On retrouve dans le dernier Godspeed les deux matières auxquelles le groupe nous a rendus sensibles : le territoire (au hasard, les plaines de Mésopotamie, la steppe kazakhe, Oulan-Bator) et la durée (celle du récit, celle qu’il faut pour déployer une nostalgie). Deux éléments, offerts par le groupe, voire retrouvés (comme si Godspeed remettait du destin dans les vies), qui donnent autre chose qu’une simple musique post-(peu importe le suffixe).
Dix ans après Yanqui U.X.O., album brûlé de colère, Allelujah! Don’t Bend! Ascend! revient donc raconter des espaces et fabriquer du temps, là où on n’avait plus que des écrans et de l’immédiat. C’est qu’il manquait peut-être encore quelque chose lié au réel. L’épique, on connaissait : phrases longues et complexes, procédés d’amplification, accumulations qui marquent la profusion. Les mythes, on n’en crée plus, mais des épopées, des créations de récit, voilà, avec Godspeed, on avait ça. Guitares, torsions, tristesses, la recette est ici la même (avec tout ce que cela comporte de solennité – rien que le titre, par exemple). Mais autant Yanqui U.X.O., album imbattable, tentait de décrire l’effroi provoqué par la violence de l’ennemi (« multinational corporate oligarchy »), autant Allelujah! ne semble pas directement s’inscrire dans le registre de l’opposition, de l’affrontement. Il semble plus précis, dans ses notes, même dans ses mélodies (« We Drift Like Worried Fire », magistral). Avant d’être un manifeste, il est donc un document. Comme si, en l’écoutant, on en apprenait autant sur les trajets de nomades dans des déserts arides que sur les motivations d’une armée à devenir armée.
Cet aspect documentaire ne se situe pourtant pas dans un présent toujours là auquel on aurait commencé à s’habituer ; on pourrait dire, en fantasmant un peu, qu’il se situe après l’explosion des munitions de Yanqui U.X.O. C’est en se plaçant à ce niveau post-apocalyptique que le présent retrouve du sens et que l’histoire redevient possible (c’est la caractéristique du post-apocalyptique). Ce moment d’inflexion, là où le passé est une richesse et le futur une ouverture, c’est ce que Godspeed raconte à renfort de cordes, de percussions, de violence et d’espoir.