Entamer la lecture de « D’or et d’oreillers » équivaut un peu à franchir le fameux miroir d’Alice. D’abord, il y a cette très jolie couverture mise en valeur par la technique d’impression à l’or (logique) du titre, un travail éditorial soigné très en phase avec le contenu empreint d’une fine poésie. Parce que cet album est une véritable gâterie d’un point de vue graphique, parvenant d’emblée à envelopper le lecteur comme le ferait un drapé de soie, et c’est bien cette sensation qui nous accompagnera sans discontinuer au fil des pages. Le travail sur le dessin est tout à fait remarquable, sur ce plan, il est rare qu’une œuvre de bande dessinée procure une telle extase. Il y a la grâce et la sensualité du trait, la diversité dans la palette de couleurs, agencées avec un goût incomparable, le tout étayé par une mise en page variée, avec nombre de pleines pages se laissant admirer avec bonheur. Mayalen Goust montre ici toute l’étendue de son talent, bien plus que n’auraient pu les faire ses précédentes productions, qui pourtant livraient déjà un bon aperçu de son potentiel artistique. « D’or et d’oreillers » est dans la parfaite lignée d’une autre parution sortie il y a trois ans, « Le Jardin – Paris » de Gaëlle Geniller, qui produisait également un effet très similaire.
Pour illustrer ce récit se déroulant dans le cadre de l’Angleterre victorienne, l’autrice mêle avec brio et délicatesse un style un peu gothique à un art nouveau revisité, ce dernier étant incontestablement le mouvement artistique le plus sensuel de l’Histoire européenne. Ainsi, une telle approche est tout à fait appropriée pour narrer cette histoire d’amour impossible entre un jeune lord reclus dans son immense château et une « roturière », la néanmoins belle et mystérieuse Sadima.
La fascination de l’objet se trouve renforcée par le choix du genre, le conte. Le récit de Flora Vesco, dont s’est inspiré Mayalen Goust, respecte les fondamentaux avec tout ce qu’il faut de noirceur nécessaire. Avec moult références aux grands classiques : « Cendrillon », « La Belle et la Bête », « La Princesse et le Petit Pois », « Alice au pays des merveilles » (avec ici un lapin qui va mal finir) … Et c’est bien la magie du conte qui permet de métaphoriser cette relation toxique et fusionnelle entre une mère diabolique et son fils pris au piège de sa folie possessive, repoussoir inébranlable pour toutes les potentielles épouses. Autour d’un axe narratif linéaire viennent s’enrouler des digressions très oniriques mais complémentaires. La seule chose que l’on pourrait regretter est que la tension liée à la folie inhérente à l’histoire, cette tension caractéristique des contes qui fait que l’on adore sentir ses cheveux se dresser sur la tête, apparaît quelque peu diluée par l’écrin graphique dans son extravagance poétique.
Malgré ce très léger bémol, « D’or et d’oreillers » demeure une belle réussite, offrant à nos yeux ébahis un très bel univers pour enchanter nos âmes de ses chatoiements. On sera presque surpris de voir que l’ouvrage n’ait pas été publié dans le cadre de la collection Métamorphose, cette dernière ayant réussi à se distinguer en faisant de la féérie sa ligne éditoriale. Ce livre ressortira très certainement comme un des musts de l’année, prouvant par la même occasion, et on ne pourra que s’en réjouir, la place croissante et légitime occupée par les femmes dans la bande dessinée.