Six ans après Modern Vampires of the City, la douceur excentrique de Vampire Weekend effectue son retour à travers un Ezra Koenig plus mature et toujours plein de questions. Le même mélange d’éléments pop provenant de différents genres, voire différentes époques, est toujours au programme pour nous offrir un nouvel album unique.
Aux premiers abords, Father of the Bride peut sembler brouillon. Les influences variées et opposées de nombreux producteurs se font sentir (Rostam Batmanglij, Mark Ronson, Ludwig Göransson, DJ Dahi, Steve Lacy entre autres) et on pourrait presque se perdre dans la variété des sons ainsi que la durée du projet. Mais comme à son habitude, le groupe new-yorkais parvient toujours à produire des moments de profonde tristesse (Big Blue, My Mistake), comme des moments d’euphorie (Bambina, Sympathy à l’influence flamenco, Sunflower).
L’idée des duos avec Danielle Haim était assez bonne pour débuter l’album, mais cette collaboration insistante retire parfois la cohésion à laquelle on s’était habitué sur les précédents projets du groupe. Au fil des morceaux, le contraste avec l’esthétique d’Ezra Koenig se fait sentir et déteint sur le reste des morceaux, rallongeant un peu trop la fin de projet.
Mais comme à son habitude, Koenig profite de sa musique pour s’exprimer librement et raconter des histoires à travers différents personnages qu’il crée de toutes pièces et à travers différentes époques. Avec justesse et un certain recul, il parvient à déguiser ses paroles pour aborder des sujets politisés sous la lentille des relations humaines. A travers Father of the Bride, Koenig regarde en arrière pour relier l’histoire passée à notre présent, tout en s’interrogeant sur son futur.
Il semble notamment très inquiet du réchauffement climatique, laissant traîner plusieurs bouts de paroles y faisant référence à travers l’album. C’est le cas sur Bambina où il dit :
No time to discuss it
Can’t speak when the waves reach our house upon the dunes
Ou sur How Long lorsqu’il se demande d'un ton alarmant :
How long till we sink to the bottom of the sea?
Si l’on se rapporte à la couverture de l’album, il s’agit effectivement du thème principal proposé par le chanteur new-yorkais, qui se préoccupe de l’état de sa chère planète. Pour autant, il s’agit d’une pensée parmi tant d’autres dont il n’arrive pas à se défaire.
Sur Unbearably White, on l’entend dire à travers un très beau moment de poésie :
Sooner or later the story gets told
To tell it myself would be unbearably bold
Presented with darkness
We turn to the light
Could've been smart, we're just unbearably bright
Si son intention n'est pas de discuter de l'histoire des Etats-Unis et de la longue histoire de racisme de son pays (il s'agit en réalité d'une réponse à un simple article écrit en 2015), on peut tout de même s'amuser à suranalyser ces quelques phrases de Koenig. Ce fragment de pensée est ironiquement d’actualité, faisant de Unbearably White un morceau accidentellement pertinent.
Deux morceaux plus tard, sur Married in a Gold Rush, on se retrouve confronté à une entame beaucoup plus directe :
Something's happening in the country
And the government’s to blame
We got married in a gold rush
And the rush has never felt the same
L’image représentée est assez claire : on se situe ici à l’époque de la ruée vers l’or au milieu du 19e siècle. Le gouvernement des Etats-Unis force les tribus indiennes à quitter leur territoire pour se l’approprier et se met à mettre en place le processus d’acculturation des indiens. L’idée du mariage forcé prend ici tout son sens, accentuée par une forte influence country au cœur du morceau et de l’identité américaine. On remarque ici le fameux double-sens souvent utilisé par Koenig, puisqu’il peut aussi s’agir de l’histoire d’une relation précipitée et d’un désamour entre deux individus. Depuis cet événement clé, le "rush" n’a jamais été le même étant donné qu'une partie d’eux leur a été retiré.
Sur My Mistake, un des morceaux les plus sombres de l’album (à l’image de Hudson sur MVOTC), Koenig narre l'évasion d’un personnage vers une frontière voisine :
Quick in the night
As the storm took its shape
Caught at the border
As I made my escape
It was cold, it was dark
You were cruel, you were fake
Hoping for kindness
Was my greatest mistake
A nouveau, le parallèle est assez évident étant donné les événements actuels du côté de la frontière au sud des Etats-Unis. Et à nouveau, le double-sens s’applique. Relation amoureuse abusive ou traitement injuste d’immigrés, ce moment de musique traite de la cruauté entre deux parties et d’une utilisation de pouvoir abusive. Il s’agit probablement de la chanson la plus poignante de l’album grâce à son texte si profondément travaillé et une harmonie parfaite entre l’utilisation du piano, du violon et de la guitare acoustique.
Et enfin, sur le dernier morceau de l’album Jerusalem, New York, Berlin, le new-yorkais déclare :
But this prophecy of ours
Has come back dressed to kill [...]
You've given me the big dream
But you can't make it real
Ces dernières paroles suivent la lignée de ce qui est raconté juste avant, cette fois-ci avec un ton résigné et vaincu. Il peut s'agir de deux critiques différentes : une concernant ses origines juives constatant que sa religion ("prophecy") est utilisée comme excuse pour perpétrer des crimes de guerre. Ou alors il peut s'agir d'une critique plus globale des Etats-Unis. En tant qu'observateur depuis six années sans jamais s’exprimer sur le climat politique de son pays, Koenig place une dernière critique envers l’idéologie du rêve américain pour conclure son album.
Il existe néanmoins des notes d’optimisme à travers cet album, bien plus que sur leur précédent album au ton plutôt sombre et lugubre. Peut-être est-ce le cas sur le refrain de Harmony Hall, chanté accompagné d'une instrumentation upbeat :
I don’t wanna live like this
But I don’t wanna die
Faisant référence à Finger Back de leur précédent album, cette phrase résumait bien l’état d’esprit de Koenig en début de projet. Mais arrivé en fin de parcours, après s’être tourmenté l'esprit pendant une quinzaine de chansons, il conclut sur Stranger en donnant vie à son propre personnage :
I used to freeze on the dance floor
I watched the icebergs from the shore
But you got the heat on, kettle screaming
Don’t need to freeze anymore
Désormais en paix et heureux de sa vie de famille, Koenig profite de ce moment pour réfléchir sur l’importance de son entourage et se libère du poids de ses questions.
Les années passées ont certainement impacté le niveau d’écriture d’Ezra Koenig. Il semble plus réfléchi et conscient de lui-même. Si ses pensées semblent toujours le soucier, il se présente malgré cela bien entouré sur cet album. Father of the Bride n’a certes pas le charme de Contra, ni l’aura de Modern Vampires of the City, mais cela reste un excellent moment de pop réfléchi, rempli de somptueuses mélodies, d’instrumentation de qualité et plein de réflexions.