Lorsque j'écoute Dire Straits, ce qui m'arrive fréquemment ces temps-ci, je me revois toujours dans l'ancienne Volkswagen de mes parents, voguant sur les autoroutes de France, le cul vissé sur mon siège de gauche à regarder les paysages ruraux défiler sous un regard des plus contemplatif. Je me revois partant en voyage familial, le coffre blindé jusqu'à ne plus pouvoir faire de marche arrière avec ce sentiment d'éternité en tête.
En voiture avec mes parents, on ne parlait que rarement, généralement seule la musique s'exprimait et résonnait dans l'habitacle pour provoquer chez nous quelques fredonnements et une allégresse mesurée. Lorsque les Beau Dommage, Goldman, REM et autres Billy Idol étaient épuisés jusqu'à la moelle, que les champs eux même en bordure de la route se changeaient peu à peu en morne horizon, se mettait alors, calé comme le messie au milieu de ses apôtres un bon cd de Dire Straits.
Je revois ma mère chanter à tue-tête à l'unisson avec les morceaux si bien que je fantasmais parfois son timbre comme ajouté à la mélodie. Ne voyant depuis le rétroviseur intérieur que ses yeux mirer la route, je ne pouvais que m'en convaincre, si jeune. Mon père émettait, de son côté, des sons quasiment inaudibles tandis que ma sœur dormait paisiblement. Depuis ma place, alors que mon monde reprenait vie, je ne pouvais que me sentir transporté d'une douce mélancolie, la voix de Mark Knopfler roulant sur moi comme autant de bitume et de kilomètres avalés. Sultans of Swing arrivait alors en point d'orgue, terrassant l'air maussade que j'arborais et que j'abhorrais pour me laisser aller à réellement entendre, entendre non pas seulement cet entraînant refrain ou encore ce solo magistral mais entendre chaque son, ressentir chaque claque que je recevais en plein visage avec pour accompagnement le ronronnement du moteur de la Volkswagen.
Un air de famille, le sentiment confortable d'être à sa place dans un moment temporel idéal, voilà ce que m'inspirait cet album que je continue aujourd'hui d'écouter avec le plus vif intérêt. Il m'arrive de ce fait, lorsqu'un trajet en train commence à s'éterniser de lancer Dire Straits et de simplement remonter le fil de ma mémoire vers un instant où plus rien n'avait d'importance, hormis le sensitif. Il y a des sonorités magiques qui arrivent même à vous transformer un ciel gris en moment d'égarement.
Lorsqu'une mélodie vous ramène à une vibrante expérience personnelle elle ne peut que vous toucher. Je n'ai d'ailleurs pas été le seul dans le même cas, connaissant la passion que nous partageâmes ma mère et moi pour ce bon vieux Knopfler lors de nombreux moments d'osmose non plus avec Dire Straits mais sur le temps d'un swing et d'une carrière solo (florissante) trop peu entendue.