Ce tome est le premier d'une série indépendante de toute autre. Il comprend les épisodes 1 à 8, initialement parus en 2014, écrits par Warren Ellis, dessinés, encrés et mis en couleurs par Jason Howard. Les épisodes s'enchaînent à la suite, sans séparation par les couvertures des épisodes, comme un récit continu.
L'histoire commence 10 ans après que les extraterrestres aient atterri et se soient implantés sur Terre. Ils sont venus sans vaisseaux spatiaux rutilants. Ils ont majoritairement une forme cylindrique de plusieurs dizaines de mètres de de haut et ils semblent s'être agrippés dans le sol, ce qui leur a valu le nom d'Arbre. La première scène se passe à Rio de Janeiro, alors qu'un groupe de jeunes fuit devant la police disposant de drones terrestres et aériens. Ils sont stoppés avec le maximum de violence, et le minimum d'égards, et l'Arbre implanté dans le quartier commence à rejeter des déchets sous forme d'un fluide vert rongeant tout ce qu'il touche. À New York, Del (candidat au poste de maire) regarde les informations relatives à Rio de Janeiro, en discutant avec son conseiller Vince. En bas de l'immeuble, un canot à moteur emmène ses passagers dans les rues submergées suite à l'implantation d'un arbre.
En Chine, le gouvernement a délimité une zone culturelle spéciale dans la cité de Chu, aux pieds d'un Arbre. Cette cité accueille tous les citoyens non-conformistes ayant reçu un permis, dont Tian Chenglei, un jeune artiste, Uncle, et Zhen, une transgenre. À Spitzberg sur l'île de Svalbard en Norvège, Marsh a décidé de rester dans la base scientifique et d'étudier l'Arbre à proximité, jusqu'à temps qu'il se produise quelque chose. Il a fini par repérer des sortes de fleurs noires ressemblant à celles du pavot. À Cefalù, dans la commune de Palerme en Sicile, Eiligia Gatti (une jeune femme) s'est placée sous la protection de Tito qui l'entretient. Celui-ci fomente une forme de prise de pouvoir local avec l'aide des talents très particulier de Davide, et d'autres gros bras. Eligia Gatti finit par prendre contact avec le professeur Luca Biongionro qui la suit. À Mogadishu en Somalie, le président Malek Rabim reçoit le journaliste français Boniche pour expliquer que la région du Pount (Puntland) menace la Somalie et qu'il entend bien faire respecter son pays.
Il est vraisemblable que le lecteur ait été attiré par cette série pour son scénariste Warren Ellis, anglais réputé par sa capacité à générer des concepts intéressants et intrigants dans le domaine de l'anticipation et de la science-fiction, et à retrouver un peu de fraîcheur dans des superhéros usés par les décennies. Il a peut-être déjà également lu quelques pages de Jason Howard, par exemple dans la série Wolf-Man de Robert Kirkman. La couverture de ce tome est assez cryptique et ne permet pas de se faire une idée de l'intrigue. Le résumé évoque des extraterrestres implantés en un nombre inconnu sur Terre, immobiles, incompréhensibles par les humains, indéchiffrables, ayant causé des perturbations ponctuelles. Le lecteur constate très rapidement la forme de la narration : chorale, c’est-à-dire se déroulant à différents endroits de la planète, pour suivre différents personnages. Il est reconnaissant au scénariste de savoir montrer plusieurs points de vue, et d'éviter de faire des États-Unis, le centre du monde. Les situations sont très diverses d'un endroit à l'autre. Rio de Janeiro n'est utilisé que pour la séquence d'ouverture. New York ne revient qu'une autre fois. Les 4 fils narratifs se trouvent donc (1) en Chine, dans une communauté d'artistes et de réprouvés, avec une présence militaire diffuse mais visible, (2) dans une base scientifique proche de l'arctique, (3) en Sicile avec un petit groupe souhaitant prendre le pouvoir dans la région pour la sortir d'une forme d'abandon par le gouvernement, et (4) en Somalie où le président en exercice estime que la guerre économique risque de se transformer en guerre armée.
Warren Ellis procède comme bon lui semble, en consacrant une pagination variable d'un endroit à l'autre et d'une fois à l'autre en fonction de ce qu'il souhaite développer. Il règne une ambiance étrange, car le lecteur ne peut pas deviner où il veut en venir. Il doit donc prendre ce qui lui est raconté au premier degré. Le point commun aux 4 endroits de la planète se trouve dans le mystère de ces Arbres. Le fait que l'un d'eux est excrété un fluide vert semble indiquer une forme de vie, sans préjuger d'une forme d'intelligence. Les informations dispensées dans ce tome se comptent sur les doigts d'une main, à commencer par un étrange phénomène physique qui se traduit par une absence de friction à leur sommet. Dans ces 4 endroits, chaque population locale a effectué le même constat : ces Arbres ne semblent pas hostiles, ils sont juste indifférents, paraphrasant ainsi la phrase de Stanley Kubrick, l'univers n'est pas hostile, il est indifférent. Par contre, il est difficile de déduire une politique affirmée des gouvernements, en fonction des lieux. En Italie, il y a une forme d'abandon du pouvoir politique de la région. En Chine les officiels se servent de cet Arbre qu'ils ne peuvent pas maîtriser pour concentrer les individus eux-mêmes ingérables parce que non-conformes. En Norvège, leur observation est confiée aux scientifiques et en Somalie, c'est l'armée qui essaye de voir comment les transformer en avantage tactique.
Jason Howard réalise des dessins descriptifs avec un bon niveau de détails. Les traits pour détourer les formes sont assez fins, un peu cassant, pas toujours jointifs. À l'intérieur des surfaces, il ajoute de petits aplats de noir aux contours irréguliers. Mais il leur préfère des traits secs assez rapides pour conférer une texture. Il ajoute un peu de volume avec la mise en couleurs, sans dégradé progressif, juste en accolant 2 nuances, une plus claire et une plus foncée. Jason Howard ne cherche par le photoréalisme, mais une description facilement lisible, sans être affadie par la simplification. Il représente des personnages à la morphologie normale, assez élancés. La plupart des protagonistes ont une apparence d'individus ayant entre 20 et 30 ans, avec l'exception notable du professeur Luca Bongiorno (Cefalù) et d'Uncle (Chu) qui ont un visage marqué par les rides. Eligia Gatti est une très belle jeune femme, également élancée, avec un une belle poitrine, ce qui conduit à remarquer que la plupart des personnages féminins ont une morphologie similaire, sans que les dessins ne dérivent vers l'hypersexualisation.
L'artiste s'avère être un metteur en scène compétent, et même très compétent. Les scénarios de Warren Ellis présentent souvent 2 caractéristiques : des scènes de dialogue pouvant durer plusieurs pages, et des séquences d'action quasiment muettes. Cela requiert un vrai talent pour le dessinateur afin qu'il atténue cette dichotomie. Jason Howard fait mieux que l'atténuer puisque les personnages parlent en se déplaçant, en continuant leurs activités, ou lorsqu'ils sont statiques, le placement de la caméra montre l'environnement et les personnages sous différents angles. De la même manière, les séquences d'action sont spectaculaires, se comprennent facilement et transcrivent bien la continuité des mouvements et des déplacements.
Le choix de la forme des traits de contour et des textures donnent une apparence un peu esquissée, très vivante aux dessins. Il n'est pas pour autant synonyme d'à peu près ou de précipitation. Le scénario s'avère très exigeant, déjà parce que l'histoire se déroule dans plusieurs endroits avec des caractéristiques différentes. L'artiste donne une idée claire de l'urbanisme de la ville de Chu en Chine, de l'urbanisme moins vertical de Cefalù et de la proximité des zones naturelles. La blancheur de la zone quasi arctique est nuancée par les reliefs et les teintes des surfaces en fonction de la luminosité. La base scientifique bénéficie peut-être d'une hauteur sous plafond un peu trop importante. Les séquences en Somalie sont moins remarquables en ce qui concerne les décors puisqu'elles se déroulent soit dans un bureau, soit dans la zone désertique où l'Arbre a pris racine.
Les dessins permettent donc au lecteur de découvrir un monde concret, des personnages ordinaires, et des lieux tangibles dans leur diversité. Ils rendent plausibles des moments tels que l'extermination d'un groupe de jeunes en ouverture, l'excrétion d'un fluide verdâtre par des piliers minéraux, des fleurs dans la neige, ou des moments très banals et familiers, comme un monsieur d'un certain âge en train de prendre son café à une terrasse ensoleillée. La direction d'acteurs traduit les tensions entre les personnages, et les non-dits lors de face-à-face tendus, soit parce qu'il s'agit de savoir qui aura l'ascendant psychologique sur l'autre (entre Eligia Gatti et Luca Bongiorno), soit parce que chaque protagoniste est sous le coup d'un fort enjeu émotionnel et affectif (Tian Chenglei et Zhen). Enfin Jason Howard fait très attention à doser ce qu'il montre de la nudité, à commencer par celle de Zhen, pour ne pas laisser de doute sur sa qualité de transsexuel, sans le/la transformer en bête de foire.
Mis à part la scène d'introduction et le chapitre de conclusion, ce récit est de nature contemplatif, sur la base d'interactions entre individus. Warren Ellis déconcerte son lecteur en établissant une situation d'anticipation, et en faisant ensuite comme ses personnages, c’est-à-dire en faisant comme si ces Arbres faisaient partie du paysage normal depuis longtemps. Dans un premier temps le lecteur n'est pas trop déstabilisé par ce parti pris car il découvre les différents personnages, s'attache à eux, à la simplicité naturelle de Tian Chenglei, à la séduisante Zhen, à la troublante Eligia Gatti tentant de lutter contre sa position dans le système, au flegme du professeur Luca Bongiorno, à l'entêtement de Marsh, etc. Il accepte de bonne grâce qu'il faille du temps (et donc des pages) pour que l'auteur installe son récit choral, et donc que le mystère des Arbres soit remis à plus tard.
La pagination consacrée à chaque situation et à chaque personnage fait que l'intérêt du récit réside en eux, et pas dans la présence des arbres. Au fil des pages, il devient apparent que le fond de l'histoire correspond à des questions de motivations, de place dans la société. Le chercheur Marsh n'envisage sa vie que dans la base scientifique jusqu'à découvrir un élément déterminant sur les Arbres. Tito (le protecteur et amant d'Eligia Gatti) est animé par la perspective de la prise de pouvoir, d'exercer une forme d'autorité. Eligia Gatti est animée par la volonté de reprendre une forme d'autonomie et d'indépendance. Tian Chenglei est à la recherche de ce qui donnera un sens à sa vie. Le fil narratif se déroulant en Somalie concerne plus la reconnaissance d'une nation par une autre, la nécessité de s'affirmer, incarnée par le président. Finalement chacun des personnages essaye de s'affirmer par rapport aux circonstances créées par la présence des Arbres. En tant qu'être humain, ils sont condamnés à trouver un sens à leur existence, malgré l'indifférence des Arbres à ladite existence. Si le lecteur n'est pas sensible à cette dimension, il peut aussi regarder la vie de ces personnages au premier degré, leur engagement politique, soit par l'action (Tito), soit par leur revendication (Malek Rabim), soit par leur façon de mettre en pratique la tolérance dans le cadre de la vie en commun (Tian Chenglei), soit encore par leur pulsion à comprendre le monde qui les entoure d'un point de vue scientifique (Marsh), ou à l'interpréter de manière artistique (Tian Chenglei).
Ce premier tome de la série peut s'avérer très déroutant pour le lecteur car il ne correspond pas à ses attentes. Il ne s'agit pas d'une invasion destructrice, pour alimenter un récit d'action. Néanmoins la qualité des conteurs, scénariste comme artiste, l'emmène dans la vie d'individus complexes et attachants dans leurs différences, pour des situations de changement à partir de dynamiques variées. Il se prend d'autant plus facilement au jeu que Warren Ellis développe des questionnements sur un mode littéraire, la forme du récit débouchant sur des problématiques politiques et sociales. Il est d'autant plus cueilli par surprise par le dernier épisode.