Avec le premier album, "Strange Days" forme un diptyque : morceaux crées en même temps (dans le cas de "Moonlight Drive", c'est même avant tout le monde), cohésion littérale du groupe, à peu près les mêmes proportions musicales (courts morceaux et final fleuve). Comme dans beaucoup de diptyque, le deuxième volume est la face sombre de la Lune. Si "Les Doors" était déjà un véritable contre-pied de l'insouciance des sixties (LOL), "Strange Days" pousse la seringue encore plus loin. Encore plus exigeants. Encore plus tristes. Encore plus noirs. Encore mieux. De sa voix feutrée de fantômes, Morisson embarque ses jours étranges dans la gorge d'une fillette perdue, en travers des cordes vaincues et un clavier au sommet de sa forme. Dans cet album, les ruelles sont parsemées de rebelles ne comprenant rien à ce qui les entoure, des filles qui n'ont pas de repères, et des chevaux hennissant l'Enfer comme une nouvelle porte de sortie envisageable. L'ensemble est jouissivement oppressant, malgré les pauses géniales comme "My Eyes Have Seen You" (à scander c'est énorme !). J'admets que "Moonlight Drive" et "Love Me Two Times" ne m'ont jamais vraiment accroché, parce que justement elles me décrochent de l'ambiance générale, pleine de torpeur mouillée, que dégage cet album incroyable de maitrise. Mais comme disait Morisson : la vraie poésie ne veut rien dire, elle ne fait que révéler les possibles. Elle ouvre toutes les portes. A vous de franchir celle qui vous convient. Je n'entre pas dans ces deux portes : la qualité reste incontestable. J'avoue aussi que "When's Music Over" est le final fleuve que j'aime le moins des Doors (oui, je préfère même "Soft Parade", je le confesse !)... Mais ça reste un immense morceau ! Entre Manzareck qui déchire tout, Densmore qui suit et lâche rien, entre Krieger qui tiraille sa gratte et Morisson qui hurle le droit à l'espoir, c'est un véritable plaidoyer à la jeunesse qui se profile sous leur soleil désespéré.
"Strange Days", sommet de leur discographie, trop court mais inépuisablement bon, vaut tous les détours de quartiers que vous trouverez. Et que pleurent les chevaux dans la nuit...