Tu vois, c'est lui qui avait pris les places. Sinon, jamais j'aurais pris des places assises pour aller voir Manu Chao.
Qui prend des places assises, déjà ?
À part les gens déjà assis.
Lui, c'est l'excellent Ahmed, dit Amédée peaud'saucisse, le chevalier merguez.
L'homme à la tête de zeppelin, la pastèque humaine.
Faut se méfier du physique des gens, lui on aurait pu croire qu'il l'avait grosse, mais non, c'était un humble.
Disons que ça compensait avec moi.
Je lui dis: "Mais non, t'es sérieux ? Tu sais que ça ne va pas être possible, tu t'en rends bien compte".
Il me dit : " Tavu, là, j'ai une sciatique, c'est chaud pour se mouvoir. Déjà je viens, déjà je paie" .
Je lui dis : "Amédée, ta mesquinerie n'a d'égale que ton amnésie du bonheur, dis, avec une tête pareille, tu ne te souviens pas que c'est moi qui ai financé les 8/6 ? La reconnaissance du ventre ça te dire quelque chose, ordure ?"
Il me dit : "Ouais ouais, je sais, c'est toi qu'as raison, j'ai pas d'coeur" .
J'ajoutai : "Ouais, je confirme, tu m'as déçu, là, mais vas-y, je passe l'éponge. Mais je ne m'assois nulle part. Tiens-le toi pour dit".
- "Vas-y, fais pas ta pute Djee" .
Bon, on est allés s'asseoir.
Parce que c'est lui qui avait le pochon.
Bon, c'est moi qui roule, toujours, mais ça ne m'a jamais dérangé de le faire avec le teuh-teuh des autres.
Arrivée vers la zone de nos strapontins comme prévu. Secteur gérontologie.
Depuis "Les Aventuriers de l'arche perdue", j'ai toujours voulu être archéologue.
Et avoir un chapeau.
Et un putain de fouet.
Je lui dis : "Vazy, t'as vu les ganaches ? Moi je vais pas pouvoir !"
- "Non mais attends" me dit-il, avec sa mini bouche, "assois-toi le temps que ça commence, au moins" .
J'entends Géraldine juste à côté qui lui dit : "Nan mais oh, pépère, on apprend la langue ou on s'abstient" .
Regards qui se croisent entre mémé et moi, check oculaire, elle l'a séché.
Je m'assois.
Je jette un coup d'œil circulaire sur l'arène surchauffée.
Une sciatique.
À son âge.
Tiens à propos, il a quel âge, ce con ?
35 ? Nan...
Oh, je ne vais pas lui demander, il va croire que je lui fait du gringue.
Mais il doit être âgé, je pense, c'est le dernier de son espèce.
Je lui dis : "allez, tu m'énerves, envoie la beuh. Vite avant que je hurle combien je te déteste".
Il me dit, avec ses yeux globuleux, un "Mais on peut pas".
Un "on peut pas" de z'yeux, tu sais.
Je me dis illico que ce soir, on parle LA langue.
Celle des prunelles, des iris et des larmes.
Celle de l'élastique invisible.
La seule qui vaille vraiment.
Je regarde où son regard de maghrébin apeuré regarde et bim, Géraldine.
Je le regarde lui.
Je la regarde elle.
Je dis: "Ouais, donc quoi, je te rassure, elle dira rien".
Je l'apostrophe. "Hein Gégé que tu diras rien" .
Elle me retorque : "Si ton pote et toi vous arrêtez de massacrer la langue française, je me motusse et je me bouche-cousue".
Je me tourne vers Amédée : "tu peux pas savoir toi, ce que c'est d'avoir comme poto la seule lopette dans une salle de 30000 personnes. Envoie le pochon, et pis les feuilles. Et pis ta gueule" .