Que veux-tu, lorsque tu es un musicien, il faut bien essayer des choses différentes, si tu ne veux pas ennuyer sur la longueur ta famille tes amis ta femme et tes fans, sinon "la vie ce serait d'la merde ! "comme disait remarquablement Gérard Depardieu dans un film de Bertrand Blier. C'est certes une prise de risque face à leur fan club, mais musicalement, ça tient la route.
Au casque, les arrangements sont plutôt chiadés, tout est très musical, il suffit de tendre l'oreille sur "Golden trunks". Il va falloir peut-être l'admettre, et ranger au vestiaire ses attentes et ses T-shirt des Arctic Monkeys.
D'abord écouter la musique, et débrancher comme disait France Gall. Et oui, débrancher. Je sais qu'on colle tout le temps des étiquettes à chaque groupe. Par exemple The Cure a eu du mal à faire avaler son changement de registre avec "Wild mood swings", paf recalé par des fans en manque de spleen, jugé trop joyeux, trop swing, et la liste est longue de groupes qui se retrouvent prisonniers de leurs albums. Les fans réagissent comme des enfants, leur enlève tout droit à l'autonomie et vont même jusqu'à les descendre. Comprends-tu ce n'est pas ce qu'ils veulent. Où est le respect ? Il s'agit de musique, mais on ne l'écoute pas : ce n'était pas ce qu'on attendait. Et on se met à cracher, à s'énerver, à dégueuler, à s'insurger.
Pourtant, la voix si envoûtante de Turner est bien là, peut-être encore plus crooner et gélatinée que d'habitude, certes. La section rythmique est bien là, plus séduisante, plus sensuelle et sexy, loin de l'ouverture basique de AM - mince j'ai fait une comparaison - comme quoi cela doit être en effet dur pour ceux qui connaissent ce groupe par cœur. Je compatis.
Pourtant, la fin de AM indiquait bien la direction de cet album, t'as juste pas voulu le savoir, t'as fait l'impasse, tu t'es mis aux abonnés absents, tu t'es accroché à l'espoir d'une énième resucée flamboyante et t'es bien emmerdé, tu demandes des comptes, tu cries à l'outrage, tu réclames un remboursement, même si t'as pas acheté l'album. Vois comme c'est pathétique, allez, rangeons notre bile et nos déceptions, il y a toujours la collec' des Artics quelque part, t'inquiète, cela va passer, everything shall pass comme disait le regretté Harisson. Same same, but different comme disent les Indiens des Indes.
Allonge-toi, et écoute.
"Peut-être que ta vie aussi, c'était mieux avant"
Je te garantis que tout est bien foutu, avec des contre-parties et des mélodies à tous les carrefours, j'ai même l'impression qu'à tout moment Jane Birkin pourrait sortir à moitié dénudée et que Gainsbourg ou Fantomas serait en embuscade avec cette basse Fender si typique de Melody Nelson sur American sports. Les arrangements sont travaillés avec minutie, et l'ensemble est un univers cohérent et savamment concocté. C'est un album baroque, barocco, vois-tu, comme on le faisait dans les années 60-70. On se croirait dans une musique de film d'espionnage, plus exactement dans une série télévisée un peu kitsch avec un hotel et un casino pourquoi pas, hein... Tu vois le topo ?
Tiens cela me donne envie de me faire un cocktail, là, et d'apprécier peinard la fin de notre humanité en délabrement. On sortirait des olives et des bâtonnets, on serait au bord de la piscine, Ray Ban et chemise tropicale, et on se la coulerait douce, qu'en dis-tu ?
Four out of five est simplement développée avec raffinement, sur Science Fiction, c'est carrément Amicalement vôtre qu'on retrouve puis sur Batphone, c'est barré et légèrement insane, juste ce qu'il faut.
Tiens, remets-moi un cocktail, tu veux bien...
Je dis juste qu'il a manqué un duo avec Mike Patton. Je suis certain que cela l'aurait branché, lui, cet album.
Ai-je des hallucinations car sur le dernier titre, j'ai l'impression d'entendre John Lennon...
John. John ? T'es là ?