Ce tome comprend une histoire complète assez indépendante de la continuité, initialement parue en 2013, sous la forme d'un album de format européen (un peu plus petit), sans prépublication mensuelle. Le scénario est de Warren Ellis, les dessins et l'encrage de Mike McKone, la mise en couleurs de Jason Keith (avec l'aide de Rain Beredo). L'édition VO comprend une introduction de 2 pages rédigée par Clark Gregg (l'acteur incarnant l'agent Coulson de l'agence de contrespionnage SHIELD, dans le film Avengers, 2012), dépourvue de tout intérêt.
Le pays Slorenia (pays fictif proche du Turkménistan et de l'Afghanistan) est en guerre. Au cours d'une escarmouche urbaine, 2 combattants abattent un drone américain au bazooka. Ces images font le tour du monde ; elles comprennent un gros plan sur une partie du drone permettant d'identifier le fabriquant de cet équipement. Lorsque Steve Rogers voit ces images à la télévision dans la Tour des Avengers, cette technologie lui évoque le souvenir d'une mission menée en 1944, en Islande. Pour lui l'existence de ce drone constitue une survivance d'un passé douloureux et une menace bien réelle pour la paix mondiale. Il estime que cela justifie l'intervention des Avengers. L'équipe se compose de lui-même (Captain America), Captain Marvel (Carol Danvers, version Down), Wolverine, Thor, Iron Man, Black Widow et Hawkeye.
En 2013, Warren Ellis n'écrit quasiment plus de comics, se consacrant plutôt à l'écriture de romans (Gun Machine). Son dernier comics en date était déjà consacré aux Avengers, 6 histoires courtes en 1 épisode regroupées dans Run the mission, don't get seen, save the world. L'annonce d'un nouveau comics d'Ellis constitue donc déjà un événement. Dans des interviews, il explique que ce projet l'a attiré parce qu'il lui donnait l'occasion d'écrire un scénario libéré des contraintes d'une structure narrative découpée en épisode mensuel de 20 pages.
Le lecteur découvre une histoire présentant plusieurs particularités. Pour commencer, Ellis effectue un effort important pour donner une personnalité à plusieurs superhéros. Celui qui en ressort le plus incarné est certainement Steve Rogers, Ellis réussissant à rendre palpable le fait qu'il s'agit d'un individu transplanté d'une époque révolue (fin de la seconde guerre mondiale) au temps présent. Black Widow a droit à une réplique bien sentie sur la tendance des mâles à s'enfermer dans un rôle. Pour le reste, les autres membres se conduisent comme des adultes, ce qui implique que le lecteur reste simple spectateur de leur comportement, sans accès privilégié à leur personnalité. Cette approche est à double tranchant. Hawkeye est un tireur d'élite, mais avec une personnalité unidimensionnelle de bouffon. Tony Stark est un inventeur de génie (pas un détective, comme il le répète à plusieurs reprises), assujetti au bon fonctionnement de son armure. Lorsque celle-ci est défaillante (à 2 reprises au cours du récit), il en est réduit à la figuration. Thor en impose par sa présence, son phrasé un peu distant, devenant un personnage au caractère et à la psychologie inaccessible. Logan est très en retrait tout au long du récit, accomplissant ses basses besognes (exécutions sommaires) hors case. Avec ces personnages, Warren Ellis joue à un jeu étrange, où les plus courageux, mais aussi les plus ingénieux (et donc les plus intéressants) sont les individus sans superpouvoirs, les autres faisant plus de la figuration qu'autre chose.
Pour ce qui est de l'intrigue, Warren Ellis conçoit une menace qui mêle un résidu de la seconde guerre mondiale (une technologie d'anticipation de l'époque, soit une forme légère de rétrofuturisme), et un morceau de mythologie nordique, pour déboucher sur un concept d'arme malin et innovant. S'il n'est pas le premier à avoir l'idée de mêler nazisme et mythologie, il le raconte à sa manière toujours aussi efficace dans son pragmatisme et l'intelligence de sa vision et de sa conception.
Effectivement, Ellis a construit son récit sur une structure ne reposant pas sur des chapitres de 20 pages. Néanmoins le lecteur retrouve sa marque de fabrique : des séquences d'action presque dépourvues de texte, et des scènes d'exposition copieuses. Pour ces dernières, les personnages discutent entre eux échangeant des informations, avec de rares réparties émotionnelles, tout en restant immobiles. Ellis emploie régulièrement, dans ses comics, cette technique consistant à instaurer un fort contraste entre des séquences de dialogues plutôt statiques, et des séquences d'action portées uniquement par les images. Pour que ce mode de narration porte ses fruits, il faut que le dessinateur soit à la hauteur.
On peut soupçonner que le choix de Mike McKone par les responsables éditoriaux ait été dicté avant tout par sa capacité à respecter un délai, plutôt que pour ses qualités artistiques. Les 4 premières pages donnent le change avec un spectacle de guérilla urbaine, où la mise en couleurs renforce une ambiance de destruction dans des rues ravagées par les explosions. On peut juste regretter que les 2 personnages aient des visages assez lisses. La séquence suivante montre Steve Rogers en train de faire des pompes sur le toit de la Tour des Avengers, puis aller discuter avec Jarvis (le majordome des Avengers) pendant que ce dernier lui prépare un café. Le charme est rompu de suite, avec un visage à nouveau lisse, aux expressions factices, un paysage de gratte-ciels lisses et implantés sans notion d'urbanisme, des pièces intérieures disposant de volumes défiant l'entendement, et d'un ameublement et d'une décoration représentés de manière simplifiée, sans texture, avec une mise en scène indigente. Par rapport à ses travaux antérieurs, McKone s'est appliqué, mais son approche graphique manque de nuances et d'impact. Les scènes de dialogue (par nature difficiles à rendre intéressantes visuellement) sont plates, la variété provenant uniquement des différences d'angle de vue, les visages n'expriment que des sentiments basiques, ou rien du tout, les arrières plans sont dépourvus de tout intérêt (le pire étant une discussion dans le vaisseau de Avengers où toutes les surfaces vitrées sont coloriées en un dégradé rouge-violet, sans signification ni concrète ni abstraite. Les scènes de combats sont représentées avec la même approche de comics de superhéros de base, plus descriptives que spectaculaires, les superhéros étant parfois figés dans une posture rigide (en particulier Iron Man). Le plus inutile est atteint vers la fin lors de 2 pages muettes quand Hulk se déchaîne pour une pleine page et 3 cases ridicules de simplisme. À y regarder de plus près, le lecteur a parfois l'impression de souffrir de schizophrénie entre ce que raconte le scénario et la manière dont s'est représenté. Il est évident que McKone s'est inspiré des films Iron Man pour la manière dont Stark enlève son armure, mais pas pour le visage de Stark. Or Warren Ellis affine la personnalité de Tony Stark pour lui donner un caractère différent de celui de Robert Downey junior. À contrario le costume de Thor est relativement complexe créant un décalage trop important avec celui des autres Avengers, sans pour autant en imposer par sa majesté. Visuellement, Thor apparaît comme une pièce rajoutée du début jusqu'à la fin, sans être intégré au reste. Enfin la conception graphique du drone intelligent reste très superficielle et peu impressionnante. Les dessins de McKone auraient été d'un bon niveau dans le contexte d'un comics mensuel. Dans le cadre de ce projet prestigieux, ils apparaissent trop appliqués, et pas assez adultes, incapables de porter leur part de la narration. Il est vrai que les scénarios d'Ellis exigent une forte personnalité de la part du dessinateur, à la fois pour rendre intéressantes les séquences de dialogue, et pour sortir des sentiers battus pour les séquences de combats où il ne peut pas s'appuyer sur des textes.
À l'évidence, avec ce tome, Marvel souhaite emboîter le pas à DC Comics en proposant des produits pouvant être vendus dans les librairies généralistes (et pas seulement dans les magasins spécialisés de comics) et toucher un public plus large (pourquoi pas les spectateurs des films Marvel), comme l'a fait DC avec sa collection "Earth one" (par exemple Batman earth one). Le résultat n'est guère convaincant, tiraillé entre des allusions visuelles aux films, des dessins manquant d'inspiration et un scénario intriguant, mais des personnages peu attachants. Il subsiste des moments et des idées intéressantes, entre la personnalité de Steve Rogers, l'influence indirecte de l'armée sur les Avengers (au vu du nombre de membres ayant fait partie de l'armée), et cette alliance de technologie rétrofuturiste et d'éléments mythologiques. Le tome suivant dans la collection est consacré à Spider-Man, écrit par Mark Waid et James Robinson, et illustré par Gabriele Dell'Otto : Family business.