"Every man is the same, come on
I'll make you a star
I'll take you a million miles from all this
Put you on a pedestal"
Chroniquer les Rolling Stones est un exercice difficile, voire quasi-vain à entreprendre et cela pour une raison simple, tout à déjà été dit, et le groupe reste (naturellement) toujours l'un des plus suivi actuellement, dans tous les sens du terme. Certains fanatiques sont devenus, à peu de chose près, des historiens, et sont capables de dire avec exactitude qui est au piano sur "Winter" (1973, et Nicky Hopkins ;) ou avec quelle guitare Keef joue "Happy". Néanmoins, moi aussi j'aime les Rolling Stones, et je ne suis pas historien (quoique...). Donc, prenez cette chronique pour ce qu'elle est, une chronique (!) et installez vous bien. Aujourd'hui, nous parlons de Tattoo You, sorti en 1981 chez RS Records.
La fin des seventies est dure, très dure. Keith Richards, après les péripéties liées à Exile s'enfonce à mort dans la dope, la dure, l'héro. Il devient un fantôme, et le premier sur la liste des rocks stars qui doivent bientôt passer l'arme à gauche, et c'est son binôme Mick Jagger qui doit le tirer vers le haut, et accessoirement gérer les affaires de ce qui est devenu "le plus grand groupe de rock au monde" car ne comptez pas sur Charlie Watts ou Bill Wyman pour cela.
Aussi, le virtuose Mick Taylor quitte l'ensemble en 1974, lassé du manque de reconnaissance des autres pour son travail, pourtant capital à posteriori. Il est remplacé par le souriant et sympathique Ronnie Wood, transfuge du Jeff Beck Group et des Faces de Rod Stewart, mais un cran en dessous techniquement, avouons-le.
Black And Blue (1976) est un melting pot assez fascinant, où le groupe ne sait pas vraiment où aller, et donc s'éparpille. C'est également à ce moment que Keef touche le fond, parvenant même à s'endormir sur scène. L'album suivant, Some Girls (1978) relève du miracle, miracle issu du savoir-faire du duo Jagger-Wood. Porté par son single disco iconique de tous les bals du 14 juillet et incontournable de toutes les boums de 78 à aujourd'hui, mais toujours aussi efficace, j'ai nommé "Miss You", le groupe semble reparti pour un tour. De plus, Keith, emmerdé par absolument toutes les polices du monde, décide enfin de se détacher de l'héroïne, pour de bon (et de là naîtra la légende de son changement de sang dans une clinique en Suisse).
Mais la tension se relâche avec le piètre Emotional Rescue, souffrant du syndrôme Tonight, c'est-à-dire "faisons la même chose, en moins bien". Au final, tout le monde est fatigué, Keith, désintoxiqué de frais et rock comme jamais, souhaite naturellement reprendre une part active dans les décisions artistiques du groupe, ce qui n'est pas au goût d'un Mick Jagger de plus en plus passionné par la dance et le disco, et quelque peu fâché du manque de reconnaissance de son compère pour avoir maintenu le navire à flot, avec lui à son bord. Les germes de cette discorde sont ici plantés, ils atteindront leur paroxysme au milieu des années 80, et sont un peu atténués depuis, bien que toujours vivace, j'en suis sûr.
C'est dans ce contexte qu'arrive Tattoo You, le dernier "vrai et bon" album des Stones avant une longue traversée du désert qui, à mon sens, n'est pas encore terminée. Le disque se révèle être une compilation de chute de chansons, élaborées entre 1973 et 1980, réarrangées et retravaillées pour certaines, comme nous allons le voir.
On peut aisément s'interroger sur le concept, car, s'il s'agit de chutes, quel est l'intérêt de présenter cela à son public? Ce qui a été recalé, les fonds de tiroirs ? Eh bien croyez moi, j'aimerai bien que mes fonds de tiroirs ressemblent à ce qui est proposé sur Tattoo You !
Déjà, il faut dire que l'album à un son à la propreté quasi-irréprochable, ce qui est à signaler concernant les Stones, loin d'être réputés pour la clarté de leurs enregistrements. Passer de la production un peu crasseuse de Some Girls à ceci, c'est une sacré marche. Ce n'est qu'une demi-surprise quand on sait que c'est Bob Clearmountain qui a mixé l'album, l'ingé son qui s'occupera notamment du Let's Dance de Bowie ou encore du Avalon de Roxy Music. C'est sans doute tout cela qui fait de Tattoo You un de leur best-seller, il est terriblement accessible.
Par exemple, qui n'a jamais entendu retentir le riff de "Start Me Up", un des monuments de l'arena rock? A la base un reggae très plat de Keef datant des sessions Black And Blue, il fut entierèment retravaillé vocalement par Mick Jagger, en faisant ainsi un tube imparable. Ce type de morceau est la marque de la face A, où les Stones se consacrent à des titres à tempo rapide, comme "Start Me Up" ou encore le déflagrant "Slave", un jam enregistré avec Billy Preston. Comme toujours, Keith a son moment de brillance, ici avec "Little T&A", une de ses meilleures chansons lead. Ce mec est toujours l'un des seuls aujourd'hui à pouvoir caser les mots interdits à la radio ("tits" et "ass" si vous voulez savoir..).
Notons aussi le rockab sympa de "Hang Fire", où les choeurs de Mick font mouche, et où la batterie de Charlie emballe tout le monde, poussant la salle entière à remuer du cul.
La face B se révèle être l'intérêt profond de Tattoo You. Ici, et pour la seule fois de leur longue carrière, les Stones vont uniquement se consacrer à des ballades, certaines des plus réussies de leur répertoire. "Worried About You" est facilement assimilable au mielleux "Fool To Cry" de 1976, bien qu'il soit mieux construit et élaboré, et où Mick Jagger fait l'usage impressionnant de son falsetto.
"Tops" est la perle absolue de l'album. Datant de 1973, on y retrouve la patte gracieuse de Mick Taylor, ce qui donne un résultat d'une douceur saisissante. Au rythme tempéré, c'est typiquement le genre de chansons qui aurait dû devenir un classique.
Comme partout, il y a toujours un OVNI, un titre difficile à catégoriser. C'est "Heaven" ici, titre planant, et c'est peu dire. Avec cette guitare aérienne jouée par Jagger, ce synthétiseur et cette batterie imperturbable, ainsi que ce chant aigu et quasiment désincarné, les Stones n'avait rien proposé d'aussi bizarre depuis Their Satanic Majesties Requests, leur album psyché de 1967.
"No Use In Crying" est le premier titre que j'ai réellement découvert de Tattoo You, "Start Me Up" non compris. C'est leur plus grand moment de soul, tellement simple et accrocheur, un autre coup de coeur. L'album se termine par une autre ballade, "Waiting On A Friend qui, malgré des paroles un peu niaises, est sauvée par son ambiance et, là encore, la touche de Mick Taylor, et par un saxophone assez adéquat pour le coup. C'est, au fond, un très joli morceau qui démontre le talent que les Stones ont pour ces choses-là, et leur douceur indubitable, malgré les mots et les apparences.
Tattoo You est un album classieux, rien que par sa pochette, représentations glamourifiées des Glimmer Twins, comme les deux pendants d'une même pièce. C'est également un saut à pieds joints dans les années 80, parlons plutôt d'une entrée fracassante. Son succès commercial tout autour du globe repousse les Stones sur la route, pour leur première vraie tournée des stades, stades qu'ils ne quitteront plus.
C'est peut-être ici aussi que nous assistons au transformation de la machine Rolling Stones en planche à billets, car c'est à mon sens leur dernier album vraiment honnête, n'ayant que pour seule optique la musique, et ainsi le public. Ce qu'ils nous serviront après Tattoo You n'a pas de sens, les Stones feront du Stones, un point c'est tout. Undercover, Dirty Works, tout cela n'a pas vraiment de finalité, à part vendre pour une image, mais cela n'engage que moi, naturellement. Donc ...
Tattoo You, oui Mick, oui Keith,
Tatouez moi.
Tattoo You, full album
"Start Me Up"
"Little T&A"
"Tops"
"Waiting On A Friend"