Tezuka chez les Picaros : "No country for a Japanese man"
Œuvre bien fournie de Tezuka (un gros pavé de 600 pages), GRINGO est un bon manga qui s'oriente autour d'une intrigue politico-financière dans un pays imaginaire d'Amérique du Sud au cours des années 1980. Hitoshi Himoto, cadre d'une entreprise japonaise, est envoyé conquérir de nouveaux marchés dans des républiques bananières du continent américain, à ses risques et périls, coincés entre l'hostilité des habitants à l'égard des Japonais (et des étrangers en général) et les menaces que font peser les guérillas, les gouvernements et les manœuvres politiques sur l'ordre public de ces pays.
Ce qu'il faut d'emblée remarquer, c'est le capacité qu'a eu Tezuka de saisir idéalement le contexte historique, parfaitement retranscrit dans des pays inventés, un peu à l'instar d'Hergé. On sentirait presque dans le comportement de Hitoshi Homoto l'esprit d'un Tintin, pétri de bonnes intentions, qui se retrouve complètement dépassé par les évènements. A noter que Tintin n'était pas, lui, un capitaliste avide de prospérer dans cette région du monde appauvrie et coupée de tout.
Ce qui est dommage avec GRINGO, c'est qu'en plus de 600 pages, on a l'impression d'avoir beaucoup de faux-plats, que l'intrigue traine en longueur et n'avance vraiment que dans quelques pages-clés. Je dois aussi avouer que la dernière partie des péripéties de cet entrepreneur m'a agréablement et profondément surpris. En effet, en incluant la postface de Tezuka comme un élément d'analyse supplémentaire, on y voit comment le mangaka oriente son propos sur "qu'est-ce qu'être Japonais ?", débat sur l'identité nationale avant l'heure. En faisant un habile parallèle entre le Japon "métropolitain", Hitoshi Himoto et sa famille, et enfin la communauté de ces Japonais perdus dans l'Amazonie, Tezuka pose une réflexion pertinente sur ce problème, où Himoto est un étranger parmi les siens, doux paradoxe surtout venant de cinglés qui croient que le Japon est toujours en guerre, même en 1984.
Le décès du Dieu du Manga en 1989 interrompt l'œuvre qui se clôt sur un tournoi de sumos à venir dans le village des exilés, comme un nouveau défi à relever pour Himoto dans sa quête d'une terre d'accueil pour lui et sa famille.