Il y a une légère appréhension à l’ouverture de l’ouvrage, la peur de se replonger dans le trauma, de ne pas être assez solide pour encaisser le témoignage, la proximité. Catharsis, ce sont les retrouvailles, intimes, d’un artiste avec l’art qui lui échappe. Le point de rupture a touché la France entière, mais Luz y était. Luz y a perdu plus que des amis. Pourtant son sourire a continué de partager l’espoir. Alors oui, il y a une légère appréhension, mais il y a surtout la curiosité et l’envie, pressante, de partager cet espoir. Il y a beaucoup de choses, beaucoup d’attentes incertaines, imprécises. Avant la lecture.
Alors on ouvre le volume, on tourne les pages, on plonge, hypnotisé, dans les tremblements chaotiques de ce dessin foutraque, propulsé d’urgence et de nécessité. Un dessin impérieux qui n’exprime que l’évidence à se vider. Entre le sang et les cauchemars, entre la foule des anonymes compatissants et le dévouement formel des gardes du corps, Luz couche de courts moments d’un quotidien bouleversé par l’attentat, la vie à jamais changée d’un homme qui ne peut plus être celui qu’il était : entre dissociation du corps et de l’esprit, dislocation interne, c’est la désorientation, la perte de repère qui enferme l’homme à l’intérieur de lui-même, et l’auteur survivant se laisse alors porter par les mécanismes inconscients de l’âme pour s’extraire quelques instants éphémères du trauma, tenter tant bien que mal de se sentir vivant. Ici, l’importance de l’amour est capitale parce qu’il n’arrive plus à apprécier les plaisirs simples de la vie : l’enfant en lui n’ose même plus regarder les nuages de peur des ombres qui s’y déplacent. Alors oui l’amour. Sauvage corps à corps, tendre refuge, l’amour qui éteint les flammes infernales de la colère et de l’incompréhension, l’amour qui vide la tête.
Catharsis est un morceau d’intimité volé. Il est aisé de comprendre alors ce qui a relevé l’auteur après l’horreur, partiellement certes mais suffisamment pour qu’il retrouve le chemin du sourire. Malgré les méandres gribouillés, malgré l’angoisse et le silence des morts, Luz a trouvé dans l’amour une porte de sortie, un appui pour se redresser, envisager de nouveau l’avenir. Alors Catharsis devient un cadeau pour le lecteur.
Le témoignage simple de ce qui ravage le cœur des hommes autant que de ce qui le gonfle.
Matthieu Marsan-Bacheré