Je les entends d’ici les fans de la première heure, ennoblis qu’ils sont par leurs goûts avant-gardistes aujourd’hui devenus mainstream, revendiquant la primauté de ce statut de fan. Ce sont les mêmes que vous verrez dire ça et là, sur quelque site musical élitiste, que les Black Keys sont des vendus au seul motif qu’ils se sont essayés à une musique plus accessible.
« Au début, tu ne cherches ni ton succès, ni ton flouze / Et puis un jour tu mets un peu plus d'électro dans ton blues », dirait Rocé. Si la formule est excellente, je ne crois pas qu’elle s’applique ici. Il n’y a rien de vulgaire dans la reconnaissance. Il n’y a pas nécessairement à faire de choix entre être aimé et être sincère. Il est vrai pourtant que le succès d’un artiste est toujours accompagné d’une once de soupçon - et plus encore s’il est soudain. Or on parle là d’un groupe qui se paye le luxe d’inviter Arctic Monkeys en première partie de sa tournée nord-américaine. Pas un truc de pédé du cul.
Turn Blue est dans la continuité du précédent El Camino. A ce détail près qu’il perd en puissance ce qu’il gagne en mélancolie. Et que fait-on quand on est pris de mélancolie ? Ben on fout du piano. Le pauvre Dan Auerbach, il a eu tellement de mal à se remettre d’une rupture qu’il en a fait un album. Ça pour le coup, ça fait un peu pédé du cul. On comprend bien le désarroi des amateurs du son des Black Keys, jadis brut, presque brutal, face à ce choix. En fait, les fans demandent l’impossible quand ils demandent à un artiste de rester lui-même : son rôle est précisément de découvrir, d’explorer. De chercher, en somme. Et tant qu’on cherche, on n’est pas à même d’être soi. On n’a jamais fini de devenir soi-même.
Qu’on ne s’y méprenne pas ; cet album est en tous points un album des Black Keys. Ils n’ont d’ailleurs pas tout à fait abandonné leur style d’origine et ont gardé un goût prononcé pour les solos de guitare. Ils nous le disent dès l’ouverture de l’album, avec ce Weight of Love remarquable. Et si l’album n’est pas aussi sale que les premiers, il pue quand même encore les States et m’a rappelé une fois de plus que ce pays, quoi qu’on pense de ses excès, jouit d’une scène musicale d’une diversité et d’une qualité assez folles