Comme pour à peu près chaque disque de sa carrière, Serge Gainsbourg a toujours cherché à se renouveler, histoire de proposer aux oreilles qui l'écoutent de nouvelles choses à chaque fois.
En 1981 paraît son deuxième album reggae, Mauvaises Nouvelles des Etoiles, au retentissement moindre que son prédécesseur Aux Armes et Caetera. Gainsbourg, ou Gainsbarre (c'est vous qui voyez) se dit qu'il est peut être temps de tourner la page jamaïcaine. Il se laisse pour cela un peu de temps. Enfin, pendant ce temps, il concocte tout de même un album de toute beauté pour Jane, son ancienne compagne et muse (Baby Alone in Babylone), un pour Catherine Deneuve (Souviens Toi de m'Oublier... titre prédicateur ;),mais également un pour Ajdani (Pull Marine) ou encore pour Alain Chamfort (Amour Année Zéro) ou pour Bashung (Play Blessures).
Bref, début de eighties bien chargé pour Gainsbarre, succès (Baby Alone in Babylone) et échecs (Souviens Toi de m'Oublier) le jalonnent. Il a même le temps de tourner son second long-métrage, Equateur, avec Francis Huster en 1982.
Arrive 1984, année fatidique pour George Orwell, et Serge cherche la nouveauté, quelque chose d'inédit, de jamais vu en France, comme pour son coup reggae. Lui et son fidèle producteur Philippe Lerichomme sont impressionnés par le LP Let's Dance de Bowie (1983) produit par Nile Rodgers, guitariste de Chic, et par un autre, bien moins connu, Trash It Up de Southside Johnny & The Asbury Jukes produit par ce même Rodgers et par un autre type du nom de Billy Rush, personnage important mais ça, Serge ne le sait pas encore.
Gainsbourg veut à tout prix Nile Rodgers pour produire son prochain disque, il veut cette touche Let's Dance. Il s'envole pour les States avec Lerichomme. Rodgers, accaparé par Bowie, refuse poliment, mais refile à Serge l'adresse de son pote Billy Rush, potentiel producteur. Le même réalise quelques démos pour Gainsbourg, qui est séduit par le nouveau son.
New York séduit Gainsbarre, la ville parfaite pour cet alter-ego, futur terrain de jeu pour les pérégrinations déviantes du même (prochain album, You're Under Arrest, on aura l'occasion d'y revenir). Serge donc est inspiré par l'ambiance américaine, et écrit de nouvelles chansons, salaces et provocantes, du pur Gainsbarre.
Rush convoque des musiciens, Larry Fast, claviériste que nous avons pu apercevoir sur scène avec Peter Gabriel, Stan Harrison, saxophoniste de Let's Dance et du Serious Moonlight Tour de Bowie, et les frères Simms (Steve et George) des mêmes album et tour. Let's Dance a une influence forte sur Gainsbourg lors de la réalisation de Love On The Beat. Billy Rush s'occupe des guitares, de la basse et des programmations de batterie, et Gainsbourg joue lui même un peu de synthé.
L'enregistrement a lieu en juin 1984, aux studios House of Music à West Orange dans le New Jersey, et l'album sort le 2 octobre de la même année. C'est un réel succès en France, rapidement disque d'or. Ce sont 37 minutes de pur funk new-yorkais, avec des touches de rock New Jersey.
Il débute par l'odyssée orgasmique de huit minutes, "Love On The Beat", narrant une relation sexuelle assez violente, avec en arrière plan les cris (douloureux) de sa jeune compagne Bambou. Suit le plus doux "Sorry Angel" (Sorry So...), qui est d'ailleurs le titre qu'on a le plus tendance à retenir de cet album. Gainsbourg y parle de sa rupture avec Jane Birkin, et c'est réellement magnifique. Ensuite vient "Hmm Hmm Hmm", sur celle-ci on sent qu'il s'est bien amusé, musique plus gaie, références aux grands maîtres poétiques, c'est sans doute le titre le plus léger et mineur de l'album.
La face A se termine par un terrible slow, "Kiss Me Hardy", qui reprend les derniers mots de l'amiral Nelson, marin militaire britannique à son amant Hardy. Comme le disait Winston Churchill, la Royal Navy c'est "Rum, Sodomy and the Lash", tiens, comme l'album des Pogues :) !
"No Comment" est une chanson synthétique où Gainsbarre s'amuse à raconter le maximum de saloperies en cinq minutes. C'est une insulte à sa délicatesse d'auteur, et c'est assurément un des points faibles de cet album. Heureusement, la piste suivante rattrape ce désastre, "I'm The Boy", reprenant le début d'une phrase du poète James Joyce, parle d'un jeune homosexuel, perdu dans sa vie et dans les boîtes gay qu'il fréquente assidument. C'est très beau, et on ne s'en lasse pas. Une réussite.
"Harley David Son Of A Bitch"... passons ! "Lemon Incest" est bien plus intéressante. Ecrite pour un duo avec sa fille Charlotte, elle choquera la France entière par la présence du mot interdit, "inceste", dans le titre, et par la soi-disant ode et par la soi-disant invitation à l'inceste. Seuls des esprits pervers, étriqués et tordus ont pu voir ça, il s'agit simplement d'une déclaration d'amour d'un père à sa fille, sur une étude de Chopin. Ah, les puritains ...
Bref, Love On The Beat, sous sa magnifique pochette (Serge en femme) signée William Klein, est un album, certes inégal mais qui offre de beaux morceaux (Love On The Beat, Lemon Incest, Kiss Me Hardy), certains même quintessentiels (Sorry Angel, I'm The Boy). Il est indubitablement un album majeur et culte de la chanson française.
Il séduira beaucoup, tellement que Gainsbourg repartira en tournée afin d'haranguer les foules au son des cris de Bambou, mais, ça aussi, on aura l'occasion d'en reparler.
Pour finir, une citation de ce bon Gilles Verlant ...
C'est Love sur le Rythme, Amour on the Beat.