Three Imaginary Boys
7.3
Three Imaginary Boys

Album de The Cure (1979)

« Three imaginary boys », premier album de The Cure publié en 1979, est souvent perçu comme une œuvre assez à part dans la discographie du groupe, qui plus est de qualité inférieure au reste de sa production (du moins à celle des années 80 …) ; l'album serait trop juvénile, trop désordonné, manquerait de ligne directrice claire. Ce serait somme toute une œuvre de jeunesse intéressante, mais trop immature pour pouvoir prétendre au statut de disque majeur du groupe.
Pourtant, dès ce premier opus, la formation menée par Robert Smith (accompagné de Michael Dempsey à la basse et de son fidèle Lol Tolhurst à la batterie) se montre être au-dessus de la plupart des autres formations rock britanniques de l'époque (notamment des Clashs, Buzzcocks et autres Banshees … ), mêlant un style introspectif tourmenté à la Joy Division et une vitalité qui lui est propre.


Le premier morceau, « 10:15 Saturday Night » (seul titre de l'album à être considéré comme l'un des classiques du groupe), est peut être le plus représentatif de ce style : sous ses airs enjoués, le morceau ne fait que mettre en place les thèmes qu'exploreront les albums à venir, comme la solitude et la dimension obsessive des relations amoureuses. La précision millimétrique de la basse et de la batterie et les riffs finaux, plein d'agressivité, viennent accentuer le sentiment de torpeur du protagoniste de la chanson. Le titre suivant, « Accuracy », est une véritable perle de minimalisme (tant au niveau de la musique que des paroles), décrivant en quelques mots la complexité des rapports sentimentaux : « Look into my eyes/We both smile/I could kill you/Without trying ... ». De la même manière la pop enjouée de « Grinding Halt » parvient à procurer un vertige existentiel comparable à celui que procurera, d'une autre manière, un disque comme « Faith ». Plus contemplative, « Another day » est une superbe description du sentiment de vide et d'envoûtement ressenti lors du réveil : « I stare at the window/Waiting for the day to go/Winter in water colors/Shades of grey ... ». Vigoureuse et aux relents presque punk, « Object » revient au tulmute des relations amoureuses, faisant figure de chanson de rupture ultime : « You're just an object in my eyes ! ». « Subway song », dernier titre de la face A du disque, est un bluffant exercice de style, à déconseiller toutefois aux cardiaques …


La seconde face s'ouvre sur une reprise assez médiocre de « Foxy Lady » de Jimmy Hendrix, sur laquelle Dempsey occupe le chant (ceci expliquant peut être cela …). Le niveau remonte heureusement immédiatement dès la morceau suivant, l'étrange « Meat Hook », où Smith oriente cette fois ses obsessions – non sans humour et sens de l'absurde – sur les crochets à viandes … « So what » pousse la bizarrerie encore plus loin, donnant à l'occasion à Smith de s'adonner au délicat exercice de la logorrhée. « Fire in Cairo », qui revient à un style plus traditionnel, est une sulfureuse chanson d'amour, à l'instrumentation aussi minimaliste et aérée que les autres morceaux, mais pourtant suffisante à soutenir les envolées lyriques brûlantes de Smith. La guitare devient immédiatement plus saturée sur « It's not you », une fois de plus centrée sur les relations amoureuses, retrouvant ainsi la vigueur d'« Object ». Le morceau final, « Three imaginary boys », peut être le sommet de l'album, quitte la terrain de l'amour pour explorer des horizons plus obscures, préfigurant l'écriture poétique qu'adoptera Smith dans les albums suivant, et se termine sur un sentiment de détresse existentiel qui ne fera que se renforcer par la suite : « Can you help me ? ».


Muni d'une identité musicale étonnamment forte pour un premier disque, « Three imaginary boys » est un premier volet exemplaire, d'une cohérence musical achevée, ayant réussi à parfaitement digérer ses influences – relevant tant de la pop que du punk – et portant déjà en son sein les germes de la coldwave, annonçant ainsi idéalement le chef-d'œuvre absolu que sera « Seventeen Seconds ». Véritable album concept – il suffit de voir comme les thématiques traitées dans les chansons se rejoignent toutes et comme le tout est d'une homogénéité musicale parfaite –, il surpasse peut être tout ce que le groupe aura pu faire après 1982 : autant dire que le premier opus des Cure, en dépit de sa réputation, tient une place de choix dans l'œuvre du groupe.

Trelkovsky-
9
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le 12 août 2014

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