Elle s’appelait Tomoji Uchida, la femme à l’origine d’un temple dans lequel se rendait depuis longtemps l’épouse de Taniguchi. On lui proposa de mettre en bande-dessinée la genèse du temple, l’auteur choisit une autre voie.
Une bande-dessinée qui offre le récit d’une petite fille des années 1910-20 au Japon. Une vie difficile, mais qui résonne avec les histoires de jeunesses de nos parents ou grands-parents. Sur le fond je n’ai pas grand-chose à dire sinon souligner que toutes les difficultés vécues par Tomoji sont surtout là pour nous rappeler ce qu’est l’humain. Que toutes les expériences permettent de construire ce que devient une personne.
Et sur la forme, nous retrouvons la maîtrise de Taniguchi. Je ne redévelopperai pas ici ce que j’ai écrit dans ma critique de l’homme qui marche et qui pourrait être repris au mot près. Alors, je soulignerai simplement la douceur avec laquelle l’auteur nous montre Tomoji grandir et vivre. Il nous montre ses émotions et nous explique sa vie, le tout, toujours avec un réalisme qui puise sa source dans la mesure, dans la délicatesse du trait, dans l’expression des personnages. Un regard qui dit tout, une expression qui expose plus de sentiments qu’un discours. Le dessin permet ainsi l’économie de texte. En prenant le temps, Taniguchi nous permet une véritable et sincère empathie avec son personnage. Il faut lire l’ouvrage en prenant le temps de tout voir.
Prenons l’exemple du premier chapitre, en page 5, on voit Tomoji s’émerveiller sur la beauté de la nature qui l’entoure, avec en fond des montagnes. Deux pages plus loin, c’est Fumiaki qui, devant un paysage semblable, ressent des émotions semblables. On peut y voir également la surprise de la découverte dans la première case de cette page. La composition de ces deux pages est d’ailleurs très similaire, et annonciatrice du rapprochement inéluctable des deux personnages. Je passe quelques pages et à la 21e, alors que Fumiaki repart, passant dernière un bosquet, il regarde un oiseau voler. Tomoji, ramenant la vache regarde aussi cet oiseau, mais passe de l’autre côté du bosquet. On tourne la page, on voit de dessus la scène des personnages séparés par la nature. Puis Tomoji regarde vers le sol (la vache dans la composition, mais la terre qui l’a vu naître du point de vu symbolique). Enfin, elle se retourne et aperçoit le jeune homme s’éloigner (vers la page suivante, vers le futur). Ici, tout nous montre le rapprochement inévitable des personnages, mais aussi que cela ne se fera pas tout de suite, il faudra encore quelques épreuves pour les voir se rapprocher. Le fait que les chapitres suivants raconteront aussi les années précédent ce moment, tend également à nous faire comprendre la distance qui les sépare de leur réunion annoncée.
J’ai vu des critiques portant sur le fait que ce manga soit une commande, mais à part la toute dernière page, rien ne l’évoque. Sans l’entretien en fin d’ouvrage, recueillis par Thomas Hantson je serais passé à côté de ce fait. Taniguchi n’a pris cette commande que comme prétexte. Il s’est totalement approprié l’histoire et ce qu’il nous montre est sa vision romancée de la jeunesse du personnage principal. Ce qui est important, c’est ce qu’il raconte et surtout comment il le fait. Et je suis, encore une fois, forcé de constater que le travail de Taniguchi est d’une immense beauté, pas simplement le dessin, mais surtout l’humain qui transparaît dans chacun de ses coups de crayons.
Taniguchi est le génie de l’expression des sentiments dans le style réaliste et il incite le lecteur à s’approprier l’œuvre, à la vivre.