J'ai longtemps été partagé ces dernières années entre le fait de vouloir un nouvel album de Linkin Park, et la compréhension absolue du choix de Shinoda quant à faire taire le groupe.
J'aimais Chester, ses textes, sa voix, sa présence... Sa personnalité aussi. Il semblait être un bon gars, désireux de faire sourire, malgré tout plein de failles, mélancolique et habité de tristes démons qu'il aura ultimement fait gagner.
Je l'appréciais énormément... mais je ne l'ai jamais adulé ! Il n'évoque chez moi qu'un chanteur doué, très investi, sachant frapper avec émotion et le juste ton au bon moment. Mais aucunement le rouage primordial au fonctionnement de Linkin Park ! L'un des grands noms de son époque dans son métier, indéniablement, cependant juste une voix. Quand moi j'étais présent pour la musique avant tout, les instruments. La guitare de Delson, la batterie de Bourdon, la basse de Farell, l'éventuel piano de Shinoda et les bidouillages de Hahn. Tout ce que font ces mecs en fait, ceci s'accompagnant d'une certaine curiosité constante quant à savoir dans quelle direction ils se dirigeaient à chaque nouvelle offrande.
Car c'était toujours différent, parfois inattendu et curieusement ce dont j'avais besoin sur l'instant. Comme un alignement de planètes... Je me suis surpris à dévorer le fort sombre A Thousands Suns (mon opus favori) alors que je découvrais l'électronique et que je broyais du noir. À relativement apprécier Living Things parce que j'étais dans une période où je mélangeais les sonorités de mes playlists. Et Hunting Party car je retombais précisément dans mes premiers amours Hard Rock, à la recherche de grosses guitares.
Puis quand est survenu One More Light, j'avais adouci le ton. J'écoutais de l'Ambiant, pas mal de trucs atmosphériques, de l'Electro léger et beaucoup de Pop. Une aubaine n'est-ce pas ?
Je continue de défendre One More Light, sa douceur incongrue qui constitue sans doute le plus grand schisme de la fanbase depuis l'orientation pop rock de Minutes To Midnight, ma porte d'entrée par ailleurs. Et je pose ça la maintenant, tant qu'à faire ; je n'aime pas Hybrid Theory. Voilà, voilà.
J'apprécie poliment Meteora en revanche, qui entamait une trajectoire hors des sentiers battus d'un Nu-Metal dont je n'ai jamais été friand.
Un morceau ou deux, ça passe, le genre n'est pas horrible, mais tout un album putain !
From Zero surgit ce faisant à point nommé pour deux raisons.
Déjà, Linkin Park revient et ça c'est cool. Par une décision volontaire, c'est tout ce que j'attendais. Que ce soit entrepris par désir, non par attrait commercial... L'on a donc une collection de dix nouveaux sons qui permettront de dépoussiérer une setlist et Emily d'éviter les comparaisons avec l'ancien membre hélas parti, le tout mené par un Shinoda enthousiaste, communicatif, que j'ai toujours considéré comme le leader de cette troupe. Et qu'importe qui chante pour lui ; il n'y aura pas ici de comparaisons à faire entre Bennington et Armstrong. D'ailleurs je me fiche qu'elle soit gay ou scientologue.
Parce que c'est son choix à Shinoda, premièrement, qui a décidé que ce serait à elle de représenter les nouveaux titres. Qui suis-je pour lui dire que je ne suis pas d'accord ? Pour lui reprocher qu'avoir côtoyé humainement Emily lui a redonné envie de persévérer ?
Ensuite parce que de base, j'aime assez Dead Sara, groupe nourricier de la demoiselle.
Quand l'information est apparue sur mon écran, j'ai juste acquiescé comme si c'était un choix assez évident finalement. D'autant que lors des rumeurs sur l'éventualité qu'une femme prenne la relève, je me remémorais le morceau Get What We Deserve de Dead Sara quand Emily est rentré dans mon top 3 des chanteuses qui pourraient faire un bon taf. J'ai pas été difficile à convaincre en somme, puis surtout, ça annonçait simplement que j'allais pouvoir écouter de l'inédit. Dinguerie.
Je citais deux raisons plus haut. La seconde parce que l'album est aussi éclectique que le sont devenus mes goûts et qu'il représente ma vision plurielle de la musique. On est sur une boîte aux chocolats de mille saveurs, dans laquelle tu pioches selon ou tu te situe dans la frange des amateurs du groupe. Pour ma part j'aime (pratiquement) tout et From Zero arrive comme ses prédécesseurs au juste moment.
Après une intro rigolote, s'amorce The Emptiness Machine. Et déjà bon, Mike qui introduit son chant avec calme jusqu'à un premier refrain posé, puis montée progressive vers un crissement de guitares faisant place à une Emily d'un aplomb affirmé malgré un poids difficile à soutenir... Fait-on plus Linkin Park que ce titre ? Et bien oui ! Entre Cut The Bridge qui aurait sa place sur Minutes et IGYEIH sur Meteora, Two-Faced parait directement sortir des pistes non gardées de Hybrid Theory.
Il y a tout dedans. Du rap, des cris, du gros riff et des scratch. Notons à propos une présence accrue de Shinoda comparativement aux opus antérieurs. Une manière sans doute de ne pas déstabiliser le fan et lui faire progressivement accepter Emily, qui cependant ne dépareille jamais. C'est aussi son album. Elle est de tous les titres et y affirme son identité. Non seulement dans le processus de création général, certains mouvements pouvant évoquer ce qu'elle fait à travers Dead Sara, mais aussi par le chant, qu'il soit clair sur un Over Each Other lui appartenant entièrement (mon chocolat à moi) ou rageur sur l'excessivement turbulent Casualty ; Linkin Park a-t-il jamais été aussi Metal ?
C'est pas le morceau que je garderai, mais inclus dans un ensemble il passe bien, From Zero ayant le bon goût d'être court et d'alterner entre morceaux Heavy et ceux beaucoup moins agressifs.
Ce sont d'ailleurs dans ces derniers que le groupe s'essaie à des compositions plus "atmosphériques" qui remportent ma préférence, mon adhésion facile. Overflow, Stained (mon second chocolat), Good Things Go... Tous ont une ambiance synthétique appréciable relativement calme. Joe Hahn aux platines s'y fait sagement plaisir.
Aussi, le voyage est parsemé d'outros qui rappellent les délires chelou de Hunting Party. Une synthèse je vous dit ! Qui fait dans la continuité tout en entamant une nouvelle ère dans laquelle Emily trouve sa place sans forcer, quand elle ne prend pas directement sa guitare en live...
Comme l'on sait qu'elle compose pour son propre groupe et au vu de la pluralité de ses talents, je doute que Shinoda l'ait donc engagé pour son seul instrument vocale et j'anticipe l'importance qu'elle va prendre sur de futurs travaux. Le mec sait ce qu'il a entre les mains et il ne compte pas lui faire faire de la figuration ; Emily n'est pas que la nouvelle façade de Linkin Park, elle défend dans ce "premier" album son droit d'être un membre à part entière. Cette nouvelle alchimie fonctionne parfaitement dans cette reformation construite par plaisir "d'être ensemble"...
Pour conclure je dirais que si Linkin Park a expérimenté tout le long de sa carrière et emprunté différents styles très distincts, From Zero en est la parfaite synthèse tout en amorçant de jolies choses pour le futur. C'est à la fois old school et assez frais.
L'album est fugace pour son bien, file à toute vitesse et enchaîne les titres imparables. Il n'y a aucun remplissage et Shinoda prouve qu'il maîtrise l'art de l'arrangement en travaillant ses structures, créant du contraste et de jolis reliefs à des titres pourtant très courts, les faisant vivre et nous raconter une histoire...
Le format Pop n'invalide jamais une profondeur de composition cohabitant avec des mélodies simples et immédiates.
En attendant, moi suis très heureux de retrouver les gars. Tous présents à l'exception du batteur qui a décidé de s'éloigner...
Vivement la suite, et ma main à couper que Shinoda planche déjà dessus.