(titre qui fait référence à Laylow et à La Tour Montparnasse Infernale je pense qu'on peut pas faire mieux)
Après Trinity qui était l'aboutissement de son univers et également le meilleur album de 2020, Laylow revient cette année après quelques feats plutôt sympathiques (on retient surtout Ciné Club) avec un album qui était intrigant. Je m'attendais à un Digitalova II, surtout en sortant l'album à cette période mais au final on a eu encore mieux : un album concept teasé avec un court-métrage et une tracklist avec de très gros noms, la hype était à son maximum. Ce court-métrage nous présentait un univers sombre ponctué de références cinématographiques, donc dans la même veine que l'album, et il introduisait également l'histoire de Mr. Anderson qui nous sera contée dans le projet : un homme contraint de partir de chez lui dehors dans la night qui va faire la rencontre avec son double. En effet on parle d'histoire dans un album, Laylow est un des seuls rappeurs à faire des albums concepts et j'aime beaucoup, surtout qu'il va assez loin dans le délire, contrairement à d'autres (SCH...). L'album arrive enfin le 16 juillet et c'est sans surprise très bon, on retrouve l'univers musical de Laylow, le story-telling est maîtrisé et certains morceaux me marquent déjà (Spécial en feat avec Nekfeu et Fousheé et Lost Forest), cela dit il y a toutes ces interludes qui d'accord sont très biens pour la cohérence de l'histoire mais ça saoule un peu et je ne les ai jamais réécoutées. Tout comme Trinity l'année dernière, ça me paraît au final important de faire une critique sur probablement un des albums de l'année.
L'album raconte l'histoire de Laylow, un garçon plein de rêves mais rattrapé par le manque d'argent, qui se cherche dans l'atmosphère sombre qui l'entoure. On suit donc Laylow et ses amis le temps d'une nuit durant laquelle un étrange personnage fera son apparition tandis qu'ils enchaînent les échecs d'une certaine façon, tout en essayant d'évoluer. L'argent, les rêves et le fait d'être spécial seront des thèmes récurrents dans cet album à l'ambiance nocturne plus que réussie. Et en plus il est plus simple de s’identifier à cette histoire qu'à celle de Trinity qui avait quand même un gros aspect science-fiction/cyberpunk , là c'est plus terre-à-terre. Ça commence donc par « UN REVE ETRANGE » qui, comme son nom l'indique, nous plonge tout d'abord dans les rêves du personnage avant de le découvrir dans l'interlude qui suit. Dès le début l'atmosphère sombre se construit avec « noir » et « masqué tous les soirs », qui seront répétés à la fin puisque c'est le refrain. L'ajout de bruitages après « biff », le souffle qui suit ou les bruits de mitraillettes ajoutent un côté encore plus visuel, accentué ensuite par des comparaisons :
« Maladif comme le type qu'a l'doigt bloqué sur gâchette automatique » ici Laylow se compare sûrement aux méchants de films, on pense notamment à la fin de Scarface évidemment, un film qui fait l'objet de nombreuses références dans le rap
« Laylow, si si, mec, c'est si funèbre, comme la mort, comme l'assassinat d'Jesse James » un vers qui nous rappelle l'ambiance sombre avec, « funèbre », « la mort », « l'assassinat » puis là encore on a une comparaison à un criminel (qui a réellement existé). Et puis on a une allitération en [s] et une assonance en [é], des sonorités qui rendent le tout agréable à écouter et qui, pour aller plus loin, contrastent avec la sonorité plus agressive [i], peut-être une annonce de la double personnalité de Laylow ou qui oppose rêve et réalité.
Mais donc de quoi rêve notre cher Laylow ? D'argent et de liberté en gros. En effet le couplet unique commence par une phrase explicite je pense « Avant tout, frère, j'veux être libre, faire du biff » puis on retrouve le champ lexical de l'argent tout du long : « liasses », « Sofitel » (hôtel de luxe) et puis la comparaison avec Scarface va dans cette idée mais après il évoque pas directement Scarface donc je suis plus ou moins sûr. Mais malgré le fait qu'il rêve, comme on a pu le voir dans Trinity, Laylow est une personne torturée et donc il nous part de ses doutes sur son rap « J'fais des sons c'est l'brouillard pas les holidays » et nous parle de son manque de confiance/de sa solitude : « Y a plus d'merci, y a plus d'pitié », « Comment faire ? Personne va nous dire, pas d'passe décisive », ce manque de passe décisive qui l'empêche d'atteindre son but. Dans cette intro Laylow nous présente donc une personne, lui, qui rêve d'argent, que tout soit magnifique grâce au rap, mais qui doute, tout en étant dans une atmosphère noire qu'il réussit à rendre imagée. Et en plus il tease la suite avec la voix de la 2ème personnalité... « Nique sa mère, tout s'ra magnifique » effectivement on se dit la même chose de l'album en écoutant cette intro, trop courte au passage.
Après une interlude dans laquelle Laylow se fait virer de chez lui, une situation qu'on peut imaginer grâce au court-métrage, puis rejoint son pote, on a le 2ème morceau : IVERSON. Toujours dans une ambiance sombre, le morceau commence avec le refrain qui contient la phrase « Avant-hier, j'étais dans l'noir, demain soir, j's'rai dans l'noir » puis la lune sera mentionnée dans le 1er couplet et en plus ça semble être une nuit d'hiver dans laquelle il fait froid, c'est «pire » encore. On retrouve encore le manque d'argent : « faut qu'j'me pète une North Face » on peut imaginer qu'il ne peut en acheter puisqu'il en faut une. Et le 3ème vers de ce refrain rejoint le premier morceau, Laylow s'imagine être roi (il en est pas loin honnêtement) avec un des messages principaux de l'album : « l'important c'est d'y croire ». Mais surtout Laylow surprend avec « m'appelle plus pour les love songs », et oui on a tous en mémoire Million Flowerz et Nakré sur Trinity, Laylow a changé d'objectif, de cible, l'amour l'a déçu et son seul centre d'intérêt est désormais « les grosses sommes ». Des grosses sommes qu'il fera grâce à son rap, sur lequel il doute encore : « Remets-moi l'piano mystique, concu' dans un état critique » (le morceau est produit par Sofiane Pamart, le pianiste le + réputé dans le rap fr), « Mais j'vais pas vous mentir, bien sûr j'voudrais faire mieux », « j'me roule une fusée dans ma détresse » (petit jeu de mot avec fusée de détresse j'aime bien). D'ailleurs on a un pont parlé dans lequel on apprend que Laylow regarde le ciel, c'est peut-être comme ça qu'il rêve dans le 1er morceau...Pour faire rapidement : ce morceau est dans la droite lignée du 1er.
On enchaîne avec WINDOW SHOPPER PART. 1 qui contient un feat « caché » avec Hamza et qui est surtout trop court. Ce morceau dénote avec le reste car il est plus dans une ambiance solaire, là on s’imagine plus dans le luxe de Cannes que dans une rue sombre toulousaine. Mais cette ambiance c'est plus pour illustrer sa vie plus modeste, on peut aussi imaginer qu'on est dans une sorte de rêve. Parce que le titre c'est WINDOW SHOPPER qui signifie lèche-vitrine (merci Google), donc on revient à cette idée de manque d'argent, il dit clairement qu'il n'a même pas 50 balles. Tout le morceau jour sur l'opposition entre richesse rêvée et pauvreté bien réelle :
« L'impression ça va jamais finir, comme le crédit sur la Lamborghini, oh shit » premier vers du couplet et déjà ça joue sur l'opposition en comparant la pauvreté (qui ne finira jamais) à la richesse (la Lamborghini, qui était d'ailleurs présente dans le court-métrage)
« Ça cherche le papier, négro, villa dans les Hills
Mais pour l'instant, ça mange des frappes, ça mange des cheeseburgers » assez explicite je pense, Laylow associe sûrement la richesse à la bonne nourriture sauf que tout ce qu'il mange c'est des frappes (drogue ou alors c'est au sens propre) et du fast-food.
Et vient le refrain dans lequel Laylow se rappelle qu'il vit une pauvre vie, pleine de vices et de galères. Puis pour finir petite apparition d'Hamza, parfait pour cette ambiance estivale.
Dans l'interlude qui suit, Mr. Anderson, la 2ème personnalité de Laylow fait son apparition, si on se fie au court-métrage c'est une facette plus sombre mais également plus sûre d'elle ce qui me fait dire que le feat avec Damso se passe du point de vue de Mr. Anderson...et c'est marrant d'avoir invité Damso, qui lui aussi joue sur une double personnalité (selon sa communauté). Donc R9R-LINE la collaboration la plus attendue de l'album suscitait l'intrigue quand même, les 2 artistes sont très polyvalents donc on ne savait pas à quel type de morceau s'attendre et on a au final un gros banger. Ça parle de double personnalité donc évidemment c'est un feat et ça commence par « Bre-som, clair » je pense qu'on peut pas faire plus...clair. Du coup on retrouve nos rappeurs dans leur version la plus nwaar et sûrement un aperçu de ce que serait Laylow en étant entièrement Mr Anderson : riche.
Il parle de S-Line, de se faire michetonner, Damso parle de Fe-Fe et d'argent plus important que celui du Loto. Rien à dire de plus sur ce morceau en vrai, c'est du rap comme ils savent faire : de l'ego-trip, une bonne écriture (avec champs lexical-du foot au refrain-, figure de style-euphémisme « ta vie r'trécit ») et une petite phrase anti-racisme « mettre un enfant noir au monde est un délit ». Petit point négatif en revanche c'est les « Ah ouais ouais... » du refrain qui sont un peu pénibles. Mais en gros on découvre que Mr. Anderson serait une meilleure version de lui-même.
L'interlude suivante renforce le caractère « looseurs » de Laylow et ses amis et mène à la partie 2 de WINDOW SHOPPER qui est cette fois-ci un vrai feat avec Hamza. Notre rappeur toulousain nous expose encore ses rêves dans le rap, l'argent :
« On s'recrois'ra, je s'rai bien / On s'recrois'ra, tu s'ras rien » ces deux vers font écho à l'interlude précédente, il s'adresse sûrement à ce videur qui leur a refusé l’accès
On note aussi l'omniprésence des voitures de luxe « Bimmer » (BMW), « 'Rari », « Mercedes »
« Faudra m'chercher très longtemps comme Sarah Connor » je me devais de relever cette comparaison parce que déjà c'est une référence à Terminator et que s'il faut le chercher longtemps ça sous-entend qu'il est loin : ça peut être loin au niveau géographique (« j'pars aux Bahamas ») mais aussi loin dans le rap.
Le « Mais » qui apparaît vers le milieu du premier couplet fait revenir Laylow à la réalité :
« Ça rêve d'un cheat code, ça rêve cheap mais y a p't-être une autre issue, y a p't-être une autre vie » il ne peut rêver que de code de triche (sûrement une référence à GTA) car le reste lui paraît trop inaccessible
Là où il disait dans le 1er WINDOW SHOPPER que c'est cette vie et pas une autre, ici il laisse la porte ouverte à une autre vie, c'est sûrement un 1er signe d'évolution chez Laylow.
On note l'utilisation du mot « ça » qui déshumanise le rêveur, ça le transforme en sorte d'esclave de cette vie.
On enchaîne directement avec STUNTMEN, le morceau dévoilé avant la sortie de l'album et en feat avec Alpha Wann et Wit. J'ai eu du mal à voir l'intérêt du titre dans l'album mais je pense qu'à l'instar du feat avec Damso, on est du point de vue de Mr. Anderson (et en plus c'est marrant parce que Laylow a deux amis dans l'histoire là). Ce qui me fait dire ça c'est qu'on est dans un son plus égotrip dans lequel Laylow se vante d'avoir de l'argent « j'suis dans la Benz », « y a cent mille euros dans l'clip mais j'crois qu'j'm'en bats les couilles » (il est tellement riche que 100 000€ ça devient pas grand chose pour lui), il s'imagine même à Hollywood (faut dire que cet album est un sacré blockbuster), ce qui expliquerait l'anglais « Big racks bien dans la bank ». Même dans le couplet de Wit l'argent est beaucoup mentionné « fais l'biff en un tour d'passe-passe , « fuck la 'sique, y a des plans pour v'là l'cash ». Puis le couplet d'Alpha Wann que je trouve énorme (honnêtement je pense que c'est mon préféré sur le son) qui contient plusieurs très bonnes phrases d'égotrip:
« Mon cashflow ne s'ra plus à marée basse, j'ai développé un phrasé lunaire
On n'a pas explosé en r'tard, on est juste à des années-lumière » le champ lexical de l'espace bien utilisé et tout simplement la technique toujours efficace d'Alpha Wann
« Si tu ne fais pas de toplines, tope-la » un truc qu'on retrouve souvent dans son rap et qu'on peut retrouver chez Freeze Corleone : ils sont supérieurs dans le rap car ils rapent et n'utilisent pas de mélodies
Et je pourrais m'amuser à décortiquer chaque phrase mais j'ai la flemme, apprécions juste le flow et la technique. Et ce qui me fait dire qu'on est toujours avec Laylow c'est cette phrase du refrain « J'ai toujours le seum et j'le garde comme un porte-bonheur », il a toujours de la mélancolie mais il réussit à en faire sa force et d'ailleurs il utilise « et » et pas « mais » pour relier les deux propositions ce qui montre bien qu'il accepte son seum.
Ensuite petite interlude dans laquelle Mr. Anderson fait évidemment son apparition et qui annonce le prochain son en parlant d'alcool. VOIR LE MONDE BRULER est un morceau complet, qui mélange chant et interlude pour s'intégrer parfaitement à l'histoire. Tout le long du morceau Laylow utilise « tu » et à mon avis, c'est Mr. Anderson qui s'adresse à Laylow pour lui faire prendre conscience de sa misérable vie et l'inciter à prendre les choses en main : un morceau important donc. On assiste par conséquent à Laylow qui fait un bilan de sa vie et de ses regrets, entre alcool, échecs et le sentiment d'être exclu de ce monde qu'il veut voir brûler à travers une soirée mouvementée:
« Avec ta main droite, tu bousillais l'bouton d'l'interphone
Avec ta main gauche, tu t'bousilles avec la 'teille de rhum » bon déjà là encore on a un vers très visuel mais c'est le cas de tout le morceau. Une petite anaphore et surtout un parallélisme avec un changement de temps : « bousillais » à l'imparfait pour raconter devient « bousilles » au présent d'habitude comme pour dire qu'il a tout le temps la 'teille de rhum, et donc qu'il a un problème d'alcoolisme.
Le reste du morceau c'est des phrases simples, explicites avec une écriture réaliste pour qu'on puisse imaginer le tout. D'ailleurs petit moment de sur-interprétation : dans le titre « LE MONDE » peut être une hyperbole pour désigner la vie de Laylow, comme la pièce de théâtre Juste la fin du monde (finalement les cours de français ont servi), « BRULER » du coup ce serait la mort et surtout ça a un rapport avec l'alcool et « VOIR » ça correspond bien au son, il constate son échec. Cela dit, on comprend à la fin du morceau que Laylow va décider de prendre sa vie en main parce qu'il ne se reconnaît pas et va essayer d'opérer un changement, en partant de chez lui comme l'indique le dialogue de fin. Je tiens à finir avec ce vers : « T'étais tellement high, t'entendais pas l'ange pleurer tout au fond d'toi » Laylow dit qu'il y a un ange au fond de lui alors qu'on le décrit un peu comme le diable (il frappe un mec qui est allé à la soirée dans laquelle il n'a pu aller), c'est bien une preuve qu'il essaie de changer la vision qu'il a de lui-même. Par ailleurs, le rappeur s'est amusé en plus à mettre quelques références à son univers/sa discographie pour montrer qu'on parle bien de lui : « Dehors dans la night, bail de vingt-trois heures », « parce que t'avais les sapes sales et les yeux rouges ».
Le prochain morceau QUE LA PLUIE est dans la droite lignée du précédent mais encore plus mélancolique, il prend la grosse voix triste dans les couplets comme dans Million Flowerz et la voix autotunée très aiguë pour le refrain. Donc il nous raconte son départ annoncé dans VOIR LE MONDE BRULER pour prendre sa vie en main. Il nous décrit la raison de son départ, sa mère qui ne supportait plus de voir les dérives de son fils, en s'adressant directement à elle (et il s'adresse peut-être également à son ange intérieur qu'il évoquait au début) :
« J'n'entendais que la pluie, ta voix qui chuchotait dans ma tête » la pluie est une métaphore pour désigner les pleurs de sa mère, l'image des larmes qui coulent comme la pluie qui tombe, en plus d'évoquer un mood sombre. La voix désespérée de sa mère le hante.
« Y a des gens qui arrivent à mentir, y en a même qui arrivent à trouver la paix » ces gens qui arrivent à mentir Laylow ne les comprend pas, lui qui en a marre de mentir aux autres et surtout à lui-même tandis que ces gens qui arrivent à trouver la paix il les admire.
« Le daron s'éloigne, aïe aïe, j'étais high » première mention de son père dans une phrase à plusieurs sens. Premièrement le fait que son père s'éloigne est dû à la drogue comme indiqué par « j'étais high ». Mais il peut également s'éloigner parce que Laylow s'en va, prendre le point de vue de son père donne un aspect plus proche et plus touchant. Et le troisième sens probable est lié à la vie de Laylow, je suis pas sûr que ce soit ça parce que c'est pas clair mais Wikipedia dit : « he left for Tunisia with his father briefly, before joining his mother in Abidjan » du coup je sais pas s'il est parti voir sa mère sans son père ou non. D'ailleurs le fait que ce soit la première fois qu'il évoque son père montre bien une certaine distance. Bref, c'est désormais officiel, Laylow veut avancer, oublier ses remords et réparer ses erreurs, c'est un nouveau départ : « Et j'aurais voulu revenir mais c'était trop tard, pas d'rеstart dans la vraie life » On peut imaginer que Laylow s'évadait dans les jeux vidéos, aujourd'hui il se concentre sur sa vie IRL. Il ne veut pas « restart » il ne pense qu'à aller de l'avant, c'est un message de motivation.
On arrive au morceau que je préfère et qui m'a entièrement convaincu dès la première écoute : SPECIAL avec Nekfeu et une brève intervention de Fousheé. Comme dans VOIR LE MONDE BRULER, ici c'est Mr. Anderson qui s'adresse à Laylow mais de manière déjà plus positive, la situation commence à se retourner donc. Le refrain original, le couplet de Nekfeu qui arrive parfaitement à mélanger rap et mélancolie et même les quelques lignes de la chanteuse c'est du plaisir pour les oreilles. Cette track est un hommage aux gens qui se sentent différents, mais c'est surtout qu'ils sont uniques et c'est ce qu'il fait leur force. Laylow fait donc partie de ces gens :
« Y a rien d'normal dans c'monde pour celui qui est spécial (ah, ah)
Donc tout l'monde veut l'dissuader d'rester spécial (ah, ah)
Mais y en a pour qui c’est dur à vivre, tellement qu'ils prennent le .38 Special (ah, ah) » l'interprète utilise une antithèse « normal/spécial » pour bien montrer l'opposition entre le monde et lui-même (ou les gens spéciaux en général). Le mot « monde » est réutilisé pour le faire passer comme l'ennemi. Le dernier vers indique que cette unicité peut aussi être ce qui tue l'individu pas assez solide pour la supporter, utiliser .38 Special avec « Special » montre bien que ça peut être une arme. Ce refrain est assez triste mais dans le 1er couplet Laylow essaie d'éviter d'en arriver là :
« Mais, des fois, tu l'fais pour tuer l'time, des petits bails, un peu de détaille, même si tu sais que tu vaux mieux qu'ça » l'assonance en [aïe] prouve que faire comme les autres fait du mal à l'individu et qu'il faut par conséquent garder et utiliser le fait d'être spécial pour se sentir bien.
« Bien sûr que t'as l'mort, bien sûr qu'ça va pas mentalement
Bien sûr qu't'es plus l'même, ils savent pas de quoi t'es capable mais moi, I know » la répétition (et anaphore) de « bien sûr » désigne le mal-être comme une fatalité quand on est spécial mais il suffit de reconnaître qu'on est capable de grandes choses pour aller mieux (on pourrait penser que c'est être reconnu mais vu qu'il se parle à lui-même par le biais de sa deuxième personnalité...)
« Que t'es space, t'es différent, toi, t'es spécial » cette gradation montre que cette singularité est une force, sous-entendu « t'es space, encore mieux, t'es différent... ».
Pas grand chose à dire sur le couplet de Nekfeu, il dit la même chose que Laylow mais avec un côté nostalgique en plus « Premier Feu feat' Flingue dans le local (Uh), rec' par PLK, dix ans à l'occas' », « Ceux avec qui j'passais l'été sous l'bât', les seuls qui m'ont prêté de vrais sabbatt' quand c'était spécial ». Je tiens juste à revenir sur : « Vision hélico', longue est la focale » la vision hélico est une vision large, au dessus du monde donc déjà la particularité permet d'être au dessus de tout le monde mais la vision globale c'est aussi peut-être une vision sur sa vie. C'est accompagné d'une référence cinématographique, quand la focale est longue, le personnage est clair mais le fond est flou : ça va avec l'idée que Laylow essaie de se recentrer sur lui-même mais également qu'il a un passé flou (et un avenir également d'ailleurs). La quête de rédemption a commencé, notre rappeur s'est rendu compte qu'il est spécial et s'accepte comme tel.
Du 15ème morceau au 18ème, Mr. Anderson veut montrer à Laylow qu'on peut compter que sur soi. Ça avait déjà commencé avec la fin de SPECIAL et les rires en fond qui se moquent de la tentative de suicide, qui se réjouissent de la mort de cet être unique puis ça continue avec LOST FOREST. Un morceau qui m'a impressionné à la première écoute par son aspect très visuel et son story-telling poussé à fond. Une telle scène au cinéma dans un film du genre de La Haine ou Les Misérables serait très forte et surtout très tendue. Mais bref, ce son est en réalité un rêve (et aussi le nom du chapitre IV du court-métrage) que Mr. Anderson projette à Laylow pour lui montrer qu'il ne doit faire confiance à personne, en plus d'aborder les violences policières. Et en vrai je n'ai pas grand chose à dire sur ce morceau qui explique tout directement et explicitement, ça fait partie du style réaliste. Je tiens juste à noter l'évolution dans l'autotune, plus le morceau avance plus les couplets sont kickés, ça donne un côté plus sombre et ça va avec l'évolution de l'histoire du morceau, et ça va aussi avec le fait que le dernier couplet c'est un dialogue chanté, donc l'autotune moins importante donne un côté plus réel. Je note aussi l'évolution du refrain qui passe de «le monde voudrait les avaler » à « pourrait les avaler » suite à l'apparition des flics, ça montre qu'ils sont une vraie menace.
L'interlude C’est Eux Contre Nous nous apprend que c'est un rêve puis nous fait revenir dans la réalité, Laylow est chez ses amis, ceux qui l'abandonneraient si on en croit le rêve d'avant. Cette interlude nous introduit également le morceau suivant : HELP !!! qui aborde les violences conjugales à travers la métaphore filée de la musique. C'est raconté comme un conte en fait puisque cette métaphore adoucit un peu l'histoire, c'est une sorte d'euphémisme géant :
« Là où y a toujours beaucoup d'bruit mais très peu de public » cette phrase signifie que les violences conjugales sont quelque chose que personne ne voit, ça fait beaucoup de bruit mais personne n'y fait attention, pas de public.
« Où l'on chante des chansons, que personne n'aime entendre, des chansons pour célébrer la mauvaise entente » les chansons sont les cris/pleurs de la femme, qui sont désagréables (pour elle et les autres) et évidemment ces cris dues aux coups témoignent d'une mauvaise entente...
« Qui font peur aux enfants, tard dans la nuit, c'est l'bruit des assiettes qui fait l'harmonie » les cris réveillent les enfants, mention de la nuit qui rappelle l'atmosphère sombre de l'album. En plus des pleurs la vaisselle se casse (soit parce qu'elle est lancée soit parce que la femme est projetée dessus).
« Une chanteuse anonyme qui crie son spleen » puisqu'on la voit pas, cette personne qui subit des violences est anonyme. D'ailleurs Laylow brise la métaphore avec « crie », on arrive à la fin du couplet, elle va bientôt mourir donc pour donner un aspect dramatique il reprend son style direct, de même pour spleen, même si on rattache ce mot à la poésie.
« À un moment donné, elle s'écroule sur le sol mais personne n'applaudit » c'est le coup de trop, la femme meurt, Laylow utilise un euphémisme « s'écroule sur le sol » dans une chanson qui en était déjà un...puis personne n'applaudit parce que il n'y a pas de public et puis bon on va pas applaudir un tel acte...
« Crever sur scène comme Dalida, putain c'est triste » la scène signifie donc l'appartement, et pour renforcer la métaphore de la chanson, Laylow compare cette femme à une chanteuse.
Le refrain lui prend le point de vue du rappeur et ses amis qui sont dans l'appartement d'à côté en train de jouer et qui entendent tout ça sans y faire attention :
« Elle a crié "À l'aide, à l'aide" pendant des heures
Mais bien entendu, l'enfer c'est pas nous, l'enfer c'est les autres » elle a beau crier à l'aide ils ne viendront pas l'aider parce que l'enfer c'est chez les autres et ils veulent l'éviter.
En plus d'être superbement écrit (il pourrait même y avoir un second sens avec la carrière du rappeur), le morceau est interprété avec la grosse voix mélancolique de Laylow ce qui en fait un son magnifique. De plus ça colle avec ce que veut transmettre Mr. Anderson : il ne faut compter sur personne, cette femme n'a pu compter sur personne pour la sortir de là. Et c'est ce que confirme encore l'interlude suivante dans laquelle les amis de Laylow le laissent en lui disant qu'il n'a aucun avenir...Désormais le rappeur est livré à lui-même.
FALLEN ANGELS en feat avec slowthai aborde donc la solitude de Laylow et son envie de vivre pour lui dans un style encore une fois mélancolique dans les refrains et du kick dans le couplet unique, puis slowthai apporte vraiment quelque chose je trouve :
« Faut qu'j'laisse sonnеr quand la vraie vie m'appellе » cette métaphore reflète son envie de vivre dans un monde parallèle, loin des autres.
« Mélancolie, mode cinq étoiles, j'dois faire comme s'j'étais sûr de moi » encore une référence à GTA peut-être pour signifier que beaucoup de monde veut sa peau ou que beaucoup sont à sa recherche, une fois qu'il est avec les autres il doit faire semblant d'être sûr de lui, il doit être quelqu'un d'autre, cacher sa personnalité.
« Et j'veux pas leur ressembler, en vrai / Ils méritent pas ma peine » Laylow ne veut pas être comme les autres, il veut être spécial et il affirme qu'il ne peut compter sur personne, il s'est enfin imprégné des idées de Mr. Anderson.
Les gens voient Laylow tel un démon « FALLEN ANGELS » à cause de cette envie d'être spécial, ce qui doit confirmer son envie d'être seul. Ce qui me fait dire que c'est pas comme ça que Laylow se voit c'est cette phrase dans le refrain : « J'ai des démons, des anges qui m'volent au-dessus d'la tête » il a des démons oui mais des anges aussi, ça montre son esprit torturé et sa double personnalité. A la fin du morceau on devine donc que l'opération de transformation touche à sa fin et que Laylow et Mr. Anderson commencent à ne faire qu'un.
Enfin, on arrive à l'outro du projet, l'excellent UNE HISTOIRE ETRANGE qui répond directement à l'intro, le rêve est devenu l'histoire, il est donc devenu réalité. Dès le titre Laylow donne un signe de son évolution. Mais surtout cette outro est un morceau introspectif produit par Sofiane Pamart et depuis Noir sur blanc de Frenetik je sais que c'est une valeur sûre et en l’occurrence une manière parfaite de clôturer un album. Cette outro récapitule tous les thèmes de l'album et l'évolution de Laylow, enfin on est du point de vue de Mr. Anderson mais cette fois-ci le bilan est encouragent, et là où Trinity finissait par un morceau très déprimant, cet album finit par un morceau positif et motivant :
« C'est une histoire étrange / P't-être même que c'est qu'un rêve » Comme je le disais, ça fait écho au premier morceau, il est devenu ce dont il rêvait.
« Toi, tu veux pas comprendre / Mais tu veux qu'ils te comprennent » Laylow ne voulait pas se comprendre lui-même car il ruinait son potentiel, le reste est assez explicite je pense.
« Je t'ai vu, toutes ces nuits d'vant ton iPod cassé / Écrire des lignes et des lignes sur des bouts d'papier / C'était pas ouf mais au moins t'essayais, réessayais / Pendant qu'les autres faisaient qu'bégayer » son iPod cassé c'est bien évidemment pour rappeler la pauvreté dans laquelle il vit. Puis après il évoque ses projets, il insiste sur « essayais » pour montrer que c'est ce qu'il faut faire, il le fait aussi en dénigrant les autres qui ne font rien, qui ne font que « bégayer » en critiquant Laylow sûrement.
"T'as fait des connaissances et t'as ouvert ton cœur comme si c'était un stadium de foot
Tu croyais que c'était tes potes et qu'ils l'seraient à vie
Que vos destins resteraient liés quoi qu'il arrive » Là il parle de la confiance qu'il avait en ses amis, il a accueilli beaucoup de monde comme le témoigne la comparaison hyperbolique « comme si c'était un stadium de foot ». Évidemment l'utilisation du conditionnel annonce que ses potes l'ont lâché.
« Parce que c'lui qui a jamais essayé s'ra jamais éveillé / Le bonheur faut l'payer, pas en euros mais avec des larmes, ouais » Il insiste encore sur le fait d'essayer, si on essaie pas on passera à côté de beaucoup de choses. La phrase suivante nous indique que Laylow a réussi à avoir le bonheur (ou en est très proche) car des larmes il en a versé beaucoup alors que l'argent on a vu que c'était plus compliqué, il veut dire par la même occasion que c'est quelque chose auquel il est difficile d'accéder.
« De l'eau a coulé sous les ponts, il t'arrive d'te regarder dans l'miroir et d'sourire » cette phrase fait écho à celle de VOIR LE MONDE BRULER : « Quand tu t'regardes dans l'miroir, avoue qu'tu t'reconnais pas », c'est encore une fois une belle preuve d'évolution.
« Tous tes vieux chagrins sont loin derrière toi, avec le temps, ça d'vient des jolis souvenirs » Chagrin s'oppose à souvenir, cette antithèse est encore une marque d'évolution.
« J'te dis pas qu'faut voir la vida tout en rose mais bon, au moins faut pas vouloir la rendre grise » Rien à dire de spécial sur cette phrase, juste je la trouve belle et très inspirante, certes la vie est dure mais faut savoir en tirer le meilleur parti.
« Oui, je sais, t'as toujours pas ta Lambo' mais t'as des rêves qui, eux, ne demandent qu'à vivre » Référence à ses envies du début (et au court-métrage), il n'a pas l'argent mais il a des rêves et c'est plus important (selon Laylow parce que c'est pas les rêves qui remplissent le frigo).
« Parce que c'est ta façon d'faire et qu'c'est la meilleure au monde, juste parce que c'est la tienne » Référence au morceau Spécial, sa manière unique de faire les choses est sa force.
« Mais c'est rien parce que tu sais que t'es plus l'même / Que t'as tracé comme un chemin dans une contrée que tout l'monde croyait infranchissable » Derniers mots des couplets et on a tout ce qu'il faut pour terminer (en plus du dialogue de fin) : Laylow a évolué, si on prend en compte les vers précédents on découvre que le plus important n'est pas le résultat mais le parcours et dans ce cas c'est d'avoir fait l'impossible : faire disque d'or en trois semaines en ne trahissant pas sa musique, en ne proposant que de la qualité à l'aide de la persévérance et de la motivation. Le rappeur n'a pas arrêté d'aller de l'avant et il est devenu une star, il est devenu quelqu'un « Si t'arrêtes de courir juste une minute / Tu verras ta propre étoile dans le ciel ».
Pour conclure, Laylow s'impose cette année encore comme le Man of the year grâce à un album à l'univers particulier, original, prenant qui raconte une vraie histoire et propose un vrai message d'espoir et de détermination. On regrettera malgré tout des morceaux trop courts (l'intro et le premier WINDOW SHOPPER), quelques phrases de remplissages et d'autres parfois pas assez recherchées. Cependant je peux fermer les yeux là dessus car Laylow se démarque du rap en proposant des albums bien construits, une écriture efficace et un flow digital ainsi qu'une autotune maîtrisée qui font du bien aux oreilles. Bref, allez écouter ce sublime album ou le réécouter.