Soyons cartésiens, Crime of the Century est un album parfait. Parfait dans sa structure (8 chansons, 4 de Hodgson tout en fragilité, 4 de Davies tout en folie, le tout s'entremêlant de la manière la plus harmonieuse possible sans que l'une des têtes pensantes du groupe ne prenne le pas sur l'autre), parfait dans ses compositions, ses arrangements, ses textes, parfait dans sa production.

Dark Side of the Moon ? Une galette pour petits péteux audiophiles en comparaison (mais une galette tout de même extraordinaire, n'est-ce pas Hypérion ?). Car Crime of the Century balance un son cristallin à en donner la chair de poule à un troll des glaces, le genre de son qui achèvera de nous convaincre que les meilleurs ingénieurs officiaient durant les années 1970, avant de se faire assassiner dans les années 1980 par les groupes de heavy metal. Vous allez me dire : "T'es bien gentil mon coco, mais c'est un point de détail, si l'album est merdique, on s'en fout que le son soit bon.". Heureusement que non, jeune insolent. Si j'attache tant d'attention à ce détail, c'est que les compositions et interprétations s'en retrouvent magnifiées.

Car Supertramp, dans les années 1970, c'est le groupe passe-partout par excellence. De très bons musiciens, qui n'excellent dans aucun domaine et se contentent de reprendre ce qui fonctionne ailleurs avec plus (Supertramp) ou moins (Indelibly Stamped) de succès. Puis en 1974 arrive l'épiphanie Crime of the Century : Hodgson et Davies sont rejoints par des musiciens de talent, l'inspiration est bouillonnante (plus de 40 démos seront enregistrées lors des sessions), la communication entre les membres du groupe atteint des sommets, et toute cette énergie se retrouve imprimée sur la galette. Crime of the Century n'est pas un album d'ego (contrairement au triste Breakfast in America quelques années plus tard), chacun y fait son boulot, et le fait magnifiquement bien. C'est un des plus grands exemples de cohésion de groupe en rock, tout y est parfaitement harmonieux. Donc il faut rendre hommage à cet album et l'écouter en vinyle (et éviter les affreux remasters CD de 1997 et 2002) avec un casque sur les oreilles. Même pas besoin d'un super matos audiophile, avec une platine standard et un casque à deux balles, on peut déjà ressentir les poils se dresser sur les bras en entendant l'harmonica d'introduction de School.

Compositions parfaites aussi, argument imparable à l'écoute des deux bombes rock progressif School et Rudy, du jazzy Bloody Well Right, de l'opéra baroque Asylum (qui inspirera un an plus tard le fabuleux Bohemian Rhapsody de Queen), de la pop légère de Dreamer, ou encore du mystique titre éponyme qui clôturera l'album avec un désespoir insoutenable. Toute l'oeuvre est basée sur la solitude et l'instabilité mentale, des thèmes pourtant pas bien gais à la base, mais qui ici sont sublimés par le biais de superbes arrangements : l'intro d'harmonica contrastant avec les cris de cour de récré de School, ballade acide sur le formatage des enfants, la schizophrénie de Richard Davies sur Asylum ("NOT QUITE RIGHT"), le gong spatial de Crime of the Century, la rage solitaire de Rudy canalisée par les enregistrements sonores de quais de gare...

Crime of the Century est une perle injustement méconnue, parasitée par la réputation pop que s'est taillée le groupe au travers du filtre radiophonique. Oui, Dreamer est une tuerie, et pourtant sept de ses petits copains sont encore plus intéressants sur l'album. Pour ma part, j'entretiens une relation très particulière avec cette oeuvre, étant l'un des premiers vinyles que j'aurais piqué à mon Papa, et l'un des premiers à véritablement bouleverser ma conception de la musique. C'est grâce à cet album que j'ai appris à décoder une chanson. Bloody Well Right a été le premier titre que j'ai essayé de jouer à la basse. C'est ce CD que je met quand j'ai le cafard, ou quand j'ai envie d'avoir le cafard. C'est ce CD que je met pour aller mieux.

Voilà ce qu'est Crime of the Century, un chef-d'oeuvre de plus de 35 ans, à la fois névrosé, déprimé, et débordant d'énergie. Un album-concept qui n'en n'est pas vraiment un, le film de ma vie, la carburateur de mon imaginaire.
HarmonySly
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le 21 déc. 2011

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HarmonySly

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