« Dans le futur, chacun aura droit à 15 minutes de célébrité mondiale. » Une phrase que Lady Gaga doit avoir sur une carte postale punaisée au-dessus de son lit, tant elle fonde, depuis le début de sa carrière, sa stratégie de communication sur le renouvellement quotidien de ce quart d’heure. C’est ainsi que, tous les jours, la chanteuse trouve de quoi attirer l’attention (déclaration mégalomaniaque, tenue extravagante, performance scénique borderline) : sa vie est une représentation théâtrale ; sa carrière, un attentat permanent aux bonnes mœurs. Cependant, la Lady n’avait jamais atteint l’écueil du « tout marketing », offrant juste assez de fond pour tolérer la forme. Les temps changent.
« Artpop » (ô, subtil clin d’œil à Andy !) est un album clinquant. Passé les trois premières secondes d’une introduction légère à la guitare, l’on se sent submergé, noyé, au bord de la saturation dès le premier titre. « Aura » (puisque tel est le titre final de ce « Burqua » qui buzze depuis plusieurs mois) est une agression sonore indescriptible à la voix robotique et à la structure incompréhensible, ponctuée de hurlements saccadés et de passages mélodiques aussi hors-sujet que le thème du voile dans la bouche de cette obsessionnelle du postérieur. A défaut de pouvoir aimer catégoriquement, on est interpellé. Mais ce qui aurait pu (et dû) rester de l’ordre de l’introduction se décline finalement sur toutes les pistes de l’album, qui présente les mêmes problèmes que « Born This Way » (son prédécesseur) sans en avoir la cohérence. « Artpop » est ainsi un enchaînement de titres étrangement construits, bruyamment mixés, plus ou moins réussis.
Les gros ratages, disons-le, sont plutôt rares : l’inaudible « Swine » (« porc », pour les non-anglophones), « Jewels n’Drugs (grosse partouze de chanteurs urbains dans laquelle Lady Gaga n’a absolument aucune légitimité) ou encore « Dope » qui, bien que tout à fait inoffensive pour vos tympans, est d’un ennui absolu. Si tout l’album souffre d’une voix étouffée et de bruitages parasites sortis du fond des âges (soit les années 90, temple de l’eurodance), certains titres se rendent sournoisement addictifs par leur sens du gimmick. Gaga a toujours excellé dans ce domaine (« Popopopoker face » !) et nous offre donc une jolie palette de drôleries, de la très théâtrale « Venus » à « Manicure », en passant par l’introduction parodique de « Donatella ». Dommage, donc, que des arrangements grossiers viennent étouffer ces quelques touches mélodiques. Deux exceptions, cependant, qui prouvent que tout espoir de voir Gaga revenir à la pop classique qui l’a lancée n’est pas vain : « Artpop », joliment aérienne, et surtout « Gypsy », incontestable tube de l’album à mi-chemin entre « The Edge of Glory » et « Americano », qui brillera aussi bien sur les dancefloor qu’en piano-voix (n’est-ce pas là ce qui, précisément, fait la force de Gaga par rapport à la plupart des chanteuses de sa catégorie ?).
En bref, un album qui a de sa pochette l’agressivité sans avoir l’audace. Si l’on sent parfois une tentative de revenir aux fondamentaux (« Do What U Want », notamment), l’ensemble reste trop bruyant, approximatif et inégal pour être qualifié de franche réussite. Beaucoup de bruit pour pas grand-chose.