Quand Harry Styles annonce en 2016 qu'il quitte le boys-band anglais One Direction pour se lancer dans une carrière solo, son ambition principale était de quitter ce statut de « teen idol » pour que le monde entier prenne enfin conscience de ses impressionnants talents de compositeur et d'interprète. Et pour cause! Le jeune chanteur qui avait pourtant à l'époque essayé d'user de ceux-ci malgré quelques maladresses indéniables, était toujours perçu aussi bien par le grand public que par la critique musicale comme le simple membre d'un groupe monté de toutes pièces par des producteurs à des fins commerciales, bien plus célèbre pour son physique avantageux et son charisme que pour la qualité de ses œuvres musicales. Dans la mesure où Harry affirme depuis ses débuts être principalement influencé par des artistes comme Pink Floyd, les Beatles, les Stones, Fleetwood Mac ou encore Harry Nilsson qu'il a beaucoup écouté pendant sa jeunesse, le choix de s'affranchir de cette condition de membre du « new NSYNC » comme l'affirmait de manière sans-doute provocatrice la journaliste Kadeen Griffiths paraît plus que cohérent.
Ainsi, après deux albums solos plutôt réussis – on retiendra évidemment son Sign of the times, belle ballade bowiesque qui marque un tournant incontestable dans sa carrière – Harry revient en mai 2022 avec un album extrêmement ambitieux, que je considère comme son plus réussi. Pour la première fois de toute sa carrière, il parvient à rendre sa musique très élégante et distinguée tout en conservant la douceur et la fraicheur qui caractérisait son style. Jamais depuis son envol en solitaire il n'avait réussi à concevoir un projet aussi cohérent et bien construit, avec une proposition esthétique aussi originale et intéressante. Ainsi, durant ces 41 minutes dont l'écoute est simple et agréable, l'artiste parvient à mêler soul, funk, pop psychédélique et folk de manière assez brillante, sans tomber une seule fois dans la surenchère ou dans la démonstration gratuite. On alterne entre ballades touchantes sans être « tires-larmes » contrairement à certains de ses précédents tubes, aux paroles plutôt belles (Little Freak ou Matilda), magnifiques hits synthpop qui me rappellent énormément ce que les Strokes cherchaient à proposer lors de leur réel retour en 2020 (As It Was) et morceaux funk aux influences new-wave qui sonnent presque par moment comme du bon vieux Oingo Boingo (Music for a Sushi Restaurant). Si j'étais amené à sélectionner mon morceau préféré de l'alum, je pense que je me tournerais vers Daylight, une petite perle pop extrêmement bien produite, dont les arrangements et l'accompagnement des couplets constitué d'accords décomposés au synthé Moog me rappelle énormément Solar System des Beach Boys et dont la sincérité des paroles me touche énormément. Mais à mes yeux, c'est l'excellent Daydreaming qui synthétise le mieux l'atmosphère que l'artiste parvient à installer dans son œuvre : Harry fantasme et écrit « à l'intérieur d'un songe », béatement isolé. Les personnages qu'il peint semble faits « de la même étoffe que les rêves ».
Tout au long de cette magnifique fresque pop, Harry s'inspire de la musique de plusieurs de ses idoles, tout en parvenant à garder un son neuf qui lui est propre.
De la même manière qu'un artiste comme Bruno Mars (je ferai d'ailleurs bientôt la critique de son Unorthodox Jukebox), Harry Styles a réussi à se débarrasser progressivement de ce son insupportable caractéristique de la teen-pop du début des années 2010 dont étaient empreints la majorité de ses premiers succès, pour évoluer vers un son aux influences plus anciennes, mais paradoxalement, intemporel.