La réception critique des revenants du rock est invariable depuis quelques années : (souvent) voués à l’adulation béate (My Bloody Valentine, Aphex Twin, pour ne citer qu’eux), ou (plus rarement) aux gémonies (Pixies). Cela devrait évidemment être plus complexe : des figures musicales deviennent cultes en partie parce qu’elles comblent un vide artistique ; leur statut est donc indissociable d’un contexte (de production, d’époque, de représentation d’un genre). Or, naturellement, la pop a indiscutablement changé en un quart de siècle, date à laquelle les Pixies ou My Bloody Valentine faisaient leur trou. Ainsi, les revenants, en assumant, voire en revendiquant leur immobilité, sont condamnés au travail de papier calque ; par conséquent, difficile de jouer aux déçus, pas plus qu’aux surpris.
Et de fait, en 2016, on n’a plus autant besoin des Pixies qu’en 1987. Ils ont déjà secoué le cocotier rock, contribué à ouvrir les frontières entre des genres a priori aux antipodes (du folk au hardcore en passant par la pop gentillette). L’auditeur aussi doit assumer : la ferveur est loin derrière nous, seule la nostalgie (ou la fan attitude) peut nous pousser à écouter les nouveaux efforts de ces artistes autrefois capitaux. De fait, Indie Cindy et Head Carrier n’ont évidemment pas l’impact de leurs prédécesseurs. Pour autant, ce sont deux disques qui continuent de plaider pour un état d’esprit (décalé, frondeur, bordélique) et d’un savoir-faire, en termes d’arrangements et de composition, absolument intact. Toutes les polémiques autour de (l’absence de) Kim Deal sont parfaitement stériles : qu’elle ait contribué au son et à l’imagerie Pixies est aussi incontestable que le leadership de Franck Black. Or l’image, quand on écoute la musique, on s’en moque. Et le son, eh bien, maintenant qu’il a été créé, il est reproductible. La preuve avec Indie Cindy et Head Carrier. Et bien fourbe celui qui affirmerait sans gène que, non, définitivement, ce n’est pas Kim Deal que l’on a derrière la basse des deux derniers albums des Pixies.
Restent donc les chansons. En la matière, Indie Cindy et Head Carrier n’ont absolument rien à envier à leurs prédécesseurs. Même alternance jouissive de tons et d’humeurs, entre naïveté enfantine et rage fulgurante, parfois au sein d’un même morceau. La voix de Black n’a pas vieilli, et elle demeure, avec celle de Corgan ou Molko, par son timbre acidulé, l’une des plus riches du répertoire rock, basculant avec aisance du susurrement à l’aboiement sans oublier un sens aigu de l’efficacité mélodique. Sur scène, les Pixies nouvelle mouture font montre d’une très belle entente, et les nouvelles compositions se fondent à merveille avec les anciennes au point que l’on en oublierait presque que vingt-cinq ans les séparent.
Presque. Car l’impression, en filigrane, de voir quatre musiciens vingt-cinq ans trop tard est tenace. Right moment, right place, la pop est aussi une affaire d’époque, de contexte, comme on le disait plus haut. On est donc conquis par les nouveaux Pixies, à défaut d’être enchanté. Enthousiaste à défaut d’être passionné.