Être l'unique MC d'un groupe qui se revendique «Klub», ça pue la tristesse. Et, à l'instar de ses interludes téléphoniques, on peut dire que cet album intitulé ironiquement Vive la vie fait un peu pitié. Bien qu'il soit accompagné de DJ Orgasmic, Fuzati est aussi seul dans la vie que dans le milieu musical, où il demeure encore aujourd'hui un rappeur à part, bien loin de ce que le hip-hop a toujours proposé. Le rappeur versaillais est vite devenu un pilier de la scène rap alternative grâce à ses textes personnels, marqués d'un mal-être profond, qui sont cependant tournés avec autodérision et cynisme. Textes notamment mis en valeur par son «anti-flow» si caractéristique.
C’est comme quand les gens me cassent les couilles sur mon flow. Je ne vais pas raconter les trucs que je raconte, qui sont assez tristes, avec un flow hyper speed à la Busta Rhymes. La technique doit toujours être au service du sens.
Autant avec ses textes qu'avec son flow, Fuzati dérange. Et c'est ça qui fait de lui un grand artiste. Avec les premières pistes Le Manège des Vanités et Dead Hip-Hop, on a un homme masqué arrogant qui s'exprime en dénigrant les gens et le milieu musicale aussi violemment que le quotidien lui a fait violence. Il rejette «l'autre» comme «l'autre» l'avait toujours fait auparavant à son égard.
Dans la vraie vie je ne suis pas non plus un mec hyper sympa. Je n’aime pas trop les gens, j’ai cinq potes, j’aime les disques, les bouquins. Je me fais chier dans un dîner, je passe un meilleur moment tout seul avec un pack.
C'est d'ailleurs après ces morceaux qu'il nous parle pour le reste de l'album de sa condition misérable et de sa solitude, traités tantôt de façon accablante (Avec les larmes, Un peu seul, Pas stable), tantôt de façon cynique (Sous le signe du V, Poussière d'enfant). Cependant, contrairement à ce qu'on pourrait attendre, Fuzati ne sombre jamais dans le misérabilisme, il nous emmerde tous et ne veut pas de notre pitié. C'est pourquoi au milieu de tout ça il nous lâche des morceaux défouloirs comme Baise les Gens ou De l'amour à la haine, qui sonnent comme un gros fuck avant son chef d’œuvre funeste Perspectives, un regard de haine envers le monde qui le poussa à l'autodestruction.
Aussi pessimiste que réaliste, le versaillais va jusqu'au bout du concept en allant chaque fois à l'extrême en y mettant toutes ses tripes, de la haine à la mélancolie.
La haine qu’il y a dans mes textes, tu ne peux pas l’inventer. C’est moi poussé à l’extrême, je ne pourrais pas être comme ça toute la journée, et c’est pour ça qu’il y a le masque, pour prendre un recul. Après, il n’y a pas de prosélytisme, je veux juste amener les gens à réfléchir sur des sujets un peu tabous.
Tabous sont les sujets et d'une façon bien dure ils sont traités. Au point qu'il peut être difficile d'adhérer à un tel propos sans second degré ou un certain recul. Cependant, c'est bien avec un réel premier degré qu'il brûle les illusions, et il s'en fout. Le recul est donc obligatoire pour plonger et rentrer comme il se doit dans l'univers Klub des Loosers.
Derrière ce masque qui crache sa triste haine, c'est tout de même un gamin qui s'y cache. Un gamin mélomane écrivant à la punchline sur des boucles aux inspirations Jazz, style de musique qui l'accompagne dans la vie de tous les jours. Un gamin à la plume affûtée qui se moque peut-être un peu trop de la musicalité de son texte pour tout miser sur la pertinence et la voracité de ses phases. Il se sert de rimes suffisantes afin de ne jamais faire de lignes forcées pour la rime, ne jamais dériver de son propos. Pas d'importance à une phrase qui n'apporte pas de pierre à ce magnifique édifice. Il écrit pour se libérer, se confier en se concentrant uniquement sur ce qu'il a au cœur, au point que ça peut sembler parfois de trop, trop loin, quitte à être ridicule.
Un jour où ça n'ira pas, j'irai m'acheter un chat
Il sera blanc, je l'appellerai "Ma-chérie-les-enfants"
Comme ça comme tout le monde, le soir en rentrant chez moi
Je pourrai dire : "Ma-chérie-les-enfants, je suis là !"
De multiples phases du genre sont dispersées, et cet aspect grotesque ne cache qu'une détresse plus forte, gênante au point de sincèrement émouvoir. Il n'a plus de pudeur, plus honte de rien, et il assume. Il assume, se moque de nous, et nous pisse à la gueule. C'est «nous» qui l'avons créé. Ceux qui ont participé morflent, surtout ces moutons naïfs sans personnalité et les femmes représentées par Anne-Charlotte lors des interludes. Il n'est pas prêt d'arrêter de cracher sa haine et va toujours aussi loin dans le ridicule, comme le montre son morceau culte De l'amour à la haine qui ne joue sans cesse de cet excès.
L'amour ne m'a pas rendu aveugle mais seulement très myope
Toi, apparemment très peu presbyte mais surtout très casse-couilles
À tout ce que je t'ai proposé tu disais toujours non, N.O.N
J'ai pris le «N» et le «O»
Les ai inversé afin de les coller sur cet interrupteur
Supposé allumer notre passion : il ne marche pas
Alors avec le «N» restant je suis parti avec en vacance au Brésil, j'ai bronzé
Le «N» voulait changer de sexe, je l'ai fait opérer, puis l'ai avalé
Donc à mon retour ne t’étonnes pas si je porte la «N» en moi
Tu vois, de l'amour à la haine il n'y a qu'un pas !
Toujours plus extrême, le génie de Vive la Vie se ressent de plus en plus avec les écoutes, car du temps est nécessaire pour comprendre les subtilités de sa froide écriture, mais surtout pour adhérer à ce propos détestable d'enfoiré geignard. En fait, le Klub des Loosers est un énième exemple que d'un certain sens le moche peut être beau. Et que du ridicule à la merveille il n'y a qu'un pas.