L’année 2013 marque les 75 ans de l’apparition d’un personnage emblématique de la bande dessinée franco-belge, "Spirou". Si Franquin et ses successeurs sont bien connus, les deux premiers dessinateurs du petit groom, Rob-Vel et Jijé, le sont moins, en partie à cause de leur ancienneté et parce que c’est bien Franquin, avec son talent et sa nouvelle galerie de personnages (le Marsupilami, le comte de Champignac, le savant Zorglub, la jolie Seccotine et bien d’autres) qui a vraiment fait décoller la série. Cet anniversaire est donc l’occasion de rendre justice à deux pionniers, le dessinateur français Robert Velter, dit Rob-Vel, et l’imprimeur et éditeur belge Jean Dupuis, vrais pères de Spirou.
Le volumineux album, agrémenté d’une préface consistante de Christelle et Bertrand Pissavy-Yvernault, comprend l’ensemble des planches publiées entre 1938 et 1943 dans le journal "Spirou", lancé par la maison Dupuis. Le nom de Spirou est un terme wallon signifiant “écureuil” et évoquant par analogie un enfant dégourdi et espiègle. D’abord imaginé comme un écolier, un crieur de journaux ou encore un garçon de café, c’est finalement sous les traits d’un groom que le jeune héros apparaîtra, Rob-Vel ayant lui-même travaillé comme chef de rang dans un hôtel et sur des paquebots où officiaient de nombreux garçons en livrée. Conçu dans un esprit catholique et humaniste, la série est truffée d’allusions à des références typiquement belges tout en adoptant dans les premiers temps un style graphique encore très marqué par celui des BD américaines (ce trait tout en rondeur qu’on trouve également dans les premiers dessins de Morris), Rob-Vel ayant été formé à New-York auprès de Martin Branner, grand maître de la bande dessinée US.
Assisté de son épouse Blanche (qui écrit les scénarios) et du peintre montmartrois Luc Lafret, Rob-Vel nous plonge dans des aventures farfelues dont le récit semble improvisé au fur et à mesure des parutions. Spirou nous emmène tantôt dans les colonies d’Afrique au pays du “singe bleu” tantôt dans un centre sous-marin hanté par un savant fou et d’anciennes divinités égyptiennes ou sur la planète Zigomus peuplée de gnomes hirsutes. Un esprit de fantaisie à l’état pur, délicieusement désuet, sans vraie contrainte scénaristique. Une première réédition de ces planches avait vu le jour en 1975 mais uniquement en noir-et-blanc et dans un tirage limité ; cette nouvelle édition comble donc un vide et nous ramène aux origines d’un des grands classiques du XXème siècle.