C'est à croire que c'était un passage obligatoire ! C'est vrai que vers 1975, beaucoup de nos artistes favoris se sont attaqués à ce genre exigeant qu'est la soul. En effet, on peut compter Elton John (avec l'intéressant Captain Fantastic & The Brown Dirt Cow-Boy, et son single "Philadelphia Freedom"), Marc Bolan de T-Rex au fil de différents 45tours, Rod Stewart (Atlantic Crossing) et également l'homme dont nous allons parler aujourd'hui, déjà vu et revu ici, David Bowie. Nous allons parler de Young Americans, son neuvième album studio sorti en mars 1975 chez RCA.
Après avoir sacrifié Ziggy et ses Spiders from Mars, Bowie reste pour autant très occupé. Il enregistre Pin-Ups, un album de reprises, au Château d'Hérouville, Diamond Dogs à Londres et en Hollande, et se prépare à retourner aux Etats-Unis, terre qui l'a toujours fasciné. Il y est déjà passé, avec les Spiders en 1972, passage illustré par l'excellent live à Santa Monica, et y a pour ainsi dire enregistré Aladdin Sane (dont il déclarait d'ailleurs qu'il était le "cousin américain" de Ziggy Stardust). Il retourne aux States pour tourner, et promouvoir Diamond Dogs, fusion mi-glam mi-soul/funk, très plaisante. La tournée est prévue théâtrale, avec de grands décors représentant Hunger City, des danceurs, et les musiciens cachés derrière un rideau.
Mais d'abord, il se détend à New York, où il assiste à pas mal de concerts, accompagné par sa maîtresse Ava Cherry. Il appronfondit ainsi son amour de la soul et du funk, genre qu'il a toujours beaucoup affectionné. La tournée "The Year Of The Diamond Dogs" démarre à Toronto, et déjà on remarque que Ziggy est parti pour de bon. Le glam énergique des Spiders est remisé, au profit d'une musique plus cuivrée, agrementée de hautbois et de flûtes.
Aussi, l'apparence de Bowie a bien changé, il arbore à présent des cheveux courts et teints en orange, porte un élégant deux pièce et un pantalon taille haute en tissu léger. Il est également émacié, très mince et pâle, cela dû à sa consommation croissante de cocaïne, ce qui fera que Nicholas Roeg, après avoir vu Cracked Actor, le documentaire consacré à cette tournée, le contactera pour incarner Thomas Jerome Newton dans The Man Who Fell To Earth.
C'est aussi durant cette tournée qu'il découvre la véritable nature de l'arrangement qui le lie à Tony Defries, se faisant en réalité bien escroquer par son manager et touchant une part minime de ce qui lui est dû en tant qu'artiste. Cela crée une réelle défiance entre les deux hommes, et Young Americans sera d'ailleurs le dernier album studio de Bowie réalisé pour Mainman, la société de Defries.
Durant les pauses du Diamond Dogs Tour, il se rend à Philadelphie, la terre du Sigma Sound, pour tenter de réaliser un album pour sa girlfriend Ava Cherry, mais les séances vireront rapidement vers l'élaboration de son prochain album, titre de travail: The Gouster.
Il fait appel à de tout nouveaux musiciens, dont le portoricain Carlos Alomar, qui deviendra son guitariste rythmique et son directeur musical durant des années, jouant sur beaucoup de ses plus grands disques, ou Luther Vandross, encore inconnu. Bowie fait aussi appel à des choristes, dont font partie Ava Cherry et Robin Clark, qui est l'épouse de Carlos Alomar. Il convoque néanmoins quelques comparses de la tournée, comme le saxophoniste David Sanborn ou le claviériste Mike Garson. Le tout est produit par Tony Visconti, fidèle au poste, avec l'assistance d'Harry Maslin sur quelques titres.
Car vous l'aurez compris, cet album est pure écrin de soul funky, c'est très simple il n'y a que ça, mais cela n'empêchant tout de même pas une belle diversité. De la douceur assomante de chaleur de "Win" à la sueur des clubs de "Fascination", en passant par le poète soul blanc de "Can You Hear Me", Bowie passe par tous les états. Sa voix est ici particulière, âbimée, éraillée par ses excès (elle redeviendra normale dès l'album suivant, Station To Station). Il s'essaye également au protest song, en la personne de la chanson-titre, portrait des Etats-Unis post- Nixon et post-Vietnam, les désillusions de la jeunesse... Une très bonne analyse de cette chanson est présente dans l'ouvrage David Bowie, l'Enchanteur, sorti en 2021 chez GM Editions, donc je vous invite à vous y référer si vous voulez plus d'informations sur cette chanson.
Enfin, comment parler de Young Americans sans parler de John Lennon ? Lui et Bowie se sont connus à une fête à Los Angeles, durant le Lost Week-End de Lennon, lorsqu'ayant temporairement quitté Yoko il vivait avec May Pang (qui deviendra d'ailleurs l'épouse de Tony Visconti!). En passage à New York, il occupe le studio voisin à celui de l'ex-Beatles, entrain de réaliser le piètre Rock'N'Roll. Ils se retrouvent pour jammer, et de ce boeuf inopiné naissent la reprise (assez moyenne) d'"Across The Universe" par David Bowie, mais surtout "Fame", premier tube du caméléon du rock aux Etats-Unis, chanson sur la face cachée de la célébrité, chose qu'ont pu vivre Bowie comme Lennon. C'est une véritable réussite funky et haletante, basée sur un excellent riff d'Alomar, d'ailleurs co-crédité avec les deux compères évoqué auparavant.
Sorti sous sa kitchissime pochette, signée Eric Stevens Jacob (pour l'ancdote Bowie avait prévu de faire appel au peintre Norman Rockwell, mais voyant la durée nécessaire à la réalisation du portrait, de six mois, il s'était rétracté), Young Americans eu grand succès en Amérique, via le LP et ses différents singles, moins en Europe, qui adhérera moins au virage soul de Bowie. Cependant, l'artiste se détachera lui même très vite de l'album, cela dû à ses démêlés judiciaires avec Tony Defries, l'épuisant psychologiquement. Il le dénigrera en interview, utilisant même l'expression "plastic soul" pour parler du son de l'album. Il ne défendra pas son cru en public, enfin pas après sa sortie. En effet, il faut savoir que le second segment de la tournée Diamond Dogs a pris un virage beaucoup plus soul, abandonnant les grands décors et le glam, définitivement. Cette période inconnue mais pourtant intéressante est illustrée par les deux lives posthumes Cracked Actor de 2017 et John I'm Only Dancing de 2020.
Au fond, il faut considérer Young Americans comme un exercice de style, comme d'autres venant plus tard dans la carrière de Bowie, comme 1.Outside ou le tragique Blackstar. Il s'attaque ici à un genre, qu'il manipulera ensuite à sa guise, dans l'excellent Station To Station, comme nous l'avons déjà vu. Certes, il est certain que Young Americans est un cru secondaire de David Bowie, cependant il reste très séduisant dans la forme comme dans le fond, écoutez "Win", et vous verrez ...
Young Americans, incartade soul pour les prémices du Thin White Duke.
Lien vers ma chronique de Station To Station
https://www.senscritique.com/album/Station_to_Station/critique/249374503
"Win"
https://youtu.be/mB9RSG-56wU
"Fame"
https://youtu.be/Ypgq0qdgVZA
Young Americans, full album