La vie m'a appris que l'amour était une chose qui n'arrivait qu'une seule fois dans un couple. Cela peut durer, trois ans selon les dires, plus, moins, bref. L'important réside dans la rupture car disons les choses simplement, on ne recherche plus l'amour nouveau après cela, on fait les choses différemment au mieux avec un vague portrait de ce qui a été, mais on se retrouve devant le même échec bien souvent: on ne court qu'après ce confort que l'on a connu, une entente prolifique et bénie. C'est ce dont on traite aujourd'hui: les Libertines. En 2010, six ans après leur séparation due aux positions drastiquement adverses de ses deux leaders (Carl Barat et Peter Doherty donc) à savoir continuer à faire tourner la caravane ou se piquer avec ses potes toxico, on assistait non sans émotion à ce qui paraissait être l'impossible. Nos vieux avaient eu Woodstock, nous aurions cette reformation rêvée à l'occasion de deux dates dans les festivals rock anglais de Reading et Leeds. Cash à la clé (en millions de pounds), il n'en fallut pas beaucoup plus pour faire sortir les loups du bois, réussir un énorme coup de pub et promettre vaguement un album qui sort donc, cinq ans plus tard.
Que s'est-il passé entre temps? Rehab, mort de Rehab girl (qui donnera l'excellente chanson de Doherty Flags of the Old Regime), albums solos (l'excellent Grace/Wastelands de Doherty et l'excécrable album éponympe en 2010 de Barat), albums avec des side projects tels que Dirty Pretty Things (Barat et Gary Powell, également batteur des Libertines), Babyshambles (groupe de Doherty qui subit sa lente mort) et plus récemment en 2015: Carl Barat and the Jackals (album complétement annecdotique basé sur une idée marketing dont seul le single s'en sort avec les honneurs). Quoiqu'ils essayent de leur côté, le succès ne sera jamais aussi grand que ce qu'il fût sous l'étendard des Libertines (et l'effervescence autour de leur réunion et cet album le montre) et il semblerait que l'un aie autant besoin de l'autre afin de tailler de ses précieuses pierres dont ils affublaient jadis leurs galettes savoureuses -Up The Bracket en 2002 ainsi que The Libertines en 2004. C'est donc sous le symbôle de la livre sterling que cette réunion est enfin possible. Sous couvert d'une cure de désintox/séjour tout frais payés en Thaïlande par une Major peu scrupuleuse, le navire est réaffrété et vogue la galère.
Anthems for doomed youth, quand on pèse ses trente cinq balais sonne tout à fait raccoleur pour cette petite jeunesse anglaise perdue entre One Direction (dont ils gardent le producteur) et le twerk. Du reste, on assiste à un cover band qui ratisse assez large niveau gimmick pour singer ce que les fans hystériques attendaient avec tant d'ardeur depuis onze ans. Mais de ces reformations, on n'attend rien que du fan service. Un concert où rechanter ses plus grands airs (Can't Stand Me Now, Time For Heroes et j'en passe) mais secrétement et c'est ce que sous-entendait mon introduction, on ne veut pas de nouveau, ni de ressucée, mais bien ce qu'on a connu, à l'identique. On est amoureux de ce dont on était amoureux et non pas de ce que la personne est maintenant. Alors comment se développe ce troisième album? Depuis l'annonce de sa sortie, la mise en ligne de ses singles (on avait eu bien peur avec le lancinant Gunga Din et ses refrains galvanisateurs trop lisses, heureusement qu'il y avait ce bridge dans les sonorités typiques Libertines pour nous rassurer; puis ça annonçait du meilleur avec les excellents Barbarians et Heart of the Matter), nous étions donc dans l'expectative. Sauront-ils créer de nouveau l'alchimie bancale des deux albums précédents?
Non triple non à mon grand damn. Entre les ballades niaises et maquillées Anthems for Doomed Youth, Dead for Love (on pourrait y mourir de miévrerie) ou Iceman, l'horreur de Fame and Fortune, le down tempo reggae d'un Gunga Din ravagé par son refrain, la grimaçante Fury of Chonburi (on est tellement loin d'un Horrorshow, Jésus), le massacre au piano d'un You're my Waterloo pourtant symbôle du romantisme véhiculé dans ses jeunes années, seuls sauvent la barque des eaux les excellents Barbarians (qui rappelle un peu la face B Cyclops des singles de Can't Stand Me Now en 2004), Glasgow Coma Scale Blue et Heart of the Matter (une madeleine de Proust goûtue). Calibré, lisse (où est Mick Jones???), des choeurs à tous les coins de couplet pour créer des hymnes à l'absence de paroles travaillées et de John Hassall à la basse (si vous l'entendez n'hésitez pas à faire signe), la fougue est au placard, rangée à côté des bottes qui avaient secoué la fourmillière en leur temps.
Oui, onze ans ont passé et il est devenu pour les Libertines plus difficile que jamais que d'assumer ce style qui avait fait leur fond de commerce. Un garage punk pop hargneux mais passionné, désaccordé mais toujours juste. Cette version réarrangée de You're my Waterloo nous prouve toute l'évolution d'un groupe qui vient nous jouer la "je suis toujours le même" mais non, les Libertines ont bien changé et je préférais ce groupe que j'ai rencontré aux débuts des années 2000.