TRINITY
7.3
TRINITY

Album de Laylow (2020)

En 2020, le DigitalMundo tend de plus en plus à pénétrer dans notre réalité et l’art viendra s’y confronter. Les techniques et les mentalités ayant évolués, il semble important, dès lors, à l’aube de cette nouvelle décennie, d’observer de quelle manière le rap, en tant que genre musical le plus populaire, va faire face à cela.

La question de la place de la technologie semble de plus en plus intéresser le monde. Le récent succès planétaire du film Parasite de Bong Joon-ho en atteste de manière frappante. Ici, le premier album studio de Laylow, Trinity, prend dès le début de cette nouvelle décennie rap le statut de premier témoignage étincelant de ces interrogations primordiales qui vont faire date et s’imposer comme jalon pour les oeuvres à venir.


La force de *Trinity* réside en ce que l’effort de Laylow permet à la fois, à l’orée de l’oeuvre complète de l’artiste, de continuer de réfléchir sur certains enjeux capitaux de notre temps mais aussi d’envisager l’avenir. Ainsi, ce disque est d’une nécessité absolue. La forme la plus répandue  de poésie au XXI° siècle est donc bien le rap, particulièrement en France où il tient une place de choix dans le paysage culturel du pays même s’il persiste quelques voix dissonantes niant la beauté ou la pertinence de ce genre. À ces gens, sans entrer dans un débat de goût, opposons la phrase de Laylow dans *VAMONOS* : « Y’a moins de mots y’a pas moins de sens .» 

La puissance d’une oeuvre comme *Trinity* tient également en ce que l’album va frapper chacun de manière différente. Ne pas imposer un point de vue définitif mais ouvrir les horizons des auditeurs apparaît alors comme à la fois une marque d’humilité de l’auteur mais témoigne également de l’impossibilité de pouvoir donner de réponses précises. Ainsi dans *Manuel d’utilisation*, titre primordial de l’album mais qui apparaît relativement tard dans la tracklsit, Trinity dit : « Tu cherches la réponse mais c’est la question qui nous guide». Posons-nous donc des questions.

Si la fascination pour la technologie ne date pas d’hier chez Laylow, *Trinity* semble toutefois être le point (d’interrogation) final de la réflexion de l’artiste. Tout dans l’univers de Laylow est imprégné par la technologie. Du nom de son label DigitalMundo en passant par les clips ou bien les covers des albums ou tout simplement l’auto tune ,tout est encré dans le digital. Cela n’empêche cependant pas Laylow de ne pas créer une opposition nette réel/virtuel car cette opposition n’a plus lieu d’être en 2020 tant le virtuel tient une place importante dans la vie quotidienne.
Dès lors, Laylow ne semble pas être le protagoniste principal de l’oeuvre qu’il compose mais il s’agit plutôt d’un duo : Trinity, un « logiciel de stimulation d’émotions » et lui-même. L’album se présente, dès lors, comme une confession du rappeur entrecoupée d’interventions du logiciel. Ces interactions sont nécessaires car créatrices de liens entre les deux protagonistes et en ce qu’elles permettent d’adopter deux points de vues différents. Ici se pose toutefois la question de la pertinence du point de vue d’un logiciel sur le monde peint par Laylow dans *Trinity*. C’est donc ici que se noue l’arc principal de l’oeuvre qui serait de questionner la place de la technologie dans la société actuelle et dans celle, fictive (?) de *Trinity*, s’il y aurait une distinction à faire.


La fiction justement semble être un moyen de récit utilisé par Laylow afin d’ancrer, finalement, son histoire, dans une sorte d’entre-deux mondes, à la charnière : « Les concepts de réalité et de virtualité sont très flous pour moi. ». Dès lors, comment envisager le monde autrement qu’une sorte de TRINITYVILLE/DIGITALMUNDO au sein duquel se mêlent donc réel et virtuel. Si ce postulat est déjà éculé, Laylow injecte alors une piste supplémentaire rarement écoutée en rap. C’est à dire la conception des relations sociales et surtout amoureuses qui pourraient, à l’avenir, se jouer entre humains et machines/logiciels. Se faisant, Laylow induit directement que la place du digital sera centrale dans la (dé)construction du sujet pensant humain. Une sorte de renversement semble alors s’opérer dans l’album dès lors que Trinity, le personnage, prend le pas sur l’humain, le rappeur. Ce renversement est d’autant plus intéressant quand dans l’outro de *Hillz* Laylow demande l’identité de « cette fille » ou bien à la fin de l’album sur *LOGICIEL TRISTE* : « Des fois, j’ai l’impression d’être un logiciel. ». Cet entremêlement pose la question essentielle de l’apparition prochaine, ou non, de la machine ou du logiciel comme prochain sujet pensant. En effet, dans le monde semi-fictif de *Trinity* le logiciel prend finalement le pas sur l’homme et même si Laylow se déconnecte du logiciel. Suite à cela il effectue une *Tentative de reconnexion* qui va échouer. Ici, le mythe d’Orphée semble être convoqué puisque le poète va sombrer à nouveau après s’être retourné, via cette tentative de reconnexion, pour rattraper Trinity, symbole ici de la quête amoureuse et de plénitude de Laylow. Néanmoins, cet échec de reconnexion semble être nécessaire afin d’affirmer le rappeur/poète en tant qu’être vivant et sensible et non en tant que logiciel informatique s(t)imulateur d’émotions.
Le rap de Laylow appelle en permanence à la destruction ou à la combustion. Si chacun de ces deux termes semblent renvoyer pour le premier à l’homme et le second à la machine ils ne sont toutefois pas ici à opposer mais bien à prendre en compte dans un système complémentaire. Dans *PIRANHA BABY* Laylow écrit : « Mon coeur peut réchauffer très vite. »

C’est à dire que comme nous l’avons vu plus haut, les questions importent plus que les réponses et que la distinction humain/machine ne peut plus être définitivement qualifiée. Cette relation ne semble toutefois être possible que dans un embrassement totale des deux entités. Trinity n’existe que parce que Laylow la nomme, la crée, la chante. Pour dresser un parallèle filmique, cela rappelle la scène de Holy Motors durant laquelle on peut voir une danse digitale sexuelle, acte intime par excellence, rapprochement et fusion des corps. Si la question de la fusion est intéressante c’est parce qu’elle permet d’envisager sous un angle différent les questions précédentes. Cela questionne la relation d’inter-dépendance entre le rappeur et Trinity et la finalité de cette relation. À cette question, Laylow donne sa réponse dans NAKRÉ : « Dans cette vie ou dans une autre c’est trop la merde. ». Comment le poète en arrive-t-il à ce constat après avoir tenté d’appréhender cette autre vie, extension de son monde ?


« Elle veut de moi dans son monde mais c’est d’jà mort, tout est cloisonné. » chante Laylow sur *POIZON*. Après avoir détruit ces cloisons et pénétré dans la *TRINITYVILLE* et le DigitalMundo le constat final est un *LOGICIEL TRISTE*. La tristesse du logiciel et du poète s’entremêlent une fois encore et clôturent l’album. La reconnexion et le retournement précédemment évoqués semblent, au vu de la structure de l’album, s’envisager en tant que cycle et non comme épisodique. En effet, l’outro du morceau *AKANIZER* : « Retour à l’état initial » suivi de la track *BURNING MAN* apparaît alors comme le coeur de l’oeuvre. Ici, les cloisons n’ont plus lieu d’être, il s’agit du poète seul, sans logiciel. Voici donc ce que l’homme est sans ce logiciel, ce qu’il fait : « Je crée puis je casse tout / J’me détruits un peu chaque jour. ». Ce caractère cyclique de l’existence et mis en oeuvre dans l’album de Laylow tend donc vers ce constat que le poète est condamné et que les relations amoureuses, réelles et virtuelles si ces termes ont un sens dans l’oeuvre, sont donc vaines et ne mèneraient qu’à la formation d’un logiciel triste. Cet éternel retour à l’état initial de combustion/destruction permet également de poser la question de la prévalence de l’expérience sur la finalité. Est-ce que cela vaut le coup ? Il semble que oui puisqu’à la suite de la tristesse un nouvelle Initialisation va se lancer.

La peinture des relations amoureuses sur *TRINITY* est également intéressante en ceci qu’elle nous éclaire sur la nature même de Trinity, le personnage. Après les échecs de Laylow relatés dans ces précédents projets la seule échappatoire est désormais un logiciel. Si Trinity semble développer des sentiments pour Laylow au cours de l’album, celle-ci était, au départ, a priori, vierge de tout sentiment. Dès lors, c’est bel et bien le rappeur qui va la façonner, la nommer, à son image. Cela se terminera par le développement de sentiments humains des deux côtés. Dans *MILLION FLOWERZ*, Laylow écrit : « Oh my, j’espère qu’t’as pas trouvé bonheur ailleurs. » puis Trinity lui répondra : « J’ai vu tes fleurs et cela ne fait aucun effet. C’est trop tard et c’est mieux comme ça. ». La finalité sera toujours la même pour Laylow, symbole humain incapable de changer, se persuadant du contraire, se dirigeant toujours vers la destruction/combustion. Les regrets et la tristesse du rappeur/poète provoqués par la déception amoureuse clôt donc l’oeuvre du Toulousain en une sentence accablante pour le présent et l’avenir.

L’album *TRINITY* de Laylow fait donc office de véritable OVNI dans le paysage rap français actuel de part sa profondeur formelle et les pistes de réflexion qu’il apporte. Si celles-ci peuvent-être déjà évoquées ailleurs, il s’agit ici d’une itération ultra-moderne et véritablement unique dans le rap français. Le brassage des questionnements sur l’avènement du DigitalMundo, de l’identitité à l’aune de la future présence de relations davantage complexes entre hommes et machines/logiciels, le témoignage de Laylow réjouit tant il est important, qu’en 2020, l’art populaire soit encore capable de questionner les grands enjeux du monde contemporain et se les approprier. L’oeuvre de Laylow fourmille de pistes de réflexion, d’ouvertures, d’envolées toute délivrées dans une complète sincérité et qui fera date, espérons-le, dans le monde du rap. Un album comme celui-ci, d’une intelligence rare et témoignant avec une telle véracité, un tel engagement, une telle audace et une telle sincérité est une aubaine pour la musique française et la poésie contemporaine. Merci à lui.
aaxl
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le 8 mars 2020

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