Durant les années 60, Bob Dylan faisait encore plus fort album après album. Il n'est pas un cas unique, sauf que lui, album par album, a apporté une petite tranche de révolution dans l'industrie musicale. Il était le pont entre la tradition folk à la cow-boy et la modernité sociale. Il était le poète engagé que nul ne pouvait anticiper. Possédé par l'albatros, Bob Dylan est un mythe fascinant à plus d'un titre, surtout dans les années 60. Durant cette décennie où il a semblé à tous qu'il ait vendu son âme au Diable contre une poignée de mélodies maladives et de poèmes démesurés, il atteignit son apogée avec "Blonde on Blonde". Je ne parle pourtant pas tellement en termes qualitatifs. Si nous rentrons dans le domaine qualitatif, dans le cas de Dylan, on rentre dans la subjectivité : personnellement, je trouve "The times they are changin'", "Desire", ou la BO de "Patt Garett and Billy The Kid" nettement supérieurs (si vous ne les avez pas écouté, foncez). Mais, objectivement, dans le domaine de l'influence, "Blonde on Blonde" représente le sommet de sa montagne.
Parce que "Blonde on Blonde" est à lui seul un flanc de neiges éternelles (aux noms impossibles à mémoriser du premier coup). Tant de flocons perlés sur ce collier musical impressionnant : cette ouverture en fanfare chaotique, "Pleding My Time" qui prouve au monde qu'on peut produire des larsens à la Velvet Underground avec un harmonica démoniaque, les visions de Johanna qui hante encore les songes des rêveurs ayant traduit ce trésor, le léger "I Want You" qui reste au cœur comme une empreinte sur la neige, "Stuck Inside of Mobile with the Memphis Blues Again" et son odeur de virée américaine paranoïaque mais indéniablement cool, un flocon Simplement Femme qui fait tressaillir individuellement chaque instrument, "Temporary Likes Achille" et ses guitares parlant tant avec si peu, et le bouquet final qu'est "Sad Eyed Lady of the Lowlands", l'une des plus belles démonstration du génie romantique du Barde sauvage et solitaire. "Blonde on blonde", Marloboro après Marloboro, est un trip d'1 h 15 dans des cartes postales confectionnées par un homme obsédé par le désir d'aller toujours plus loin.
Avec ce double album, que l'histoire a reconnu comme le premier de l'histoire du rock (titre disputé par "Freak Out" du génial Frank Zappa ; notez également que ce n'est pas le premier double album de la musique populaire, ce titre revient à... Léo Ferré et ses adaptations de Verlaine et Rimbaud), Dylan transperce l'éternité. Mais deux questions se posent : Est-ce que le style du disque s’accommode à un format en double volumes ? En effet, Bob Dylan fait ici du blues, de la folk, du rock etc., aucun lien ténu ne relient les titres. Finalement, il aurait très bien pu séparer les deux volets en deux albums distincts, qui aurait vu la différence qualitativement ? Pourtant, depuis, nous avons vu beaucoup de doubles albums justifiant cette sortie, à commencer par le "White Album" des Beatles, ou pour le plus explicite à ce sujet "Tommy" de The Who. Je trouve, du coup, que "Blonde on Blonde" peut être victime de sa longueur. J'adore Bob Dylan, mais 1 heure suffit amplement pour l'aimer : au-delà c'est plus lassant, et cela n'a rien à voir avec la qualité mais avec la mise en valeur d'un fil rouge pour maintenir mon attention. Cependant, "Blonde on Blonde " est également un formidable instantané de ses aspirations d'alors, personnelles comme professionnelles, et une explication très romancée de ses virages qu'il prendra par la suite. De plus, on peut dire que ses femmes ont droit à de sacrés hymnes sur ce disque... La deuxième question est donc de savoir si Bob Dylan a réussit à maintenir la qualité sur 1 h 15 ? Je trouve, personnellement, que la Face 3 a un véritable creux, entre "Temporary Likes Achille" et "Sad Eyed...".
Suite à cet album, Bob Dylan n'a pas arrêter les bons albums, loin de là : le meilleur est même encore à venir pour moi. Mais en terme de propositions plus audacieuses et plus grandes que son auteur, en terme d'éclairement sur des voies à suivre, Dylan n'est pas redescendu de la montagne. Il a continué à tresser des bijoux d'en haut. Et puis, à partir de 1980, il a commencé à descendre, laissant en héritage des albums inestimables, dont ce "Blonde on Blonde", excellent cru et incontournable pour tout amateur de grande musique du 20ème siècle. Le genre de disques pouvant donner le tournis, à la fois dans le bon et le mauvais sens du terme.