On ne présente plus Moby, compositeur iconique de la scène techno house des nineties, dans un New-York bouillonnant et ravagé. Après des débuts très « rave », les beats du DJ chauve ont largement flirté avec la downtempo. L’originalité des tubes très atmosphériques de Moby résidait aussi dans l’emprunt d’un langage rock qui rappelait le passé punk du bonhomme, ainsi que la prédominance des chants féminins tendance « gospel » qui arrivaient comme autant de réminiscences de sa dure foi chrétienne de la jeunesse.
Play, succès foudroyant de 1999, reste l’obsidienne du flegmatique vegan, son album le plus riche et équilibré. En 2002 sortait son écho quasi-parfait, 18. Puis, après un Hotel plus réchauffé, Moby entamait une lente descente dans l’incognito artistique … ou presque. Quelques fans de l’époque Play ont continué à suivre avec passion les créations foisonnantes et passionnantes du bonhomme, dont je fais indubitablement partie. Il suffit d’écouter Wait for Me ou Destroyed pour se rendre compte que Moby n’a pas perdu une once de son talent.
J’ai toujours trouvé la musique de Moby céleste, extrêmement mélancolique et porteuse d’émotions fortes. Les boucles de chants et de rythmiques se marient à chaque fois tellement bien avec ces synthés qui montent, qui montent, qui n’en finissent pas de monter, et souvent l’explosion finale ne parvient pas et s’évapore dans le cosmos sombre et urbain de son mental caustique et tortueux.
La musique de Moby provient de l’âme et s’adresse directement à l’âme. Là où d’autres n’y voient qu’une succession de mélodies répétitives et de gimmicks fatigués, de patterns kitsch qui frisent le ridicule ou s’y vautrent carrément, j’y vois plutôt un amour inconditionnel pour les sonorités old-school, une obstination amoureuse pour les élévations atmosphériques, et un message hautement humaniste qui se fait de plus en plus prégnant depuis une dizaine d'années.
Une fois posée et assumée cette passion pour la « structure moby », que vaut ce All Visible Objects, deux ans après un beau mais un peu monotone et tristounet Everything was Beautiful, And Nothing Hurt ? Et bien c’est une petite pépite de beauté, un frais mélange d’anciennes ritournelles et de nouvelles ruminations, un condensé à la fois détendu et plein de bouteille de tout ce que Moby peut offrir de mieux en terme de compositions : du punch et du groove, et beaucoup de mélancolie, cette « belle tristesse » dont il est, dans la musique electro, l’un des maîtres forgerons.
On y retrouve toutes les micro-variations que Moby a apportées à sa musique ces vingt dernières années : de la house dansante d’antan (Morningside, Refuge), du minimalisme angélique (On Last Time, Forever), de fabuleuses montées lacrymales (Tecie, All Visible Objects) et des épopées féminines lentes et feutrées (Too Much Change). Pas de guitares ici, l’album est très « electro vintage ». Deux titres font un peu office d’OVNI cependant « : Power is Taken » qui sonne comme un brûlot techno indus dont le côté engagé et vénère nous renvoie aux hargnes de Moby and the Pacific Choir. « Séparation » enfin, une pièce quasi piano aux allures classiques, aussi noble qu’étonnante.
Il y a donc bien des choses à becqueter dans cet album mûr et sincère, qui apporte le meilleur de l'expression d'un artiste sans pour autant chercher à casser les codes ou à révolutionner un genre.
Derrière tous ces objets visibles se cache un cœur sensible qui a encore bien des notes à pleurer.