (trop tôt hélas), Jordisson expulsé, Taylor et Root deviennent les compositeurs majoritaires du groupe. Faut-il faire de cet état de fait un drame et rejeter toutes les productions du Knot ? Le précédent opus laissait entendre (aïe) que oui. Une inspiration inexistante, un renouvellement minimal, une rage proche de celle de Nolwenn Leroy, un vilain flan mal cuit qui ne faisait pas envie. Ici la donne est toute autre. Le succès aussi brutal qu’inattendu de la balade de copains Stone Sour a été digéré, exploité. Les enseignements ont été tirés. Dès l’introduction de ce cinquième chapitre, l’alchimie est palpable. Quel bonheur de retrouver les malsaines instrumentations Knotiennes savamment relevées de l’accessibilité pop (hum) du petit frère. La magie opère à nouveau. Slipknot brisé, séparé, écartelé, a retrouvé une unité miraculeuse qui transpire de chaque piste. Unité qui faisait si cruellement défaut à All Hope Is Gone le bien nommé. Quel plaisir de s’imprégner à nouveau de l’ambiance unique d’un album des neuf.
Car c’est bien d’ambiance(s) qu’il est question. Car Slipknot avant de putasser sur les ondes faisait du Neo Metal. Car le Neo alors était un acte politique, un retour à la simplicité Punk d’une musique qui avait perdu ses origines et s’emberlificotait dans les fils de sa toile mal fagotée. Slipknot en ce temps béni nappait sa musique brutale de trames plus oppressantes encore, impalpables, envahissantes. Ce Slipknot est de retour. Et si l’unité de l’ensemble de la galette n’est malheureusement plus au rendez-vous, il n’est pas un titre qui ne s’offre le luxe d’une atmosphère bien à lui.
Le numéro cinq, c’est aussi une fin. Celle de la prise au sérieux à outrance, de l’intellectualisation malvenue d’un son qui n’a de valeur que s’il piétine ses auditeurs, s’il broie leurs convictions, s’il leurs assène ses vérités avec une assurance adolescente, s’il ne démord jamais de son propos, s’il ne s’autorise aucune limite. Taylor insulte le monde entier, Sid massacre ses platines sans la moindre volonté de cohérence et le Clown idiot martèle ses futs avec une démence irréprochable. Et tout ça s’assemble majoritairement à merveille. Par un miracle ordinaire qui est celui de l’abandon d’un hémisphère de cerveau.
Le retour également de la machine rythmique qu’était la bande. La bête de scène. Le délire passionnel exacerbé. Le tabasseur fou.
Je parle au passé et je le fais à outrance. Mea Culpa. Aucun album de la troupe de Des Moines n’avait jusqu’ici marqué une telle rupture avec son passé. Il fallait assurément exorciser Paul gray, les souffrances d’une bande d’amis (avant d’être une bande de musiciens), tourner une page définitive. Si on appréciera le retour à l’état d’esprit originel, à la musique viscérale, il faudra dorénavant composer avec une musique nouvelle, hybride du neuf et du vieux, multi-générationnelle, en pleine mutation au sein de laquelle les chœurs Stone-Souriens côtoient paisiblement (sic) les growls possédés. Un nouveau monde bizarre où les neufs se réalisent enfin, s’épanouissent, prennent le départ vers un ailleurs qui leur ressemble.
Je n’oserai te parler de perfection car elle n’est nulle part ici. Loin s’en faut. Slipknot, même à son meilleur, n’est jamais parfait. On l’aime pour ça. Car il parle au commun des mortels. A cet ado mal dans sa peau. A ce quadra blasé. Au trentenaire déboussolé. Slipknot cause simplement, sans fioriture, avec les tripes et le cœur. Parfois la machine trébuche, c’est inévitable, le rythme s’effondre, la cohésion se perd, l’unité se distord. D’autant que l’album est long. Peut-être trop. Le message se dilue légèrement dans cette débauche percussive et riffesque. Il eut été bon d’opérer une sélection. Mais peut-être alors aurions nous manqué le dantesque final If Rain Is What You Want, jugé trop expérimental, inapproprié… Mieux vaut ne rien toucher de cette sculpture imparfaite de crainte qu’elle ne s’effrite inexorablement.
The Gray Chapter est l’album torturé d’une entité en pleine renaissance. Il ne ressemble pas à All Hope Is Gone (ouf), pas plus qu’au Volume 3, rarement à Iowa, de loin à l’éponyme, encore moins à Mate Feed Kill Repeat (mais qui se souvient de cette merveille), toute sa force est là. Il annonce tout et son contraire, tâtonne, tremble et hésite. Il se plante puis rebondit miraculeusement. Il est la deuxième chance d’un groupe trop vite enterré, un mort-vivant qui leur sied à ravir.
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